Le programme «Investia Entreprise» aidera 120 PME tunisiennes à se financer en dehors des banques via le capital investissement, l’introduction en Bourse (IPO) ou l’emprunt obligataire (IBO).
Une série de conférences de presse a été tenue au niveau régional pour présenter «Investia Entreprise», un programme d’appui au financement non bancaire des petites et moyennes entreprises (PME). Après Mahdia et Sousse, le gouvernorat de Nabeul, classé 6e en termes d’indicateurs de développement régional avec plus de 650 entreprises industrielles, dont 436 sont offshores, a accueilli une équipe de la Bourse de Tunis pour expliquer aux jeunes dirigeants et entrepreneurs ce nouveau mécanisme d’aide au financement, qui est le fruit d’un partenariat entre la Tunisie, la Banque africaine de développement (BAD) et le Royaume-Uni, et ce, dans le cadre d’un workshop qui a été organisé en collaboration avec le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD Nabeul) sur le financement de la PME par le marché financier, au cours duquel le programme Investia Entreprise, qui a profité d’un don de 3,1 millions d’euros du Royaume-Uni, géré par la BAD via le Fonds fiduciaire de Transition, a été présenté.
Une opportunité à saisir
Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse des valeurs mobilières de Tunis, indique que la PME tunisienne rencontre, aujourd’hui, beaucoup de difficultés, notamment de financement et d’accès au financement et qu’Investia Entreprise a été construit sur la base de trois constats. Le premier est que le niveau de risque de nos PME a augmenté durant les dernières années à cause d’un contexte économique fragile et incertain. Du coup, des PME ont vu baisser leurs performances,alors que d’autres ont même disparu. La deuxième raison derrière ces difficultés d’accès au financement, c’est l’assèchement de la liquidité bancaire. En effet, à cause du changement des règles prudentielles applicables aux banques, ces instruments de financement n’ont plus les capacités qu’elles avaient auparavant pour continuer à financer la PME de la même façon. Et quand il y a assèchement de la liquidité, les banques opèrent naturellement par un arbitrage et vont vers des crédits fortement rémunérés, tels que les crédits aux particuliers ou des crédits très peu risqués, en s’adressant aux grandes entreprises ou au financement de l’Etat via les émissions du BTA (bons du Trésor à long terme). «Dans une telle situation, le maillon faible reste toujours la PME qui se trouve écartée du financement bancaire», souligne-t-il.
La troisième raison n’est autre que le renchérissement du taux. En fait, le pays a connu en 2018-2019 trois vagues d’augmentation du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), qui ont fait que le coût du crédit devient de plus en plus important, ce qui pénalise le financement de la PME, réduit sa rentabilité et augmente ses coûts financiers.
«L’une des principales causes ayant empêché ce gisement de croissance de bénéficier de cette facilité d’accès aux crédits est la baisse des fonds propres de nos PME, malgré un business model intéressant. Pour nous, il est difficile d’admettre que nos PME doivent abandonner leur plan de développement à cause du manque de financement. Donc Investia Entreprise ne peut être qu’une solution qu’on apporte pour améliorer les fonds propres des PME», souligne M.Sahnoun.
Il ajoute qu’Investia Entreprise est un programme d’accompagnement des PME dans la levée de fonds non bancaires. C’est un projet sur trois ans avec pour objectif d’accompagner 120 PME tunisiennes dans leur financement. L’objectif est d’emmener ces PME vers la levée de fonds propres ou de dettes directement auprès des investisseurs, via des levées de fonds sur le marché des capitaux et des appels privés et publics à l’épargne. Dans le cadre de ce programme, trois modes de financement sont possibles : introduction en Bourse, financement obligataire, capital investissement. Investia Entreprise est donc un accès à des sources de financements non bancaires, une plateforme et une connexion entre investisseurs et entreprises, et un accompagnement vers les marchés publics.
Des chantiers lancés
Le directeur général de la Bourse de Tunis indique que le marché financier ne joue pas pleinement son rôle dans le financement de l’économie nationale. Il finance l’économie tunisienne à hauteur de 8 à 10%, une moyenne faible par comparaison aux taux enregistrés dans les pays émergents où le marché financier finance l’économie à la hauteur de 30%. Ce taux atteint même les 40% en Europe, et les 60% en Amérique du Nord. «Réellement, nous sommes très loin de nos objectifs et du rôle que nous devrions jouer pour améliorer notre contribution dans le financement de l’économie nationale», regrette-t-il.
M.Sahnoun ajoute que cette situation est due à plusieurs raisons. Tout d’abord le cadre réglementaire non favorable ; le pays fait toujours recours à une loi qui remonte à 1994 à l’heure où l’industrie financière a évolué d’une manière importante. «On discute actuellement avec la Berd un projet pour la réforme du marché financier tunisien… L’objectif principal derrière cette coopération est la modernisation du cadre légal et réglementaire régissant le marché financier tunisien, afin d’en faire un pilier du financement de l’économie nationale et de répondre aux besoins de financement de l’investissement privé et public. Malheureusement, dans sa forme actuelle, le marché de capitaux en Tunisie n’est pas suffisamment agressif. Et pour développer sa contribution au financement de l’économie, et pour la mobilisation de l’épargne, sa réforme est une nécessité pour espérer une croissance plus élevée», explique M. Sahnoun.
Outre ce chantier énorme, il indique que le pays doit garantir un climat des affaires favorables à l’investissement, la création de richesses et de l’emploi. «On espère que la stabilité politique pourra améliorer le climat des affaires. Mais de l’autre côté, on espère que la volonté politique mettra le marché financier et boursier dans leur viseur comme une solution et non pas un poids…car nous sommes des porteurs de solutions…Nous avons la possibilité de financer 20 ou 30% de l’économie nationale si la volonté politique de le concrétiser se manifeste !», affirme-t-il.
Face à ces défis, la priorité a été accordée à la réforme du cadre règlementaire sur le marché alternatif qui doit être assoupli et clarifié, pour être un vrai facilitateur de l’accès des PME au financement par le marché financier. Deuxièmement, la loi des finances 2020 comporte des mesures majeures d’incitation pour les PME pour accéder au marché financier. Finalement, c’est le lancement en octobre dernier du programme Investia Entreprise qui est destiné à accompagner 120 PME tunisiennes pour lever des fonds non bancaires. «A cette fin, on a mis en place une plateforme dédiée à ce programme qui permet la transparence (l’accès à ce programme se fait exclusivement à travers cette plateforme) et le rapprochement de ce service (toutes les entreprises, n’importe où en Tunisie peuvent accéder de la même manière à ce programme). Au total, 215 entreprises ont été inscrites dont 99 sont éligibles contre 116 qui ne sont pas éligibles. Pour l’état du dossier, 40 PME uniquement inscrites et 59 dossiers sont en cours d’étude par les consultants. Jusqu’à maintenant, 15 PME sont visitées et validées», indique M. Sahnoun.