Les Tunisiens se sentent capables de gérer seuls des problèmes de santé bénins. Mais quand ils le font, est-ce de manière responsable ?
Avec un déficit des systèmes de prise en charge, un déremboursement des médicaments, une augmentation des tarifs des médecins privés, une baisse continue du pouvoir d’achat… l’automédication ne cesse de prendre de l’ampleur en Tunisie, et cette crise sanitaire liée au covid-19 ne fait que nous conforter dans cette idée chaque jour, d’où l’urgence d’en parler et de mettre le doigt sur les vraies causes ayant conduit à cette situation.
Les raisons sont multiples
«Cette pratique, qui ne date pas d’hier, devient de plus en plus courante en raison de la pandémie que nous traversons…Et dans ce contexte particulier, les Tunisiens trouvent normal et n’hésitent pas d’ailleurs à payer les médicaments sans ordonnance plein tarif, et ce, afin d’éviter le déplacement aux cabinets qui enregistrent un pic d’activité au cours de cette période», indique Ferdaouss B., une pharmacienne qui exerce depuis plus de 10 ans. Elle ajoute, qu’outre cette situation sanitaire exceptionnelle, cela s’explique aussi par une série de facteurs qui transforment, à différents niveaux, le comportement des citoyens. Il y a tout d’abord la couverture sociale, qui s’est améliorée avec la Cnam, mais qui n’est pas tout à fait généralisée. Il y a aussi le plafond annuel des montants des prestations, fixé à 250 dinars, mais qui reste insuffisant avec un niveau de vie et un pouvoir d’achat qui ne cessent de se dégrader depuis maintenant une dizaine d’années. A cela, on ajoute un contexte économique, politique, social et sanitaire instable, le tout accompagné d’un système sanitaire faible, fragile et précaire. «A cet égard, avec ce constat alarmant et face à cette situation, cette somme de 250 DT est insignifiante, aujourd’hui. Et donc, dans la plupart du temps, lorsque le citoyen rencontre un problème de santé bénin, il se trouve obligé, par manque de moyens financiers, de recourir à l’automédication, sans passer par un médecin spécialiste ou même généraliste… Bien sûr, certains médicaments peuvent être achetés sans ordonnance chez le pharmacien pour traiter de petits symptômes (rhume, mal de gorge, nez qui coule, toux sèche, état fiévreux, constipation passagère, contraception…), mais un médicament reste un médicament. Et donc, en cas de recours à l’automédication, il faut le faire de manière responsable, en lisant attentivement la notice du médicament, en voyant le pharmacien pour lui demander conseil, en évitant l’usage excessif du médicament…», explique-t-elle.
Une pratique aussi inefficace
Pour sa part, Saloua B., propriétaire d’une pharmacie, nous indique que les risques de cette pratique sont pourtant importants car elle peut potentiellement aggraver les symptômes puisque l’automédication ne prend pas en compte certaines allergies connues. Elle peut entraîner, également, un diagnostic erroné, ou produire, dans certains cas, des effets secondaires qui peuvent provoquer d’autres maladies en cas de contre-indications non respectées… D’où la nécessité de sensibiliser les citoyens aux dangers de cette pratique.
«Il faut le dire, l’automédication est la responsabilité de tous ; l’Etat qui doit jouer pleinement son rôle en améliorant la couverture sociale et l’accès aux soins (parce qu’il est le premier et le principal garant de la santé publique), les professionnels de la santé (notamment les pharmaciens qui doivent éradiquer ce phénomène) et les citoyens (avec la nécessité de les sensibiliser aux dangers de l’automédication et à l’usage abusif des médicaments)…Mais malheureusement, outre les moyens financiers, le manque de conscience est sans nul doute la conséquence de cette situation. Dans plusieurs cas, même avec la disponibilité des moyens financiers, le citoyen choisit l’automédication, considérée souvent comme le chemin le plus court et le plus facile… Pour notre part, nous, les pharmaciens, ne devons pas céder à la pression des citoyens quand ils demandent un médicament sans ordonnance médicale, notamment les antibiotiques ou ceux destinés au traitement des maladies chroniques (diabète, asthme, maladies du poumon, du foie, hypertension, cancer, obésité…), sinon c’est leur santé qui sera en danger. C’est une réalité et un mal auxquels on ne peut tourner le dos et devant lesquels il ne faut, surtout pas, fermer les yeux», explique-t-elle.