Depuis le 1er mai 2019, le Smig et le Smag ont été portés à 403 dinars. Notre pays occupe, ainsi, la quatrième place au niveau de l’Afrique; mais ce montant constitue environ la moitié de ce que touche un Palestinien. Les salaires, dans la fonction publique, varient selon la catégorie des agents et selon les postes occupés. Dans le secteur privé, un accord a été conclu entre le Patronat et l’Ugtt pour une augmentation des salaires de 6.5 %. En mars prochain, on prévoit le lancement de nouvelles négociations salariales.
Devant les grandes difficultés que vit le Tunisien, le salaire peut-il, encore, suffire pour vivre décemment ? Ce n’est pas du tout évident. Quand on regarde dans d’autres secteurs (notamment, dans certaines professions libérales ou du secteur du commerce et des services), il y a de quoi se faire des soucis. Le citoyen tunisien constate le fossé qui existe entre lui et les autres secteurs où les rémunérations sont, de loin, supérieures à ce qu’il perçoit.
Des domaines qui rapportent
Parmi les 11 premières banques tunisiennes, les PDG ou les DG sont payés entre 52 et 4 millions / mois sans parler des avantages liés à la fonction. Un médecin généraliste pratiquant des tarifs fixés à 40-45 dinars la consultation, la journée représente, facilement, ce que gagnerait un fonctionnaire dans le secteur public catégorie A1, au minimum durant tout un mois (ceci en tablant sur une quarantaine de consultations par jour). Pour les spécialistes, la facture sera plus élevée si on prend en compte les nouvelles tarifications décidées par le Conseil de l’ordre des médecins et qui fixe la visite entre 50 et 70 dinars pour un spécialiste, entre 50 et 75 dinars pour le psychiatre ou le neurologue.
Les frais de justice, aussi, rapportent aux avocats qui n’ont, à vraiment parler, pas de salaire fixe. Leurs honoraires varient selon la nature de l’affaire. C’est ce qui laisse un flou pour les clients qui ne savent pas, exactement, ce que peut leur coûter une «aventure» dans la jungle de la justice.
Voilà, en gros, comment se présente la situation économique du Tunisien face à des dépenses innombrables et imprévisibles. C’est ce qui pousse certains à choisir d’autres voies (plus ou moins licites) pour gagner leur vie. Parfois aux dépens des autres.
Aujourd’hui, en effet, on cherche à s’enrichir au plus vite et aux moindres frais. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y en a qui ont réussi et qui ont donné envie à d’autres de suivre. Il y a des gens qui gagnent beaucoup d’argent sans trop se fatiguer et sans même dépenser quoi que ce soit, voire sans rien investir. Le domaine de la réparation des appareils électroniques (téléphones, smartphones, tablettes, smart-tv, patch des chaînes cryptées…), des appareils électroménagers, la mécanique auto et tant d’autres spécialités rapportent des fortunes à ceux qui s’y adonnent. Le tout sans aucune garantie pour les clients qui sont toujours arnaqués et plumés impunément.
Pour ne prendre qu’un «spécialiste» dans l’installation des paraboles, on voit qu’un patch clandestin lui rapporte autour de 50 ou 70 dinars. Du coup, une bonne dizaine de clients lui rapporteraient entre 500 et 700 dinars/jour. Quant aux autres services qu’il peut fournir (installation d’antennes, réglages divers, dépannages, vente d’accessoires…), leur apport n’est pas du tout négligeable. En d’autres termes et mine de rien un tel métier rend celui qui le fait multimillionnaire. La même analyse peut être faite pour d’autres activités qui, elles non plus, ne sont pas contrôlées comme il faut et où les clients sont face à des profiteurs beaucoup plus qu’à des vis-à-vis honnêtes. En outre, ces activités ne rapportent rien à l’Etat en l’absence de taxes. Ces gens ne font presque pas leurs déclarations d’impôts et travaillent quasiment dans le noir.
Prolifération des vendeurs anarchiques
Ce n’est plus un hasard si l’on parle de plus en plus de ces nouveaux riches qui se comptent par centaines et qui se livrent à de très nombreuses activités souterraines (contrebande, trafics divers…).
