Qui n’a pas entendu parler d’Alexandre Roubtzoff ? Né à Saint-Pétersbourg le 24 janvier 1884, Grand Prix de l’Académie impériale des beaux-arts de la même ville en 1912, le peintre, grâce à une bourse d’études, commence un pèlerinage à travers les grandes villes européennes, le sud de l’Espagne, le Maroc, se terminant en Tunisie. C’est ici qu’il débarque le 1er avril 1914 peu de jours avant Auguste Macke et Paul Klee et qu’il décide de s’installer pour quelques années dans la Médina de Tunis, au 33, rue Al Djazira.
La Tunisie lui offre sa lumière, ses couleurs, «cette richesse infinie de nuances de blanc, à l’exception du blanc absolu qui n’existe pas».
Roubtzoff commence à peindre tous les coins et recoins de cette Tunisie, avec un sentiment d’émerveillement, une sorte de boulimie d’apprentissage, y compris de la langue arabe.
Vieilles rues de la Médina, souks, marabouts, portes cloutées, portraits représentant la fierté bédouine avec ses tatouages, comme le célèbre portrait de «Babiza» de 1944.
Rien n’échappe à son regard subjugué par la beauté des lieux et de sa population.
L’abondance des sujets à peindre est telle, dira-t-il, qu’il ne veut plus perdre un temps précieux à se raser et il se laisse pousser la barbe : «De glabre à Saint-Pétersbourg, je deviens barbu à Tunis».
Un personnage fascinant et fasciné à son tour par la Tunisie et l’Orient, «une vie, diamétralement opposée à la vie européenne».
Le film «La Tunisie d’Alexandre Roubtzoff» sera projeté aussi à Tunis pour rendre hommage au réalisateur Saïd Kasmi Mitterrand et diffusé prochainement sur la chaîne TV5 Monde. Les textes sont de Frédéric Mitterrand.
Ce film est une heure de bonheur, des images à vous couper le souffle, avec des passages très émouvants, une découverte des dessins et tableaux faisant partie de collections privées, le tout si bien orchestré par la voix de Frédéric Mitterrand. Une grande contribution artistique et historique dans l’approfondissement de la vie d’Alexandre Roubtzoff et de sa peinture grâce aux Mitterrand, père et fils.
Alexandre Roubtzoff, dit le réalisateur, «m’a fait redécouvrir mon pays natal, que je croyais connaître, mais sans l’avoir regardé attentivement dans son entièreté. Son œuvre, qui rassemble toutes les formes d’expression plastique, de la peinture au dessin, des portraits aux paysages, de la scène de genre à l’architecture ; sur une infinité de supports, qui vont de la toile aux carnets de croquis, m’a fait voyager à travers toute la Tunisie, jusque dans des lieux éloignés où se hasardent bien peu de visiteurs.
Elle m’a aussi fait voyager dans l’histoire de mon pays, durant cette période du protectorat français, dont il ne fut aucunement complice, son regard étant totalement détaché des préjugés coloniaux, mais au plus près du peuple tunisien».
La société tunisienne était alors dominée politiquement par l’occupation étrangère et Alexandre Roubtzoff peignait les prépondérants comme il peignait l’ensemble de la population, détaché de toute idée de propagande.
Sa recherche était celle de la beauté, à travers l’approfondissement constant de son extraordinaire maîtrise du cadre et de la couleur, de l’humanité surgissant de chacun des thèmes, des situations, des lieux et des personnages qu’il peignait.
Durant toutes ses longues années au service de l’art et de son pays d’adoption, il n’a cessé de créer, laissant en héritage un immense patrimoine d’une valeur exceptionnelle pour les générations futures, les amateurs, les historiens d’art…
La Tunisie connaissait alors une floraison artistique remarquable. Alexandre Roubtzoff y a pleinement participé évidemment, tout en restant très solitaire, par intégrité, désintéressement, et modestie sans doute. Mais aussi parce qu’il se sentait investi d’une vocation particulière, celle de ne subir aucune contrainte, ni influence, de n’être récupéré par aucun cercle ni école. «C’est ce qui donne aussi à son œuvre sa singularité et sa puissance, le faisant apparaître comme le peintre majeur d’un temps, que le jeune franco-tunisien que je suis, se fait le devoir de retrouver, cela avec ferveur et autant d’humanité et d’amour, qu’il en dispensa lui-même, tout au long de son œuvre et de sa vie», nous dit Saïd Kasmi Mitterrand.