Nous savons tous combien les relations sicilo-tunisiennes ont marqué la vie, les habitudes, la cuisine, la langue et l’architecture de notre pays. En effet, beaucoup d’Italiens, formés pour la plupart de Siciliens, immigrèrent en Tunisie à la recherche de fortune. La Tunisie avait l’avantage d’être si proche et si similaire de la terre de départ, de par son climat, ses paysages, son alimentation… On estime entre 100 et 200 mille (difficile d’avancer des chiffres exacts) le nombre de Siciliens venus s’installer en Tunisie entre le XIXe et le XXe siècles. Parmi les Giacalone, les Strazzera, les Gandolfo, les Campisi, les Caruso… il y a eu aussi les di Giovanni !
C’est en 1882 à l’âge de 20 ans que l’arrière-arrière-grand-père paternel de l’artiste-peintre Gérald di Giovanni, Gaetano, a quitté son petit village caillouteux de San Cipirello à 33 km de Palerme pour rejoindre la Nouvelle-Orléans où, à l’époque, le gouvernement américain distribuait des terres marécageuses aux migrants sous condition de les rendre agricoles pour en devenir propriétaires après 22 années d’exploitation. Il faut dire que les conditions de travail à la Nouvelle-Orléans étaient des plus pénibles à cause du climat, si torride et humide, mais surtout à cause des terrains marécageux et insalubres. En effet, les Siciliens avaient remplacé les esclaves noirs après la guerre de Sécession. Des milliers de villageois siciliens, avec la complicité de l’Eglise et des hommes politiques, quitteront leur pays pour la Louisiane avec l’espoir d’y devenir riches un jour…
Les conditions de survie étaient tellement difficiles que Gaetano décida de revendre ses biens de la Nouvelle-Orléans pour aller rejoindre son frère en Tunisie. Celui-ci s’était installé à La Mohammedia et il avait acquis une ferme à Fouchana. Suite aux événements, liés à l’indépendance de la Tunisie et, plus tardivement, en 1964, à la nationalisation des terres, la famille di Giovanni quittera le pays nord-africain pour s’installer en France, comme une bonne partie d’Italiens de Tunisie.
Gérald grandira à Ville-Franche-sur-Saône près de Lyon, baignant toute sa jeunesse dans la culture sicilo-tunisienne par son arrière-grand-père, son grand-père, sa grand-mère, son père et ses oncles Luigi, Antonio, Gaetano, Zio Néné, Aldo…
Culture traditionnelle avec des expressions qu’il entendait à la maison. Expressions avec un accent qu’il ne comprenait pas toujours, culture gastronomique, «granita à la mandorla, cannoli, couscous au poisson, sfincione, arancini di riso, pizza sfincione, torta, pecorino, ricotta, méchouis et Melohia…» A la maison, parfois, les grands-parents parlaient entre eux en sicilien lorsqu’ils devaient se dire des choses qui ne concernaient qu’eux.
Notre artiste Gérald di Giovanni a ainsi toujours entendu parler de sa Tunisie par son père et ses grands-parents comme d’un paradis perdu… la douceur des soirées, le ciel bleu, le soleil brûlant, les plages, les pâtisseries, la cuisine, l’ odeur du jasmin, le chardonneret en cage, le poisson, le Saf Saf, les restaurants de La Goulette, Carthage, Sidi Bou Saïd, Paparone, les bambalonis, les souks, le café Bondin et bien d’autres choses encore…Un nom à consonance sicilienne était toujours le prétexte pour trouver une référence en Tunisie, tellement les deux pays étaient et sont extrêmement liés ! Le dimanche en famille, après la Caponata, le couscous ou la pizza à la pâte épaisse (la vraie pizza sicilienne), son grand-père préparait le traditionnel thé aux pignons, dans une théière « ramenée de Tunis », comme il aimait à le préciser.
Cependant, Gérald, comme toute une deuxième ou troisième génération déracinée de son propre pays, qu’il n’a jamais connu, connaissait la Tunisie dans ses moindres détails sans y avoir jamais mis les pieds, jusqu’à ce jour de mars 1999 où l’un de ses oncles lui offre son premier séjour: Tunis, Fouchana, Kairouan, Tozeur, Sbeïtla ( où son grand-père avait été prisonnier), une tentative de traversée du Chott El Djerid avec une vieille Fiat, et ensuite Gabès, Hammamet, le Cap Bon. Ce voyage avait tout d’un vrai pèlerinage !
Là, il y a eu un déclic qui marquera à jamais notre Gérald, et après avoir terminé sa formation de peintre à l’Ecole nationale des arts visuels de la Chambre à Bruxelles et déposé sa méthode d’enseignement à l’Inpi, il crée à Lyon et Ville-Franche-sur- Saône deux écoles de peinture et, dans la foulée, « l’Académie Orientaliste » pour emmener ses élèves peindre en Tunisie. Succès immédiat jusqu’au jour où ce qui devait arriver arriva, la rencontre d’Amira, une séduisante Tunisienne, et un mariage en juillet 2013 qui le fixe une bonne fois pour toutes en Tunisie où aujourd’hui, il enseigne sa méthode dans son bel atelier de La Goulette (le choix de la ville n’est pas un hasard). Et quoi de plus beau qu’un petit enfant tunisien né en 2014, nommé Skander di Giovanni, pour sceller ces liens entre la Tunisie et la Sicile si proche et encore présente.
Gérald incarne ainsi cette « méditerranéité » si riche et si généreuse, il est, en lui seul, un carrefour de civilisations, de langues, de cultures, de religions. Artiste-peintre talentueux et si rêveur, subtil, authentique, exotique et sensuel… Quelles que soient les méthodes ou les techniques mises en œuvre pour illustrer les idées ou les influences qui viennent les orienter, son principe reste celui d’un engagement artistique œuvrant pour la beauté et l’amour des choses.
Gérald di Giovanni est, entre autres, Grand Prix de la Ville d’Aix-en-Provence 1997 et Prix 2000 de la fondation Paul-Ricard (France)