Accueil A la une Journées théâtrales de Carthage | Arts du spectacle—Plaidoiries du Théâtre EL HAMRA: Dix ans après, quelles sont les priorités ?

Journées théâtrales de Carthage | Arts du spectacle—Plaidoiries du Théâtre EL HAMRA: Dix ans après, quelles sont les priorités ?

Comment le théâtre et les arts scéniques pourront-ils reprendre de leur superbe et favoriser un réel décollage du secteur ? C’est ce que la rencontre organisée lundi dernier autour des principales constations des Plaidoiries d’El Hamra a essayé de mettre en perspective en proposant aux autorités douze priorités en vue de baliser la voie à une réforme en profondeur du secteur.


Les arts du spectacle et en particulier le théâtre, constituent l’une des expressions les plus importantes de la vie culturelle, du développement démocratique de la société, illustrent le dialogue des civilisations et des religions et favorisent cet échange permanent entre les cultures. Afin de hisser cette activité artistique à des paliers supérieurs, les Plaidoiries d’El Hamra, qui considèrent, dès le départ, la culture comme un support fondamental pour l’édification de la Tunisie de demain, ont constitué un forum d’échanges sur la réalité du secteur durant les dix dernières années qui ont suivi la révolution tunisienne et ont abouti à une série de recommandations sous forme de priorités à même de servir de boussole pour le ministère des Affaires culturelles afin de lui baliser la route pour engager sans plus tarder les réformes nécessaires en vue d’engager ce secteur d’activités culturelles dans un cycle plus vertueux.

Animée par Cyrine Gannoun et Habib Belhadi, une rencontre a été organisée à cet effet, lundi dernier à la salle Les Quatre saisons à l’espace Quatrième Art en présence des différents intervenants dans le secteur des arts scéniques et du théâtre. Cette activité, «Bilan/10 Arts du spectacle: 10 ans après, quelles sont nos priorités ?», soutenue par Tfanen-Tunisie Créative, un projet d’appui au renforcement du secteur culturel, financé par l’Union européenne dans le cadre du Programme d’appui au secteur de la culture en Tunisie (Pact) du ministère des Affaires culturelles, une collaboration du réseau Eunic (Instituts culturels nationaux de l’Union européenne) mis en œuvre par le British Council, a été une occasion pour discuter d’une thématique brûlante, et des nouveaux défis imminents qui se posent au secteur.

Selon Cyrine Gannoun, «la Tunisie a connu de nombreux chamboulements à tous les niveaux lors de cette dernière décennie. Le secteur culturel aussi». C’est pourquoi elle a proposé le concept des Plaidoiries d’El Hamra afin de faire le bilan des échecs et des réussites, d’échanger autour des expériences respectives «en vue de mettre en perspective les nouveaux défis qui nous attendent». Ce qui commande, selon elle, de poser les questions autour des priorités issues des recommandations des sessions de plaidoiries organisées par l’espace-théâtre El Hamra durant ces deux dernières années.

«Que reste-t-il de ces dix années de débats, d’échanges et de turbulences ? Quelles sont nos priorités et nos nouveaux défis sur fond de crise économique profonde, sanitaire et face aux nouveaux défis technologiques ? Quel message souhaitons-nous passer aux institutions et à l’opinion publique ?», s’est-elle interrogée, avant d’énumérer les douze défis urgents du secteur. Elle a de ce fait présenté à l’assistance une synthèse des différentes initiatives amorcées lors des deux dernières années dans une volonté de créer un collectif qui prendra en charge et défendra la mise en application des fruits de la rencontre.

Ainsi les douze points présentés portent sur la spécialisation, la formation en management culturel, la décentralisation, le statut de l’artiste, la politique de subvention, la levée de fonds, le PPP, la digitalisation, les archives, les droits d’auteur, les industries culturelles et créatives et, enfin, la mobilité.

Les débats qui ont suivi ont souligné un besoin urgent en matière de spécialisation dans les divers métiers des arts du spectacle ou de renforcement de leurs capacités dans plusieurs disciplines spécifiques, telles que la conception des costumes de théâtre, la réalisation de captation de théâtre ou concepteur lumière de théâtre.

