Si Valentine de Saint-Point fut une amazone fantasque, bohème, passionnée, exubérante, imprévisible, révoltée, en ébullition, le travail de Fawzia Zouari est, quant à lui, rigoureux, précis, documenté, scientifique…
On connaissait Isabelle Eberhardt, Lady Stanhope — encore que d’après Fawzia Zouari, tout n’a pas été dit sur ces aventurières fascinées par l’Orient — mais personne, absolument personne, ne connaissait Valentine de Saint-Point, cette nièce oubliée de Lamartine. Jusqu’au jour où, sur la suggestion d’un de ses professeurs, Fawzia Zouari décide d’en faire le sujet de sa recherche. Ou tout au moins le prétexte dans son esprit, car il lui fallait un sujet pour pouvoir s’inscrire et obtenir une carte de séjour. A Dieu vat, que ce soit donc cette Valentine qui lui semblait bien mystérieuse, et ne méritait guère ce silence de l’Histoire.
Que dire sinon que ce fut une lente, longue et passionnante plongée dans l’univers d’une des femmes les plus fascinantes de son siècle ! Quand Fawzia Zouari en parle, avec des étoiles plein les yeux, et avant même que de lire son livre, on est sidéré par l’intensité du personnage, la densité de sa présence, la puissance de son sillage en un temps peu clément aux femmes. Et l’on peut comprendre que l’auteure ait choisi de vivre sur ses traces, d’y revenir, et de continuer à être hantée par cette héroïne hors normes. Au point que, après lui avoir consacré une thèse, puis une biographie romancée, elle a décidé de lui rendre justice par une vraie biographie qui se lit comme un roman policier.
Car il est difficile de suivre le cours de la vie de cette Valentine si aventureuse, à moins de lui coller au plus près. Ce qui n’est pas évident, les derniers témoins ayant disparu ou presque. Alors, prenant son bâton de pèlerin et sa loupe de Sherlock Holmes, Fawzia Zouari a écumé les villes, les pays où avait vécu son héroïne. Elle a retrouvé des documents, des archives, mais aussi un neveu, des descendants par alliance, des membres d’une mystérieuse confrérie à laquelle elle appartenait. Elle s’est rendue au Caire où Valentine avait terminé sa vie, sillonné la ville sur ses traces, mettant ses pas dans les siens, emprunté son regard en l’ajustant à son temps, dépoussiéré les journaux de l’époque, les courriers diplomatiques, les rapports des services secrets, analysé, recoupé. Elle n’a rien laissé au hasard, fouillant patiemment les replis de l’Histoire, abattant un impressionnant travail de scribe dont la minutie, la précision laissent le lecteur pantois. Car si Valentine de Saint-Point fut une amazone fantasque, bohème, passionnée, exubérante, imprévisible, révoltée, en ébullition, le travail de l’écrivain est, quant à lui, rigoureux, précis, documenté, scientifique. Plus encore que le portrait et le parcours de cette pasionaria hors normes, douée de tous les talents, qui fit de la cause arabe sa cause, tourna le dos à son passé, son pays, sa foi, pour s’engager à cœur perdu dans un autre univers, une autre dimension; ce qui est fascinant c’est le regard de Fawzia Zouari, sa capacité à mettre les choses en abysse, et de voir, dans les convictions et quelquefois les contradictions de ce personnage, les prémices de grandes idées, de grands mouvements qui se développeront et se confirmeront bien plus tard. Valentine de Saint-Point a-t-elle tout pressenti de ces lignes de force qui sous-tendront notre siècle ?
Sous la plume de Fawzia Zouari, on est tenté de le croire.F