Les quatre auteurs de « La cuisine de l’oasis », à La Presse :  « Dans l’oasis, il n’y a presque rien, mais on ne manque de rien ! »

Pour fêter les dix années de Dar Hi, hôtel-caravansérail d’architecture contemporaine ouvert à Nefta, les initiateurs du projet, Patrick El Ouarghi et Philippe Chapelet, viennent de publier un beau livre, « La cuisine de l’oasis. Se nourrir de l’essentiel ». Un projet mené tambour battant avec leurs amies, la designer Matali Crasset et l’innovatrice en gastronomie, Frédérick e Grasser Hermé. Nous avons rencontré les auteurs de cet ouvrage à huit mains, venus en Tunisie le week-end dernier. Un entretien à quatre voix.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’oasis, vous qui venez de grandes villes en France ?

Matali Crasset : On savait qu’on pouvait faire dans l’oasis des choses exceptionnelles. Ce n’est pas la même quête que celle de se retrouver en bord de mer. Quand on est dans le désert, émerge l’idée de se vider et de se remplir de quelque chose d’autre. Comme une sorte à la fois d’introspection et de dépaysement total. Aujourd’hui, nous avons besoin de revoir un certain nombre de nos pratiques et l’oasis  permet de se rendre compte de cet équilibre fragile entre l’humain et le végétal, qui se poursuit depuis des siècles.

Patrick El Ouarghi : L’oasis c’est également des contraintes. Des contraintes qu’on arrive à sublimer en architecture mais aussi en cuisine. Dans la construction de l’hôtel, par exemple, même si la forme est contemporaine, on a fait avec ce qu’il y avait sur le site, de la main-d’œuvre et du savoir-faire aux matériaux.

Le livre que vous venez de publier sur la cuisine de l’oasis est-il inspiré de l’idée du « moins pour mieux » ?

Frédérick e. Grasser Hermé : En effet, il s’agit d’un livre utilitaire et nécessaire. Presqu’un engagement citoyen. Cette philosophie du moins pour mieux, nous y  croyons tous les quatre. D’autant plus que ce modèle magnifique s’adapte si bien avec Nefta.

Tous les quatre d’une seule voix : Dans l’oasis il n’y a presque rien, mais on ne manque de rien !

Patrick El Ouarghi : Ce livre nous a permis également d’aborder des thématiques qui nous sont chères, Nefta, son histoire, ses cultures, son alimentation, sa botanique. De la grenade, aux dattes, de la feuille de corète, aux gombos, nous avons pris les produits disponibles sur place et nous avons créé des recettes, publiées dans l’ouvrage.

Frédérick e. Grasser Hermé : On n’imagine pas, par exemple, tout ce qu’on peut faire avec les dattes et les mille et une façons de les marier à d’autres produits.

Philippe Chapelet : Traditionnellement dans les livres de cuisine, on ne trouve qu’un seul point de vue, alors que dans le nôtre, nous avons balayé tous les points de vue. Les plats traditionnels d’une part, comme la « mloukhia » et la « gnaouia » auxquels on donne un ancrage historique, et, d’autre part, les recettes contemporaines, où Frédérick  invente toutes les possibilités, qui s’offrent à nous dans les oasis, dont le vinaigre de grenade, un produit très peu courant. Nous avons aussi ouvert notre ouvrage à trois chefs amis, un Tunisien installé à Paris, Youssef Gastli, un autre Tunisien, maître du couscous, Nordine Labiadh, et enfin Andrée Zana Murat, juive tunisienne, autrice d’un livre sur la cuisine de ses origines. Nous voulions démontrer que dans la cuisine, point de frontières, ni de racisme.

Frédérick e. Grasser Hermé : Moi ce que j’ai aimé le long de cette expérience, c’est le partage avec les femmes. Les voir travailler avec de l’eau, un peu de sel, de la farine et de la levure. Et voilà que par magie, elles montent la « chakchoukha ». Donc d’un geste, elles prennent une masse de cette pâte, en fabriquent des boules de la même sphère, ensuite on étale, on laisse reposer, puis on fait cuire dans un tajine ou une poêle. Une fois tiède, on déchire la pâte en petits morceaux pour les mêler à d’autres ingrédients, de la sauce, de la viande, des piments au four, des œufs en quartiers.

Quels sont les produits de base sur lesquels est fondée la cuisine de Nefta ?

Patrick El Ouarghi : La datte, bien sûr. Sauf qu’elle n’est pas utilisée en cuisine, car traditionnellement dans le Sud, on mélange très peu le sucré avec le salé. Nous, on l’a fait. À Dar Hi, nous préparons, par exemple, le poulet de la datte au citron, un plat certes inspiré de la cuisine marocaine. Une recette, considérée comme un must dans notre hôtel mais qu’aucun restaurant du Sud n’a repris ces dix dernières années.

Philippe Chapelet : La « mloukhia » aussi est un produit phare de Nefta puisqu’elle pousse dans les oasis. La corète connaît actuellement un succès à Paris. Nous la préparons, selon une recette de mon père décédé il y a une dizaine d’années, avec des zestes de citron et des pois-chiches.

Et les pâtisseries du sud ? De quels ingrédients usent-elles ?

Patrick El Ouarghi : Du sorgho essentiellement, le droô en tunisien. Une céréale ancrée dans la tradition et qui est actuellement très appréciée en France parce que démunie de gluten. Et Frédérick utilise le sorgho pour faire un carott cake à base de droô. Cet ouvrage a plusieurs facettes, faire connaître aux Français des produits tunisiens, une manière de leur dire qu’il y a une riche culture en dehors du couscous, et initier les Tunisiens aux diverses possibilités d’ingrédients disponibles chez eux.

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