Un objectif qui commande, selon les intervenants, d’offrir plus d’opportunités en termes de formations continues et d’accompagner les jeunes acteurs culturels à leur début de carrière à travers le parrainage par des grandes structures ou/et des programmes d’incubation dans le but de bâtir avec eux une base solide.

Dans le même sillage, Mme Gannoun a mis en exergue la nécessité de décentraliser les modes de gouvernance publics et de donner une autonomie aux structures publiques dans les régions, ainsi que d’adapter les activités culturelles aux besoins spécifiques et priorités de chaque région, notamment par la mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel des régions.

De ce fait, il est urgent de diversifier l’offre des programmations et des partenariats entre public et privé et les offres culturelles dans les régions, ainsi que de renforcer le réseautage entre les différentes structures dans les régions à travers une base de données communes, à titre d’exemple.

Le statut de l’artiste, qui souffre des diverses fragmentations politiques au regard de l’impossibilité d’établir une politique culturelle consensuelle, a été un autre point de réflexion lors de cette rencontre. Il s’agit, selon Mme Gannoun, de «défendre la copie zéro du statut de l’artiste pour que la ministre des Affaires culturelles plaide auprès des pouvoirs concernés». Abordant la politique de subvention qui figure aussi parmi les priorités annoncées, les intervenants ont affirmé que, depuis plusieurs décennies, le secteur culturel et plus précisément le secteur des arts du spectacle souffre d’une politique de subvention archaïque et non conforme à la réalité et aux besoins des artistes émergents dans toute la Tunisie. Ainsi, une révision s’impose autant au niveau du budget global que les barèmes, les cachets, les mécanismes d’octroi des subventions en théâtre, le suivi des œuvres produites ou encore l’augmentation du nombre de productions sans garantie de qualité.

Toutefois, l’absence d’une stratégie pour les jeunes artistes pour lever des fonds de leurs propres moyens afin qu’ils deviennent autonomes et ne dépendent pas uniquement du financement de l’État, représente un obstacle de taille. Il a été proposé à ce sujet de mener un plaidoyer pour trouver d’autres bailleurs de fonds dans la région Mena, Afrique et Méditerranée, et de prospecter de nouveaux bailleurs de fonds tunisiens afin de couvrir tous les secteurs artistiques. Les autres points soulevés portent sur la nécessité du renforcement des partenariats entre les institutions publiques et privées et de la nécessité d’engager un plaidoyer pour faire connaître la loi PPP (loi de finances 2021), l’archivage des œuvres théâtrales en tant que devoir de mémoire, la propriété intellectuelle, les droits d’auteur et droits voisins, une meilleure exposition des produits culturels pour une meilleure visibilité auprès du public, de se soucier de l’avenir des spectacles vivants face à l’émergence de la digitalisation surtout depuis la pandémie covid et, enfin, de défendre la mobilité des artistes tunisiens pour assurer une diffusion à l’international.

Pour sa part, Habib Belahdi est revenu sur dix ans marqués par une hostilité frappante aux arts et aux artistes. Il a de ce fait rappelé les violations les plus marquantes qui ont entaché les activités culturelles et artistiques durant ces dix dernières années et la résistance des artistes contre les forces obscures qui considèrent la liberté de la création comme une forme de transgression du modèle social islamique. Invité à prendre la parole, Damien Helly, team leader de Tfanen, a encouragé les organisateurs à aller de l’avant dans leur quête du renouveau du secteur et a indiqué que bien que le programme Tfanen touche à sa fin, il est toujours possible de relayer les conclusions de ces plaidoiries à l’Union européenne. Selon Cyrine Gannoun, la prochaine étape consistera à «mener une campagne de sensibilisation auprès des décideurs publics en vue de les exhorter à engager les réformes nécessaires pour faire sauter tous les verrous qui entravent un réel décollage du secteur».

A la fin de la rencontre, l’assistance a été appelée à classer par un vote anonyme par ordre de priorités les points à présenter.

N.B/ Crédits photos JTC

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