Il y a de ces films qui se terminent avec le générique fin et d’autres qui t’habitent et que tu traînes des heures durant, des jours, et même des années. Papillon d’or est de ces derniers qui nous transportent autant qu’ils nous transpercent.
La première scène est cruelle, une violence qui nous fait détourner le regard. Acte de torture et d’exécution, qui paraît gratuit ou tout simplement guidé par une pulsion haineuse, pure expression de la bestialité humaine.
Si le film commence par ce coup de poing dans l’estomac et l’on se dit “ c’est bien parti pour un défoulement à la Tarantino, où le sang gicle à flots, ou à la Lynch avec des personnages aux dents d’acier et une oreille coupée jetée sur le gazon croyant la pression va baisser par la suite, Papillon d’or nous tient en haleine avec son personnage central qui porte durant les premières minutes du film le poids de l’histoire. C’est sur lui que se concentre le regard et avec lui on tient le fil de l’histoire. La violence continue à sévir, dans la démarche, dans l’attitude, dans la fermeture d’une portière de voiture, dans l’intrusion dans le poste de police, dans l’altercation avec son boss. Moez est un homme en colère, un homme violent, une dure carapace et un dur à cuire. Abdelhamid Bouchnak commence à désamorcer ce colosse, sa solitude, son cœur brisé, son amour perdu. Le film se joue de nous, nous heurte, nous bouscule puis commence à nous donner des pistes pour décrypter son personnage central.
La complexité des rapports avec le père, sa relation avec sa sœur et sa mère, son amoureuse à laquelle il démêle tendrement les boules, nous révèle Moez sous un autre jour.
Puis vint le petit garçon, silencieux, mais expressif, atteint d’un syndrome qui lui fait perdre progressivement la vue. Voilà une mission que Moez devra mener à bien : montrer au petit garçon les plus belles choses à voir.
De l’horreur du début, nous nous retrouvons sans nous en rendre compte dans le merveilleux, dans l’aventure, dans la tendresse et la poésie.
D’un père qui vomit sa violence au sens propre et figuré, qui se débat avec la vie du mauvais côté, artiste déchu, il fait, de ses blessures, un alibi de torture pour les siens. D’un chef hiérarchique aux apparences bien soignées et aux troubles subtilement suggérés, d’une existence sans formes ni contours sauf le mal qui ronge, Moez retrouve un imaginaire qui lui a fait passer les travers de la vie.
Comment Bouchnak nous a servi ce doux conte entre magie et brutalité? Comment a-t-il réussi à nous conduire sans aucune résistance d’un univers à un autre sans sentir de chute libre?
Ses outils sont simples ; une histoire en laquelle il croit lui d’abord et une manière de raconter sans prouesses techniques musclées. Il nous a donné à voir avec le cœur, il a titillé l’enfant dans chacun de nous, il nous a fait gober les plus gros mensonges et illusions. Dans les yeux du petit garçon, le rêve et la magie, les yeux de Moez s’illuminent en même temps que lui.
Le regard du père d’une fenêtre entrouverte, la caresse d’une sœur qui lui effleure la joue. Le boss qu’on voit dans l’intimité de son foyer et l’on saisit sa complexité rien qu’en nous montrant le regard brisé de sa femme, et sa main qui réajuste sa mèche de cheveux blancs.
Papillon d’or n’est pas cette histoire simple en apparence, d’un égaré blessé par la vie qui se réconcilie avec lui-même en faisant la rencontre d’un petit garçon. Cela aurait été bien simple et du déjà vu.
Papillon d’or est une chasse au trésor, dans chaque détour, une surprise, un rebondissement, un dévoilement, jusqu’à la fin encore et encore. L’auteur joue avec le spectateur, dans un voyage magique, mais d’une extrême réalité.
Tout cet univers-là, l’équipe de Bouchnak le montre dans les détails les plus infimes, dans des boucles de cheveux, dans la tendresse d’un geste, dans un verre de lait chaud, dans des chemises blanches immaculées, dans un bol de «Lablabi» partagé, dans un enfant endormi sur les genoux d’un homme cruel. Dans un “chuut” pour garder le secret…
Les comédiens y sont aussi pour beaucoup, les silences de Rabeb Srairi, le regard glacial de Brahim Zarrouk, les dépassements de Fethi Haddaoui, la subtilité de Héla Ayed, la fougue, la justesse et les nuances de Mohamed Souissi, le regard curieux et malicieux du petit garçon Rayan Daouadi et la magnifique apparition d’Amel Karray et Nejib Ben Khalfallah.
Papillon d’or est un scintillement des choses ordinaires qui, par la force de l’âme, deviennent plus que merveilleuses.
Découvrez la bande annonce du film :
ABDELFATTEH FAKHFAKH
18 novembre 2021 à 09:26
Bravo Asma Drissi pour cette critique profondément personnelle. Des réserves, j’en ai mais je suis heureux que d’autres n’en ont pas.