Après les épisodes de la grève de la faim, le rassemblement de protestation non fructueux du 24 mars 2021, l’Union des doctorants et docteurs chômeurs met un nouveau point d’honneur pour réclamer le droit à l’emploi et porte un coup de pression sur le gouvernement pour qu’il remédie à leur situation. Car rien n’a été fait malgré «les belles promesses»…
Comme une onde de choc, la déclaration lors du sit-in du mercredi 8 septembre 2021 d’un doctorant chômeur résume tout le malaise : «Il est malheureux de constater que le citoyen tunisien paye rubis sur l’ongle la scolarité de son enfant durant tout son parcours jusqu’à l’université, alors qu’il est condamné à être un futur chômeur».
La situation précaire de nombreux doctorants chercheurs est un problème latent, pire que celui de la fuite des cerveaux. Le chômage longue durée qui touche un contingent de 5.000 doctorants est imbriqué et indirectement lié à celui de la fuite des cerveaux, ce qui cause de nombreux torts depuis au moins un an. Si bien que les choses empirent au vu de la grève de la faim observée en début d’année. Depuis le 29 juin 2020 précisément, de leur propre avis, rien n’a évolué dans le bon sens. Une banderole qui mentionne le motif du sit-in rappelle combien depuis cette date, il y a un besoin pressant de changer le cours des choses sous le hashtag : «Le recrutement des titulaires d’un diplôme de doctorat est un devoir national».
Les promesses de l’ancien chef du gouvernement qui tablaient sur le recrutement de 3.000 docteurs sur 3 ans n’ont pas abouti.
Celles du Président de la République qui n’ont pas connu de suite favorable non plus sont la goutte de trop. Avec la chute de l’ancien gouvernement et le gel du Parlement depuis le 25 juillet 2021, les choses ont fait du surplace, si bien que les 5.000 docteurs déclarés au chômage ont décidé de sortir les crocs une nouvelle fois et de manifester leur colère dans la rue.
Le droit à un emploi dignement rémunéré
Mercredi 8 septembre 2021 vers 10h30, juste après avoir entonné l’hymne national en chœur devant le portail du ministère de l’Enseignement supérieur, les docteurs chômeurs mobilisés sur place ont scandé des slogans vindicatifs et remplis de colère qui appellent à ce que le gouvernement les écoute et entende leurs doléances et leur attribue le droit à l’emploi et à un travail dignement rémunéré. On les a interrogés sur place. Bachar Bouklime, la quarantaine, niveau bac+11 selon ses dires et docteur en sciences de gestion au chômage, prête sa voix dans l’intention de faire bousculer les choses : «Je suis bel et bien présent ici aujourd’hui pour demander mon droit à l’emploi durant la manifestation, comme exigé d’ailleurs par l’ensemble de mes camarades mobilisés sur place. Depuis deux mois, les gouvernements successifs ont promis de débloquer la situation, mais ils n’ont fait aucune avancée favorable. La promesse de l’ancien chef du gouvernement concernant un plan de recrutement tri-annuel est tombée à l’eau, alors que l’année tire à sa fin. La prise de bonnes décisions en faveur du domaine de la recherche scientifique est un devoir national surtout depuis le 25 juillet dernier. On compte faire parvenir de nouveau nos voix au Président de la République Kaïs Saïed. L’espoir demeure, même s’il est réduit et s’amenuise au moment où l’on s’attendait à des décisions courageuses post-25 juillet et des améliorations notables. Il est malheureux de constater que le citoyen tunisien paye rubis sur l’ongle la scolarité de son enfant durant tout son parcours jusqu’à l’université, alors qu’il est condamné à être un futur chômeur. Il est venu le temps de faire changer les choses», clame haut et fort un sit-ineur. Etudier longtemps avec de belles aspirations pour finir «dans un mur» scandent-ils en chœur lors de la manifestation.
