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Tribune | La stratégie étrangère des islamistes contre celle du Président de la République

Par Nizar Ben Saad*

D’un côté la manipulation, de l’autre la volonté démocratique de servir le pays. Avec sa toile habilement tissée, l’islam politique a toujours fonctionné selon une logique qui privilégie la praxéologie dans les relations internationales. Peu importe l’éthique, pourvu que les dirigeants de cette doctrine assurent leur prééminence dans la région et imposent leur diktat, en l’occurrence sur la société tunisienne.  Au cœur de la stratégie politico-religieuse des Frères musulmans, la « taqiyya » permet tous les recours, autorise toutes les «dissimulations », multiplie tous les « mensonges » sans oublier le « double jeu » pour s’attaquer sournoisement aux valeurs fondatrices de la République. « La fin justifie les moyens », disait le Florentin.

Depuis l’accès au pouvoir en Tunisie de l’islam politique, une logique de l’allégeance à certains pays étrangers s’est mise en branle. Porteuse d’effets contre-productifs, une telle inféodation met à mal la souveraineté nationale, qui n’est autre que l’autonomie, l’exclusivité et l’étendue de la décision.

Tout a commencé avec le retour de l’exilé Rached Ghannouchi à Tunis en 2011, scandant devant une foule déchaînée, dans le hall de l’aéroport de Tunis-Carthage : « Le peuple est musulman, il ne cèdera jamais ».

Ce jour-là, les partisans de l’islamiste ont entonné à pleins poumons des « Allah Akbar » tapageurs afin de rassurer les fondamentalistes et autres intégristes puissamment soutenus par les bailleurs de fonds de l’islam politique.

En peu de temps, les choses sont devenues plus claires avec les propos tenus par le Secrétaire général d’Ennahdha, Hamadi Jebali, proposé au poste de Premier ministre, à propos de la « khilafa arrachida » (du 6e Califat).  Lapsus ô combien révélateur qui en dit long sur les véritables intentions des islamistes de torpiller l’œuvre du mouvement nationaliste, celle du progrès, de l’émancipation et de la souveraineté nationale. Et sur la confusion sciemment entretenue entre le noble islam et l’islamisme politique.

L’avènement de la Troïka et l’installation à Carthage de Moncef Marzouki en tant que président provisoire n’ont fait qu’enfoncer le clou et envenimer les choses. Depuis leur succès aux élections de l’Assemblée constituante, le 23 Octobre 2011, les islamistes et leurs alliés ressassent les mêmes propos relatifs au « retour aux sources », seul salut pour une Tunisie « nouvelle ». Comme si régression équivalait à progressisme !

Une Troïka, littéralement sous la férule des islamistes, obnubilée par le « grand schisme » des deux blocs : les mécréants (l’Occident chrétien) et les musulmans. Telle fut la littérature des fantassins islamistes qui s’est cruellement abattue sur le pays au point de le défigurer, de le dénaturer. Prétextant « la liberté » de l’habit, le voile intégral (le niqab) a submergé les rues de Tunis affectant le climat sécuritaire. Les attentats-suicides meurtriers perpétrés partout en Tunisie ont été souvent salués par les partisans de l’islam politique, à commencer par Daech. Aujourd’hui encore, nous en subissons les fâcheuses conséquences.

Les risques d’une diplomatie parallèle : celle de l’islam politique

L’affirmation de rapports privilégiés, pérennes et stratégiques entre la Tunisie et deux puissances régionales arabes, en l’occurrence l’Algérie et l’Egypte, inquiète les islamistes tunisiens. La Tunisie, dont la valeur stratégique réside entre autres dans sa proximité avec l’Algérie qui nourrit les ambitions des uns [qu’est-ce qui nourrit ? l’Algérie ou la proximité de la Tunisie avec son voisin ? dans ce second cas, il faut mettre un « et » avant « qui nourrit »] et des autres, risque d’être livrée aux alliés de l’islam politique. Dans cette perspective, l’activité diplomatique et stratégique en politique extérieure de la Tunisie depuis 2011 a beaucoup aidé à semer le désarroi et la confusion dans les institutions de l’Etat.

