La baisse du pouvoir d’achat, un contexte socioéconomique délicat et un climat politique tendu ; autant de facteurs qui ont eu droit du côté bon-vivant des Tunisiens. Pourtant, ces derniers ne rataient aucune occasion pour se faire plaisir, cajoler leurs proches en leur offrant ce qu’il y a de meilleur, même à moindre coût. Cependant, l’instabilité qui règne en maître, caractérisant ainsi toutes les facettes de la vie, semble délester, de plus en plus, les Tunisiens de leur joie de vivre. En cette période de soldes, qui représentaient pour la classe moyenne l’occasion tant attendue pour faire l’acquisition de nouveaux habits, le climat commercial gémit sous l’emprise d’une réticence amplement justifiée. Les moyens de la classe moyenne ne suffisent plus et ne permettent, par conséquent, plus de s’adonner au gaspillage ! Se serrer la ceinture en vue de répondre, un tant soit peu, aux besoins élémentaires des ménages et épargner — si possible —pour les dépenses inopportunes, deviennent le réflexe d’un consommateur plus craintif que jamais.
Il est 10h30 en ce mardi 2 février 2021. Le beau temps vient contrecarrer une ambiance quelque peu morose au centre-ville de Tunis. Cela fait cinq jours que les vitrines ont pris des couleurs attrayantes d’autocollants, affichant des remises allant jusqu’à 50%. Les soldes d’hiver ont démarré, en effet, le 29 janvier 2021 ; une date qui tranche la saison dans l’espoir, sans doute, d’inciter les férus de mode ainsi que les parents à renouveler leurs garde-robes. Toutefois, l’effervescence commerciale escomptée par cet évènement tombe à l’eau : on ne se bouscule point au-devant des enseignes internationales, on ne fait pas la queue, comme si les autocollants n’avaient aucun impact sur les passants…
Recettes quotidiennes minimes
Dans le centre commercial le plus réputé du centre-ville de Tunis, l’ambiance semble pesante. Seuls quelques clients et autres badauds sillonnent les pavillons quasi désertés. Un silence lugubre confère à l’espace un aspect funèbre.
Hatem travaille comme responsable dans une boutique de prêt-à-porter pour hommes. Il occupe la boutique ainsi qu’une vendeuse. Tous les deux se regardent en chiens de faïence comme s’ils se demandaient, sans le dire, s’il y aurait enfin des ventes en ce cinquième jour des soldes. «Nous n’avons pas enregistré des ventes dignes d’une fin d’année et encore moins des débuts de la saison des soldes d’hiver. Les manifestations organisées le week-end dernier ont rendu impossible l’accès au centre-ville pour faire du shopping. Nous voilà en début de semaine et toujours pas d’affluence ! », fait-il remarquer, perplexe. Cela fait des années que les ventes sont en baisse ; une réalité en rapport intrinsèque avec la baisse du pouvoir d’achat. Même durant les périodes de grande dynamique commerciale, les recettes quotidiennes de ladite boutique se limitent aux prix d’un ou de deux articles, tout au plus ! « Organiser des soldes en cette période de l’année nous convient dans la mesure où, grâce aux remises appliquées, nous ne faisons qu’inciter les consommateurs à l’achat. Plus les recettes seraient importantes, plus nous serions capables de subvenir aux charges multiples. Le loyer de la boutique s’élève, à lui seul, à 7.000dt par trimestre, sans oublier les salaires du personnel, les factures d’électricité et autres », énumère-t-il. Néanmoins, la liquidation de la marchandise tend à tarder… Pour Hatem, la dynamique commerciale au centre-ville est en baisse depuis quelques années…
Des remises alléchantes, en vain !
