
Par Manel ROMDHANI
A travers une présentation subtile sur son parcours, l’artiste visuel Mohamed Ben Soltane fait le tour des problématiques actuelles majeures concernant la scène artistique tunisienne. Entre l’œuvre et son processus, l’artiste nous fait déambuler dans ses pensées et son parcours plastique, tout en tissant une toile de questionnements sur le contexte politique, social et culturel tunisien.
La rencontre avec l’artiste visuel Mohamed Ben Soltane accentue encore et toujours des idées qui cogitent dans ma tête depuis le début de mon parcours universitaire à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sousse (2013) autour du musée d’art moderne et/ou contemporain en Tunisie.
Des questions légitimes pour une étudiante qui commence son parcours académique dans un système universitaire qui valorise l’expérience de l’art occidental plus que celui de nos contrées : problématiques, artistes, institutions, etc. C’est une occasion, d’ailleurs, pour remercier les initiatives personnelles de quelques jeunes artistes enseignantes qui font intervenir des artistes tunisien.(ne.)s dans leurs cours. Je cite, à titre d’exemple, «Lecture de l’art»; une initiative proposée par Héla Lamine entre 2014 et 2017 à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sousse. Ce projet mériterait qu’on s’y attarde à une autre occasion.
Revenons sur notre rencontre avec Ben Soltane, à travers une présentation subtile de son parcours, l’artiste a fait le tour des problématiques actuelles majeures concernant la scène artistique tunisienne. Entre l’œuvre et son processus, l’artiste nous fait déambuler dans ses pensées et son parcours plastique tout en tissant une toile de questionnements sur le contexte politique, social et culturel tunisien. Convaincus que l’art et la vie se mêlent, il nous semble évident de passer par la biographie de Mohamed Ben Soltane. Peut-être pouvons-nous tâtonner des pistes de lecture d’une œuvre pluridisciplinaire. D’un père mosaïste, Ben Soltane a décroché une maîtrise en marketing de l’Institut européen des hautes études commerciales, Tunis (2000). Plus tard, il s’est orienté vers des études en art où il a obtenu une maîtrise en peinture (2004) et a entamé une thèse de doctorat entre 2007 et 2015 portant sur la reconnaissance des artistes d’Afrique en Occident.
Un musée d’art moderne et/ou contemporain en Tunisie ?
Merci pour le Musée est une installation-vidéo réalisée par Mohamed Ben Soltane en 2009 à l’occasion de la Journée mondiale des musées. Elle est composée d’un tas de sable de couleur ocre recouvrant un écran d’ordinateur niché dans un sac de ciment et projetant des hommes de plus de 70 ans qui disent : «Chokran ala Mathif ; chokran 3all Mat7if» (Merci pour le musée). A côté de l’écran, nous voyons le manche d’une vieille pelle plantée dans un tas de sable. L’artiste nous fait vivre l’ambiance d’un chantier purement tunisien avec ses premiers équipements de base. Le chantier dont parle l’artiste a traîné de 2003 à 2018. Nous constatons que malgré le contexte historique particulier que la Tunisie a vécu en 2011, l’architecture du projet n’a pas marqué d’être d’un autre âge.
D’une manière ironique, Ben Soltane, comme Halim Karabibène et d’autres artistes tunisiens, dénonce l’absence d’une structure contenant une réserve muséographique et tout ce qui fait un musée. Selon l’artiste, le musée d’art moderne et/ou contemporain naîtra avec au moins vingt ans de retard (rappelant que l’idée du projet de la Cité de la culture a commencé en janvier 1992). Comment peut-on préserver les œuvres des artistes au bénéfice des générations futures ? Les œuvres des artistes tunisiens sont considérées comme un patrimoine culturel uniquement quand l’artiste décide de vendre son travail à l’étranger ! Dans ce cas, l’Etat sort l’artillerie lourde à travers une loi qui est toujours en vigueur et qui interdit aux artistes de vendre leurs œuvres à l’étranger. L’œuvre de Ben Soltane est chargée de questions qui touchent aussi la commission d’achat. Quand on dit musée, on dit collection, conservation, archives, restauration, commission d’achat… C’est tout un système que Mohamed Ben Soltane traverse à travers son œuvre. Avant de passer à l’étape du musée, parlons de la commission d’achat. La commission des chats, œuvre réalisée en 2010, jette la lumière sur les incohérences de la politique étatique en matière d’achat d’œuvres d’art. Une commission d’achat réalise les acquisitions au nom de l’Etat à l’occasion des expositions dans les galeries, mais en vrai, existe-t-il en Tunisie un véritable jugement esthétique par l’Etat, les galeries, la presse ? La commission des chats critique le fonctionnement aberrant de la commission, Ben Soltane dit : «J’étais certain que quelques mois après la révolution, le texte de loi qui régissait cette commission allait changer pour diviser le budget alloué à l’achat d’œuvres entre l’achat d’œuvres majeures pour être montrées dans le musée d’art moderne et contemporain, l’aide à la production au profit des artistes sur appel à projets et un programme de soutien pour les jeunes artistes (aide à la première exposition individuelle). En 2021, rien n’a encore changé et cette commission continue d’acheter une œuvre par artiste par an, sachant qu’elle se retrouve obligée d’acheter un nombre très important d’œuvres qui ne présentent aucun intérêt. Cette manière de dépenser l’argent public ressemble à de la charité pour les artistes et à la dilapidation de l’argent public pour l’Etat». Les politiques culturelles nécessitent aujourd’hui une nouvelle fondation dans le sérieux et la transparence. Un changement profond est primordial !
*Jeune critique d’art
Amal Bint Nadia, «La Cité de la culture : l’archipel des manœuvres douteuses », 27 juillet 2015, nawaat.org (http ://nawaat.org/portail/2015/07/27/la-cite-de-la-culture-larchipel-des-manoeuvres-douteuses/).