D’autres, par contre, travaillent «en plein jour» et au su et au vu de tout le monde. On veut parler, par exemple, des vendeurs anarchiques qui pullulent dans les grandes villes et qui aggravent la situation économique, environnementale et sécuritaire. Les auteurs de ce commerce parallèle bravent toutes les lois et ne se plient à aucune règle. Tous les efforts qui ont été faits pour les organiser et les intégrer dans le circuit légal ont échoué faute de volonté politique. Bien au contraire, tout ce qui a été fait ou qui est en train de se faire, va dans le mauvais sens. On a voulu les «caser» dans des espaces aménagés mais rien n’y a fait. Si le nouvel espace de la rue Mongi Slim a été ouvert à ces vendeurs, d’autres ont occupé le terrain et la rue, elle-même, est, maintenant, envahie par des dizaines d’étals anarchiques qu’on n’avait pas vus auparavant.
De nouveaux venus, en effet, viennent occuper la place de ceux qui se sont déplacés dans les zones aménagées. Mais, même les autres artères de la capitale (à titre d’exemple) voient, chaque jour, de nouveaux vendeurs affluer. C’est ainsi que du côté de la rue Charles De Gaulle, d’Espagne, etc. la circulation est presque impossible (pas, uniquement pour les automobilistes, mais, également, pour les piétons).
A bien voir le phénomène, cette activité est confiée, généralement, à des jeunes venus des gouvernorats de l’intérieur et qui travaillent en sous-location. Les «points de vente» appartiennent à des gens qui ont, déjà, pignon sur rue et qui les confient à des jeunes à la recherche d’un salaire. Certains de ces «propriétaires» ont plusieurs «nasbas» dans la capitale et autant d’apprentis. Une liste, pourtant, avait été dressée par les autorités pour essayer de trouver une solution radicale au problème mais chaque fois le nombre augmentait. Cela s’explique par la nature de ce commerce. Il rapporte gros, comme on dit. La pacotille qu’ils vendent ne leur coûte presque rien face aux prix qu’ils pratiquent. Un câble de recharge pour téléphone est vendu jusqu’à 10 fois son coût réel ! Les gains sont, donc, faciles et conséquents. D’aucuns croient que cet étal dans la rue n’est rien. Eh bien, détrompez-vous.
Ces gens gagnent très bien même s’il s’agit d’un apprenti. L’exode de nombreux jeunes vers les villes pour s’adonner à ces activités est dû à ce que ce travail rapporte vite et ne demande rien. Il y a, certes, ceux qui sont derrière et dont on peut dire que, eux aussi, brassent des millions. Rappelons-nous le marché de Moncef Bey. Lorsqu’on a décidé de loger les vendeurs de la Rue Zarkoun à cet endroit, on ne devina pas que les heureux élus deviendraient des multimillionnaires. Aujourd’hui, ceux qui n’ont pas accepté d’être relocalisés à Moncef Bey s’en mordent les doigts.
En somme, les riches et les nouveaux riches le deviennent, de plus en plus facilement, dans des domaines qui ne sont pas soumis aux normes que l’on souhaiterait. Ceux qui sont concernés ne sont pas trop portés sur le respect des règles du commerce ou de l’éthique. Et, pourtant, ils font la pluie et le beau temps et imposent la mode (notamment en matière d’électronique et de technologies des communications : appareils dernier cri, innovations, etc.). Ils ont, paraît-il, le bras long.
La poule aux œufs d’or
A côté de cette catégorie de riches, on peut trouver ceux qui ont choisi un autre créneau. La sous-traitance, aussi, enrichit de plus en plus de gens. Dans le domaine des communications, plusieurs activités sont confiées à une tierce partie lui offrant, ainsi, une manne céleste. L’enlèvement des voitures dans les villes par la grue est, également, une sous-traitance qui rapporte énormément. C’est pourquoi cette activité est très présente.
Dans le même ordre d’idées, on a noté, ces derniers temps, l’apparition d’un très grand nombre de parkings pour voitures. Tous ceux qui disposent d’un terrain libre le réservent comme lieu de stationnement payant pour voitures. Les parkings autorisés sont de plus en plus chers. Les parkings clandestins viennent à la rescousse. C’est un filon qui s’est avéré juteux et qui encourage beaucoup de personnes à s’y investir. Il n’y a rien à perdre et tout à gagner. L’enrichissement rapide est garanti. L’exemple de ces parkings situés au Lac de Tunis est édifiant. Là, la fortune est garantie. La majorité des visiteurs de cette zone sont obligés de trouver un emplacement pour leurs voitures. Ils doivent, alors, avoir recours à ces services contre 2 dinars l’heure (même si vous ne restez qu’une quinzaine de minutes ou une demi-heure). Il n’y a pas d’autres tarifs.
On voit bien qu’avoir un parking au Lac c’est comme si on avait une poule aux œufs d’or.
Le Tunisien trouve, toujours, les astuces pour s’enrichir très vite sans trop se soucier de la régularité des procédures, ni de la morale.