La diplomatie parallèle initiée par le parti Ennahdha a sans doute ébranlé les principes de la diplomatie officielle. Les prises de position de la Tunisie en matière de relations étrangères aux lendemains de l’indépendance et de la proclamation de la République ont toujours eu une résonance toute moderne, vivante, pleine de sève nouvelle et de chaleur humaine. Mettant en évidence les interactions qui illustrent la réalité du dialogue dans les conflits internationaux, la Tunisie a pu faire entendre la voix de la raison dans le concert des nations. Telle fut la diplomatie conduite par des acteurs stratégiques, comme Tahar Ben Ammar qui, lors des négociations relatives à l’autonomie interne et ensuite à l’indépendance de la Tunisie, a posé les bases solides d’une diplomatie fondée sur le dialogue, sur une éthique de la responsabilité et de la conviction, conçue comme clé de voûte de la politique étrangère d’une jeune nation dotée de tous les attributs de la souveraineté, appelée à être en phase avec les défis de son temps. Telle fut encore la diplomatie entreprise par Bourguiba au nom d’une vision contemporaine véritablement fraternelle des citoyens, éprise de diversité, vouant une hostilité particulière à toutes les dominations arbitraires.

Les islamistes, amis particulièrement proches du Qatar et de la Turquie, ont quelque peu réussi à fissurer l’unité de la diplomatie officielle. Un tel tropisme se confirme au point que les Tunisiens ont l’impression que le pays est vendu en petits morceaux à ces deux pays, avec qui d’ailleurs la Tunisie a toujours entretenu des relations confiantes et de respect mutuel, comme avec tous les pays du monde. Jouissant d’immenses privilèges en Tunisie, les partenaires étrangers du mouvement Ennahdha ont investi des sommes colossales pour que ce parti puisse s’éterniser au pouvoir. Si par bonheur l’article 163 du Code électoral était activé, un grand nombre de députés, selon le rapport de la Cour des comptes, ayant reçu un financement étranger pour leur campagne, perdraient leur place au Parlement. Monsieur le Président, qu’attendez-vous pour agir et sévir contre ces partis corrompus ? Les attentes à ce sujet sont énormes ! Ce serait un camouflet cinglant pour ces députés irresponsables de se retrouver désavoués de manière aussi inédite que lamentable. La loi, pièce maîtresse de la démocratie, en sortirait renforcée.

Avec juste ce qu’il faut d’insolence, le « mentor » du parti islamiste Radhouane Masmoudi multiplie les provocations. C’est constamment vers l’étranger que ce grand lobbyiste, qui a vainement cherché à conquérir le ministère des affaires étrangères, s’est retourné pour demander un soutien en vue de discréditer le Président tunisien, allant jusqu’à demander effrontément au secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, de prendre une position plus ferme en Tunisie et de conditionner le soutien financier américain au respect de la démocratie. De son côté, le chef du parti islamiste multiplie les formules médiatiques, tonitruantes et controversées, ne lésinant sur aucun effort pour lancer une vaste campagne destinée à noircir l’image du Président, à renverser sa réputation, bref à le mettre à genoux en dénonçant ce qu’il appelle les « faits du Prince ». 

Membre des Frères musulmans, Ennahdha jouit d’une toile d’araignée médiatique des plus impressionnantes, puissamment soutenue par Al-Jaseera, donc par le Qatar, et qui s’étend jusqu’à Londres où les islamistes sont encore influents, même s’ils agissent le plus souvent sous le contrôle ambigu des autorités anglaises. Des relais disséminés à travers le monde, maniant avec virtuosité les intox et les désinformations en vue de décocher les flèches les plus acérées contre leurs adversaires, en l’occurrence contre le Président Kaïs Saïed. Celui-ci vient pourtant d’être derechef plébiscité selon le baromètre politique du mois d’août 2021 : en cas d’élections anticipées dans le pays, 91,9% des sondés assurent qu’ils voteraient pour le locataire actuel du Palais de Carthage.