La situation est similaire pour les boutiques de prêt-à-porter féminin. Rym Laaouini est responsable dans une boutique de vêtements pour femmes. Elle ne cache pas son étonnement et son inquiétude quant à la situation commerciale. «Les ventes se font de plus en plus rares, que ce soit avant ou durant les soldes. Cette situation me rappelle les périodes d’après-aïd, où les Tunisiens ont réussi à faire la totalité du shopping et où les ménages ne manquaient de rien ! », dit-elle, en affichant un sourire amer. Pis encore, elle avoue que de nombreux commerçants n’ont pas pris le risque de faire des approvisionnements importants en marchandises, tant à cause des difficultés financières qu’en raison de la baisse des taux de vente. «D’autant plus que les fournisseurs n’acceptent plus des chèques antidatés de peur de ne pas être payés. Pour les commerçants qui peinent à subvenir aux charges, il devient difficile de garantir les salaires du personnel. Dans cette boutique, par exemple, nous étions six vendeuses. Nous ne sommes plus que trois. Il s’agit de l’ébranlement de toute une chaîne, le gagne-pain de plusieurs ménages est en jeu», indique-t-elle. Et d’ajouter que la présente saison des soldes se caractérise, pour la majorité des boutiques, par une démarche atypique. «Nous avions l’habitude de procéder à une première démarque, laquelle offre aux clients la possibilité de bénéficier de remises allant de 10 à 30 %. Cette année, poursuit-elle, nous avons décidé d’anticiper sur les offres en commençant la saison des soldes par des remises allant de 30 à 50%, et ce, dans l’espoir de voir affluer les clientes, en masse. Nous avons même inclus la nouvelle collection dans la panoplie des articles soldés, en vain ! ».
Si la plupart des boutiques recourent aux soldes pour liquider leurs marchandises, Moncef, commerçant d’articles de décoration et d’accessoires pour hommes, femmes et enfants, n’y participe pas. Pour lui, le problème, dont souffrent les commerces implantés au centre-ville de Tunis, revient, entre autres, aux mesures de sécurité exhaustives, appliquées aux alentours du ministère de l’Intérieur et de l’ambassade de France, mais aussi aux difficultés de stationnement.
Nouvelles collections non soldées
L’espace du centre commercial est à peine animé par une poignée de clients. Jouhaïna Mbarek, étudiante, vient de profiter des soldes d’hiver. Pour elle, les remises sont quelque peu encourageantes, en dépit des pratiques douteuses auxquelles s’adonnent certains commerçants. « Les soldes en Tunisie sont toujours axés sur des articles anciens. La nouvelle collection n’est jamais soumise aux prix promotionnels. D’autant plus que pour les chaussures, il est difficile, voire impossible parfois, de trouver les pointures moyennes. Seules les petites et grandes pointures demeurent disponibles », souligne-t-elle.
Aïda Sakr, Sinda Sakr et Syrine Bou Sataâ sont étudiantes. Elles font du lèche-vitrine avant de se décider en achetant des vêtements soldés. Pour Syrine, certaines enseignes fiables procèdent à des promotions intéressantes. «J’ai réussi à dénicher un sac à main dont le prix initial était de 90dt à seulement 75dt. J’ai aussi acheté un pantalon à 69dt, soit une remise de 10dt. Certes, mais je tiens à insister que, pour inciter les consommateurs à acheter durant la période des soldes, mieux vaut y inclure la nouvelle collection », souligne-t-elle.
Plus de contrôle pour stopper la fraude
Pour Aïda Sakr, 22 ans, la période des soldes représente un rendez-vous immanquable. Cette jeune fille n’hésite pas à faire des économies en achetant des habits à moitié prix. «Certes, je ne consacre jamais un budget spécial soldes. Cependant, pour acheter des vêtements, je trouve que des remises allant jusqu’à 50% valent bien la peine », indique-t-elle.
Quant à Sinda Sakr, elle trouve que des remises appliquées sur des produits de qualité confirmée méritent le détour. C’est le cas, par exemple, des espadrilles de marque. En revanche, le consommateur devrait toujours être avisé quant aux prix initiaux des articles soldés. «Faute de contrôle rigoureux, certains commerçants procèdent à l’arnaque en gonflant le prix initial pour persuader le client d’une fausse remise tout en l’amadouant et en lui vendant au prix initial. Personnellement, j’ai repéré un sac à main dont le prix initial était de 119dt. Le jour des soldes, les responsables de la boutique ont tout bonnement affiché un prix initial gonflé de 150dt pour persuader le client que le prix promotionnel est de l’ordre de 119dt», indique-t-elle.
Photos : Koutheïr KHANCHOUCH