En juillet 2021, en plein été, marqué par la crise du coronavirus, une image apparaît sur un mur public en banlieue de Tunis et provoque des passants lambda qui s’empressent de la faire disparaitre. Non signée et en guise de réactions, des internautes
ont identifié et soutenu son créateur sur les réseaux sociaux. Encore méconnu y compris dans le milieu artistique, ce dernier n’en est pourtant pas à son premier coup d’essai. Rencontre insolite.
Le Street Art interpelle et fait parler les murs des villes : il provoque réactions diverses, interrogations et laisse libre cours à différentes interprétations. En général, souvent engagée et porteuse de messages socio-politiques, cette discipline artistique s’adresse à la foule et la titille même quand il s’agit de dessins, ou de formes spontanées dépourvues de sens précis… Et c’est, spécifiquement, la touche Hidouri.
Souhaiel Hidouri a 31 ans et a consacré sa vie à entretenir sa passion depuis sa plus tendre enfance. Au fil du temps, sa peinture a muté en collage et il s’est façonné un savoir-faire qu’il a transformé en Street Art… toujours sous couvert d’anonymat. Dans une Tunisie postrévolutionnaire où la libération de la parole et de la création ont fait et défait la dernière décennie, l’artiste a pourtant opté délibérément pour la discrétion.
Fresques, formes, silhouettes et portraits intrigants en couleurs continuent à émerger discrètement et momentanément sur les murs de différentes rues, sur les pierres, conteneurs, ou dans les chantiers en construction ou abandonnés dans différents gouvernorats de Tunisie : de Gafsa, à Sfax (où il a étudié) en passant par Tunis et ses banlieues. Des formes qui apparaissent de nuit, faites souvent en peintures acryliques ou en collage.
Des débuts presque ordinaires …
Enfant, Souhaiel Hidouri observait les formes et dessins divers que dessinait sa sœur et les reproduisait en portraits, dessins et en caricatures. Il couchait tout ce qu’il ressentait. Le crayon est son porte-parole : il convertit ainsi croquis et esquisses souvent drôles, qui ne révèlent pas forcément de grandes réflexions, mais qui restent particulièrement attractives. Des formes qui quitteront le papier, et s’empareront de l’espace public.
Conscient que cette activité pouvait lui causer ennuis et heurts de la part de la police et de son entourage, l’artiste, désormais adolescent, opère de nuit. « À l’âge de 16 ans, je m’éclipsais discrètement de ma chambre et je sautais par la fenêtre avec mon sac à dos, dans lequel je mettais mes sprays. Puis, je choisissais un coin et peignais mon graffiti ». Déclare l’artiste, originaire de Ksour Essef, gouvernorat de Mahdia.
La passion s’est mêlée à l’aventure, aux prises de risque, à la création, qui irritait les parents et surtout les autorités d’avant la révolution … et même celles d’après. « Je me suis souvent fait épingler par la police : des avertissements, j’en ai reçu de sérieux, au grand malheur de mes parents… mais je persévérais et j’ai dû prendre de la distance, avec le foyer familial ».
L’artiste, une fois son baccalauréat en poche, a continué à alterner passion et études universitaires en intégrant l’Ecole nationale d’électronique et des télécommunications à Sfax. Un cursus qu’il a abandonné aussitôt, dévoré par sa passion pour les Beaux-Arts au supérieur … qu’il n’a pas pu aussi entamer concrètement, faute de moyens. Son côté autodidacte a finalement pris le dessus : lectures en solo et rencontres se faisaient… et ses recherches tournaient autour de l’histoire de l’art, les peintres de génie, et les parcours d’artistes réputés. Un savoir qui l’a enrichi, atténuant ainsi sa frustration grandissante face aux réactions des gens et à sa touche qui dérangeait de plus en plus : ses graffitis passaient souvent pour de la provocation aux yeux des récepteurs, spécialement dans de nombreux quartiers. Soutenu par des amis et connaissances, il est parvenu à se frayer son propre chemin. « Je n’ai cessé de me balader toujours avec un mètre ruban dans la poche, pour pouvoir mesurer les dimensions d’un espace qui m’intéressait. Sur une surface ou un mur qui me plaisait, je collais un repère. Et je revenais encore la nuit pour l’appliquer. » Racontait –il enthousiaste.
De soir, l’inspiration prenait forme en peinture : formes diverses, reproductions, portraits de femmes ou de personnes célèbres, bribes de corps et formes anatomiques surgissaient… Plusieurs méthodes qu’il a troquées contre du collage afin d’éviter les altercations avec les autorités et minimiser les risques. Il le crie haut et fort : « Le collage m’a sauvé la vie ».
Le terrain ne l’a pas éloigné de l’univers digital : Souhaiel Hidouri a continué à créer via sa tablette graphique depuis 2014. Illustrations, manipulation de différents logiciels lui ont permis de concrétiser divers expérimentations numériques. Des portraits en peinture acrylique, il continue à en créer. Particulièrement attiré par cette technique, Souhaiel Hidouri continue à s’exprimer à travers des visages et leurs traits. « Je m’exprime à travers chaque regard ou chaque trait de visage, chaque ligne… Je ne peints que ce que je sens et que ce que j’aime ». Conclut-il.