De quoi exaspérer le parti islamiste qui cherche par tous les moyens à impliquer des complices étrangers aux plus offrants. Certains organes de presse internationale lui ont déjà ouvert les portes dans l’intention de se redonner une légitimité qu’ils risquaient de perdre. C’est pourquoi il serait fallacieux et réducteur de conclure trop hâtivement à l’attitude « bienveillante » du parti islamiste à l’égard du mouvement du 25 juillet ; il cherche de manière retorse à mettre en place des voies alternatives au dialogue. Un « niet » catégorique lui a été opposé par un Président déterminé à poursuivre sur sa lancée authentiquement démocratique.

Constat amer et combien tangible à l’international

Ouvrons les yeux : sous le sempiternel prétexte de soutenir la Tunisie dans sa lutte contre la tarentule terroriste, des puissances étrangères contrôlent encore, au su et au vu de nos décideurs politiques, nos frontières de même qu’un nombre important de sites sensibles, dans la perspective de fomenter, le moment opportun, des troubles destinés à faire et à défaire de nouveaux dirigeants politiques indéfectiblement acquis aux visées impérialistes. À ce jour, les Tunisiens ne savent toujours pas si les Américains disposent ou non d’une base militaire sur le sol tunisien. La question a pourtant nourri de vives polémiques depuis l’avènement de la Troïka. Les autorités tunisiennes ne disent mot sur cette question pourtant cruciale pour la sécurité nationale. Ne sommes-nous pas dans une démocratie où le droit à l’information est capital ?

Par ses recours à l’étranger, le chef du parti islamiste apparaît désormais pour beaucoup comme un objet de mépris, conspué et discrédité. Cette nouvelle aberration qui frappe notre pays sous des prétextes insidieux n’est qu’un énième acte mafieux auquel nous devons faire face. L’intérêt national suppose des attitudes fermes contre les « nouveaux envahisseurs » de la Tunisie. Car à force d’ingérence dans les affaires internes de notre pays, la conscience de la souveraineté s’effilochera immanquablement, inexorablement.

Encore une fois, faute d’une feuille de route claire et raisonnée, nous risquons derechef de sombrer dans la cacophonie. Toute imprécision, indécision, tous atermoiements ne feront que renforcer les ingérences dans notre pays, ingérences portées à prospérer sous nos climats, autrefois stables et sécurisés. Faute d’une feuille de route rassurante, l’euphorie ambiante engendrée par la décision du 25 juillet cédera le pas à une dysphorie des plus affligeantes.

Autant le Président jouit encore d’une immense popularité, notamment auprès des jeunes, des laissés-pour-compte avides de justes réformes et des gens éclairés, autant les ennemis, dedans et dehors, risquent de devenir plus nombreux.

L’ambiguïté qui plane sur le paysage politique et économique est une arme à double tranchant. Elle peut à la longue nuire au Président. Véritable gageure pour lui que de rétablir la situation institutionnelle et politique, en redonnant toute sa place à une diplomatie raisonnée, celle du dialogue, du respect et de la réciprocité ; en continuant à défendre l’Etat tunisien contre ses ennemis, ceux voués à déstabiliser le pays, d’exaspérer le conflit entre les partenaires traditionnels et stratégiques de la Tunisie. Le pire étant, chez les islamistes, dont on connaît l’ambition de l’arrière-plan politique et idéologique, la volonté de jeter le discrédit sur un Président prétendument « despotique », « aliéné », et qui serait par conséquent « inapte » à exercer la magistrature suprême. Cela serait une insulte inqualifiable et qui relèverait de la haute trahison.

N.B.S.

*Universitaire

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