Accord Tunisie-FMI | Tribune: L’accord avec le FMI suffira-t-il à notre peine ? Par Hakim BEN HAMMOUDA- ancien ministre des Finances

1,039

Par Hakim BEN HAMMOUDA- ancien ministre des Finances


Notre pays vit depuis quelques jours au rythme du débat public sur un probable accord avec le FMI pour espérer parvenir à un nouvel accord. C’est attente est teintée de grandes inquiétudes, du fait de l’absence de progrès significatifs dans ces négociations en dépit de l’urgence. Ces inquiétudes s’expliquent par la crise aiguë des finances publiques et les déclarations officielles qui n’ont cessé de répéter que la résilience du Budget de l’Etat pour l’année 2022 est liée à notre capacité à parvenir à un accord avec le FMI au cours du premier trimestre de l’année 2022. Il faut souligner que notre pays a enregistré un immense retard pour parvenir à un accord après l’arrêt en avril 2020 au moment de la première vague de la pandémie du covid-19, de l’ancien accord signé en 2016. Depuis cette date, et en dépit des appels répétés pour entamer des négociations avec l’institution de Bretton Woods afin de parvenir à un nouvel accord qui pourrait nous ouvrir la coopération avec les autres grandes institutions financières internationales et réduirait l’ampleur de la crise financière, les trois gouvernements qui se sont succédé aux affaires n’ont pas avancé dans cette direction et notre relation avec le FMI est restée au point mort. Mais, les dernières semaines ont connu un regain d’intérêt de la part des pouvoirs publics des négociations avec le FMI, après un long silence. Ainsi, les réunions se sont-elles succédé avec les acteurs économiques et sociaux, et particulièrement les responsables de l’Ugtt et ceux de l’Utica pour assurer leur participation à la formulation des grandes priorités du programme de réforme économique. Par ailleurs, les responsables gouvernementaux ont multiplié les déclarations pour entamer la préparation d’un programme de grandes réformes économiques pour sortir de la crise et rétablir les grands équilibres des finances publiques. Le gouvernement a formé plusieurs commissions de réflexion pour tracer de nouvelles voies de croissance et de nouvelles perspectives économiques. Par ailleurs, un document officiel a «fuité» récemment et qui va constituer la base des discussions avec le FMI.

Il nous paraît difficile, dans la situation actuelle, de prévoir le résultat final de ces débuts d’échange avec cette institution et la possibilité de parvenir à un accord. Mais, la question essentielle est de savoir si cet accord, si nous y parviendrons, nous permettra de sortir de notre crise financière et d’ouvrir de nouvelles perspectives à notre économie ?

L’importance d’un accord avec le FMI

Le débat public a été marqué au cours des dernières années par d’importantes critiques sur l’action du FMI dans le monde pour plusieurs raisons. La plus importante réside probablement dans la vision économique qui a fondé l’action en matière de politique économique de l’institution de Washington depuis sa création en 1944 à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la petite ville américaine de Washington. Les objectifs et la finalité de l’institution ont fait l’objet, au cours des réunions préparatoires, de nombreux débats et controverses particulièrement entre les délégations américaine et britannique conduite à l’époque par l’économiste John Maynard Keynes. Cette controverse s’est terminée avec la victoire de la position et de la vision américaines qui limitaient le rôle du FMI à la stabilisation des grands équilibres financiers des pays par le biais de politiques conservatrices et orthodoxes.

Cette vision a été à l’origine des politiques d’austérité qui étaient au cœur des recommandations du FMI à tous les pays en proie à des difficultés financières. Ces politiques ont provoqué de nombreuses critiques dans le débat public adressées par des économistes et surtout les organisations de la société civile qui ont nettement nui à l’image de marque et à la confiance globale en le FMI. Ces critiques considéraient qu’en plus de leurs effets sociaux négatifs, les préceptes du FMI ne favorisaient que rarement un retour aux grands équilibres dans les pays.

Ces critiques ont trouvé un écho dans notre pays particulièrement à partir de 2012 avec la multiplication des accords avec le FMI. Plusieurs partis politiques, les organisations sociales et les institutions de la société civile n’ont pas hésité à critiquer fortement les accords signés entre notre pays et le FMI, et ont mis en exergue leur incapacité à faire face aux défis de notre économie.

