Selon Moez Hammami, CEO de la «Regtech Quantylix», il est possible de casser la spirale infernale de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie. Mais encore faut-il travailler sur le volet perception, c’est-dire sur les critères qualitatifs des modèles de notation pour parvenir à un rehaussement de la note souveraine.
Le 15 octobre 2021, l’agence de notation Moody’s a abaissé la note souveraine de la Tunisie de B3 à Caa1, en maintenant la perspective négative. Dans son rapport, Moody’s précise que «le déclassement en Caa1 de la note souveraine de la Tunisie reflète l’affaiblissement de la gouvernance et une incertitude accrue quant à la capacité du gouvernement à mettre en œuvre des mesures, à même de faciliter l’accès aux financements nécessaires pour répondre aux besoins de financement élevés, au titre des prochaines années». La nouvelle est tombée comme un couperet, au moment où le pays traverse une crise économique et financière sans précédent, aggravée par la pandémie du covid-19. La Tunisie fait désormais partie de la catégorie «spéculative » impliquant un risque de défaut omniprésent. La décision a été mal reçue par les observateurs économiques, dont la majorité a critiqué une décision hâtive. Les feux des projecteurs ont été, alors, braqués sur les agences de notation et sur leur rôle dans l’évaluation des risques de non-remboursement de la dette. Maintenant que les dés sont jetés, la Tunisie peut-elle parvenir à renverser la vapeur et casser la spirale infernale de la dégradation continue de la note souveraine du pays ? Pour répondre à ces questionnements et mettre au clair le rôle des agences de notation financière, l’Association tunisienne pour la promotion de la culture financière (Atcf) a organisé, récemment, une conférence-débat sur le thème «Dégradation de la note souveraine de la Tunisie : comment s’en sortir ?». Lors de l’événement, Moez Hammami, CEO de la «Regtech Quantylix», spécialisée dans la gestion quantitative des risques et de la Data, a présenté les résultats d’une étude qui a été réalisée sur la dégradation de la note souveraine de la Tunisie.
L’accès aux financements se durcit
Ouvrant le débat, Najla Harrouch Moalla, ancienne ministre et P.-d.g. de la «Biat Assurance», a, en somme, souligné que la notation financière est importante, puisqu’elle reflète la santé économique d’un pays. Elle a ajouté qu’outre l’accès aux marchés financiers internationaux, la notation a un impact sur d’autres secteurs de l’économie, tels que les secteurs des banques et de l’assurance. Elle a, en outre, expliqué que la dégradation de la note souveraine d’un pays a des incidences sur, sa capacité d’emprunt qui peut affecter à son tour, sa capacité d’investissement public. Par ailleurs, Moalla a souligné que la mise en œuvre des réformes est indispensable pour sortir de cette spirale infernale. Elle nécessite une vision, une stratégie, une bonne gouvernance et une continuité dans l’exécution.
De son côté, Khalil Labidi, ancien directeur général à l’agence Fipa, a précisé que la notation financière des pays sert de référence pour les bailleurs de fonds qui ont besoin de savoir quels sont les risques encourus et les probabilités de recouvrement des emprunts dans les délais échus et dans des conditions normales. Il a, en ce sens, expliqué que l’évaluation de la solvabilité d’un pays ne se base pas uniquement sur l’analyse de ses finances, mais d’autres critères qualitatifs, tels que la stabilité politique et sociale qui sont, également, pris en considération. «La note sert pour éclairer les bailleurs de fonds, et aujourd’hui, nous sommes dans une situation où celui qui nous emprunte fait de la spéculation », a-t-il noté. Labidi a ajouté que la dégradation de la note souveraine se répercute sur la disponibilité et sur le coût des financements, dont l’accès se durcit en raison des conditions draconiennes auxquelles fait face le pays qui recourt aux marchés financiers. Il a fait savoir que la seule issue pour inverser la tendance est d’instaurer la stabilité politique et engager les réformes nécessaires. Pour Labidi, il est essentiel de s’affranchir des tiraillements politiques afin d’avoir une volonté partagée et travailler sur l’image du pays.
Un processus réversible
Présentant son rapport sur les notations financières, Moez Hammami, CEO de «Quantylix», a fait savoir que, depuis 2011, la note souveraine de la Tunisie a reculé de 7 crans. Il a expliqué que les agences sont souvent critiquées à cause de l’opacité de leurs modèles de notation. Il a ajouté que les modèles de notation sont généralement basés sur des critères qualitatifs et d’autres quantitatifs, tels que les finances publiques, les indicateurs macroéconomiques et les finances externes. En se basant sur le modèle de «Fitch Rating», qui est l’agence la plus transparente en termes de «Sovereign Rating Model» (SRM), Hammami a démontré que les critères qualitatifs constituent une marge d’évaluation estimée à + ou -3 crans. L’indicateur gouvernance représente, à lui seul, 20% de l’ensemble des indicateurs structurels (qui sont la gouvernance, le PIB/habitant, le pourcentage du PIB mondial, le nombre d’années depuis le dernier défaut et les envois TRE). Sachant que les indicateurs structurels contribuent à plus que 53% de la note, il a également affirmé que pour les pays en voie de développement, c’est la partie qualitative qui a le plus grand impact sur la notation. «Il y a un ajustement ‘‘à dire d’experts’’, il est très important de discuter avec eux», a-t-il noté. Faisant le parallèle avec l’Egypte et le Liban, dont les notes souveraines ont été abaissées à C, respectivement en 2013 et en 2019, Hammami a fait savoir que le processus de dégradation est réversible. L’Egypte a su inverser la vapeur, tandis que le Liban est actuellement en défaut. «Aujourd’hui, pour faire des ‘‘quick win’’ il faut travailler sur le volet de la perception. Les critères quantitatifs ne sont pas les plus importants», a-t-il conclu.