Hatem, trentenaire, fait partie du mouvement des chômeurs chercheurs qui réclament le droit à l’emploi depuis 2013-2014. Il réclame le droit au recrutement et de trouver des solutions pratiques à long terme en faisant part de son sentiment : «Il faut arrêter les détachements des enseignants de niveau secondaire qui intègrent les universités pour rejoindre le contingent des universitaires. Ce phénomène constitue un obstacle aux doctorants qui ont la priorité, ce qui porte sur 4.000 postes confisqués».
Marche de la colère et du dépit
Ensuite, une marche de la colère s’est déroulée vers 11h30 du siège du ministère en empruntant la rue adjacente Taïeb-M’hiri, avant de transiter par l’avenue des Etats-Unis où il y a le nouveau siège de l’Union générale du travail, comme un symbole. Mais ce n’est pas la destination finale, puisque le groupe de chercheurs chômeurs s’est rendu jusqu’à l’avenue Mohamed-V devant le nouveau siège du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pour clamer des slogans hostiles au ministre en poste actuellement qu’ils appellent à la démission.
Des appels au respect des préceptes de la Constitution sont exprimés en marge de la manifestation. Avant la marche, Kamel Hamdi, porte-parole des docteurs chômeurs, a longtemps pris la parole pour dénoncer des agissements qui vont à l’encontre de leur droit, comme l’intimidation avec la fermeture des accès lors des manifestations précédentes et l’échec des gouvernements successifs qui n’ont entamé aucune réforme viable pour assainir le secteur troublé par beaucoup de failles, de lacunes et d’obstacles qui nuisent à son évolution.
Faut-il arrêter d’encourager les gens à étudier aussi longtemps? C’est une question sensée qu’ils se posent car il est inadmissible d’étudier aussi longtemps et de ne pas trouver un emploi par la suite sur le marché du travail. Une ingénieure en agronomie et membre de l’Union des doctorants chômeurs dévoile les dessous des cartes des enjeux manqués pour leur profession : «Une manifestation a commencé depuis plusieurs années. Le chef du gouvernement précédent a fait plusieurs promesses qui n’ont rien donné depuis une année et deux mois. Soit depuis juin 2020, rien de concret, aucun changement. Notre diplôme n’est pas reconnu et n’est pas classé en Tunisie. Le mastère est le plus haut grade (bac+6) reconnu, tandis que le doctorat (jusqu’à bac+12) est hors classe. A ce titre, il n’y a pas eu de recrutement depuis 2015. Le second obstacle, c’est qu’il y a un cumul : on constate la fin des recrutements, alors qu’en 2014, il y a une moyenne de recrutement de 1.200 docteurs chaque année. C’est la dégradation et l’accumulation des effectifs de docteurs chômeurs depuis 2015 car il n’y a plus de concours d’accès à l’emploi. Lorsqu’on a 12.000 docteurs inscrits, dont 5.000 sont déclarés au chômage, soit près de la moitié de l’effectif total, il y a un problème. Il n’y a pas d’évolution et il faut donc envisager une profonde réforme au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur».
Elle est revenue par la suite sur le problème des détachements précités sous un autre angle où il y a beaucoup de professeurs qui ont quitté la Tunisie pour revenir juste avant la retraite après une dizaine d’années. Le hic est que leurs postes restés vacants ne sont pas destinés aux docteurs, mais pour des vacataires qui occupent un emploi non permanent et ne peuvent pas disposer d’attestations de travail, ni de couverture sociale. Ce sont des emplois précaires. Elle termine stupéfaite : «Imaginez pour le père ou la mère de famille d’un titulaire du doctorat comme la situation est risible. Les enseignants de secondaire sont affectés à l’enseignement supérieur au détriment de docteurs qui sont au chômage, ce qui veut dire une perte importante de la qualité de l’enseignement et de la recherche». Et un chômage de l’élite tunisienne…
Une situation déplorable qui porte atteinte à l’image de la Tunisie post-révolution du 14 janvier 2011 qui défend le droit au travail et à la dignité.
La situation est devenue complexe et fort confuse au fil des ans qu’il sera difficile de dénouer sans stratégie, une sérieuse réforme et une volonté politique. A la manière d’un nœud de fils et cordes complètement enchevêtrés qu’il faut dénouer patiemment.