La politique de dumping pratiquée par les Européens pour subventionner leurs produits agricoles et le système européen des normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) constituent les principales barrières non tarifaires érigées par l’Union européenne pour protéger son agriculture.
« Les négociations dureront ce qu’elles dureront. Nous ne pouvons pas accepter ce qui n’est pas dans l’intérêt des Tunisiens », telle était la réponse du président Kais Saied, à la question qui lui a été posée sur l’Aleca, lors du débat présidentiel du 11 octobre. Une réponse bien claire mais qui laisse à désirer, du moment où on ne sait pas si la conclusion d’un Aleca avec l’Union européenne servira l’économie et la société tunisienne ou pas.
Partant du fait que l’Aleca est la continuité de l’Accord d’Association (AA) signé en 95 où il est question d’étendre le champ d’application du libre-échange à tous les secteurs, y compris la propriété intellectuelle et le transport aérien, on comprend que la question est tellement tentaculaire qu’il n’est pas évident de trancher sur une décision spécifique.
Les études qui ont été réalisées dans l’objectif d’évaluer l’impact socio-économique de l’Aleca sont légion. Alors que certains invoquent une meilleure intégration de l’économie tunisienne dans le marché européen, d’autres s’indignent contre les répercussions négatives qui menacent des secteurs fondamentaux, principalement l’agriculture. Mais on parle, aussi, de dangers sur le secteur pharmaceutique, les marchés publics, et la liste est longue…
Une baisse de 0,8% du PIB national
Pour le secteur agricole, une première étude qui s’intéresse aux retombées de l’Aleca sur l’agriculture sous un prisme macroéconomique a été réalisée en 2018 par la fondation autrichienne pour la recherche en développement (OeFSE). Les résultats ont révélé, en somme, que la libéralisation simultanée et complète des droits de douane entre les deux parties négociatrices engendrera une baisse de plus de 0,52% du PIB national. La forte concurrence induite affectera gravement les filières des céréales, aliments et boissons en Tunisie. Cette baisse peut s’accentuer davantage si on prend en considération l’alignement du cadre réglementaire tunisien sur les standards européens. Le PIB national régresserait, ainsi, de 0,8%. Mais même si l’Europe promet un démantèlement progressif des barrières douanières qui prend en compte l’asymétrie économique entre les deux entités, le problème de l’asymétrie sera toujours de mise. En effet, la politique de dumping pratiquée par les Européens pour subventionner leurs produits agricoles fausse les prix sur le marché international. Une deuxième étude qui s’appelle « Aleca et agriculture : Au-delà des barrières tarifaires », publiée au mois d’avril 2019, a démontré que l’Union européenne protège son marché intérieur beaucoup plus via sa politique de subvention, qui lui permet de maîtriser artificiellement ses prix intérieurs, que par le régime tarifaire en vigueur. Ce que l’étude a révélé, c’est que d’un côté la majorité des produits agricoles et de pêche tunisiens exportés vers l’Europe, qui sont principalement l’huile d’olive, les dattes, le thon, les crevettes, bénéficient déjà d’un régime préférentiel, alors que la plupart des produits importés de l’UE sont encore protégés par des droits de douane élevés aux alentours de 30% en moyenne.
Suspendre le démantèlement tarifaire
De l’autre côté, la subvention des produits agricoles européens permet de baisser leurs prix, améliorer leur compétitivité en externe et protéger la production interne. A titre d’exemple, le taux de dumping des produits céréaliers européens avoisine en moyenne les 30%. Pour le maïs et l’orge, il se situe à 40% tandis qu’il est compris entre 20 et 30% pour le blé, le malt, les amidons et les fécules. Si on tient compte du fait que la Tunisie importe environ 50% de ses besoins en céréales, l’étude estime qu’une libéralisation des tarifs douaniers aggraverait davantage cette dépendance. C’est pour cela que l’étude recommande de suspendre le démantèlement tarifaire, spécifiquement pour les produits bénéficiant du soutien interne de l’UE, notamment les produits céréaliers, laitiers, les viandes rouges et blanches et les œufs, jusqu’à ce que la question du soutien interne de l’UE soit clarifiée.
Les barrières non tarifaires à savoir les normes sanitaires et phytosanitaires SPS constituent, quant à elles, une autre paire de manches. Les normes européennes SPS sont différentes des normes internationales et elles constituent l’un des systèmes SPS les plus complexes. La Tunisie est-elle alors prête à opérer des changements radicaux dans son arsenal juridique pour l’asseoir à la réglementation européenne ?