Mais, en dépit de ces critiques, il semble aujourd’hui qu’il y ait un large consensus sur la nécessité de parvenir au plus vite à un accord avec le FMI pour plusieurs raisons. La première concerne la crise financière profonde et sans précédent que nous traversons et qui exige la mobilisation des efforts internes et externes pour arrêter cette descente aux enfers. Par ailleurs, l’ampleur de nos besoins financiers pour 2022 ne seront pas mobilisés en l’absence d’un appui important de la part des institutions financières internationales et une sortie sur les marchés financiers. De ce point de vue, le FMI constitue une porte d’entrée importante et une garantie d’accès aux financements internationaux pour faire face à nos besoins à des coûts moins importants. Pour l’ensemble de ces raisons, notre pays doit faire de l’accord avec le FMI une priorité absolue au cours des prochaines semaines pour réduire les pressions sur les finances publiques et mobiliser les financements nécessaires pour le budget de l’Etat.

Dans cette course contre la montre et dans cette volonté s’y parvenir au plus vite, on peut se poser la question de savoir si cet accord suffirait à notre peine ?

Des démarches de négociations avec les institutions internationales

La démarche de négociations avec les institutions financières internationales comprend d’une manière générale deux grandes dynamiques : une dynamique administrative et financière et une dynamique politique.

La dynamique administrative et financière comprend plusieurs étapes et passages obligés que tous les pays doivent suivre à la lettre. Dans cette dynamique, on peut mentionner plusieurs étapes qui commencent par la requête officielle pour l’institution et qui doit être signée par les représentants du pays en question dans le conseil d’administration. Cette dynamique comprend également la signature du pays sur un document qui explique tous les engagements, ce qu’on appelle le Mémorandum de politique économique et financière qui doit être envoyé au Conseil d’administration après de longues négociations avec les responsables techniques de l’institution. L’examen par le Conseil est la dernière étape dans ce processus administratif et financier.

Parallèlement aux aspects administratifs, cette dynamique comprend également un important aspect économique et financier. Il s’agit du programme et de l’ensemble des grands choix de politique économique que le pays mettra en œuvre au cours de la période d’application de l’accord et qui fait l’objet de discussions et de négociations ardues pour un objectif majeur et parfois unique qui est le retour à la stabilité des grands équilibres macroéconomiques. Pour ce qui est de notre pays, les conditionnalités de l’institution de Bretton Woods portent sur la masse salariale, les subventions et la restructuration des entreprises publiques.

Ces choix font toujours l’objet de négociations ardues et pénibles avec les délégations des experts du FMI qui font preuve souvent d’une intransigeance implacable. Mais, cet accord est nécessaire car, sans lui, la requête de notre pays ne peut être examinée par le Conseil d’administration du Fonds.

La seconde démarche dans le processus de négociation d’un accord avec les institutions financières internationales est plutôt d’ordre politique. A ce niveau, il faut mentionner que les facteurs politiques sont importants et déterminent la position des institutions. Mais, ce qu’il faut souligner, c’est que ce facteur politique n’exclut pas les aspects administratifs et financiers. Au contraire, en l’absence d’un accord sur les grands choix financiers et économiques, la mobilisation politique que notre gouvernement est en train de faire aujourd’hui ne peut porter ses fruits.

A ce niveau, il faut souligner que la crise politique que nous traversons et les évolutions du processus de réforme pourraient amener les grands pays membres de cette institution à adopter une attitude attentiste, ce qui pourrait retarder la conclusion d’un accord avec l’institution de Bretton Woods, pourtant crucial pour le sauvetage de notre économie au cours des prochaines semaines.

Une condition nécessaire, mais insuffisante pour sortir de nos crises

Nous avons souligné l’importance d’un accord avec le FMI, dans la mesure où il constitue une porte d’entrée aux financements internationaux et contribuera largement à la réduction de la pression de la crise financière. Mais, aussi important soit-il, cet accord avec le FMI ne constitue pas la planche de salut de notre pays à tous ses maux économiques et financiers.

De notre point de vue, cet accord avec le FMI est une condition nécessaire et importante, mais insuffisante pour sortir de nos crises pour au moins cinq raisons essentielles :

-La première  est d’ordre financier, dans la mesure où la signature d’un accord avec le FMI prendra du temps et ne peut être immédiate. Il faut, pour y parvenir, définir les grands choix de politique économique à mettre en place et finaliser les négociations avec les représentants de l’institution de Bretton Woods. Mais, en même temps, nos finances publiques doivent faire face à des demandes de paiement immédiates au cours des prochaines semaines. Ce décalage entre les deux temporalités, celle des finances publiques et celle des négociations avec le FMI pourrait conduire notre pays à une situation financière intenable. Il est urgent par conséquent que le gouvernement trouve les moyens de régler ce décalage et de mobiliser les moyens nécessaires pour faire face à ces besoins en attendant de parvenir à un accord avec le FMI.

-La deuxième raison de l’insuffisance d’un accord avec le FMI est plutôt d’ordre économique. L’accord avec cette institution sera d’ordre financier et concernera les grands équilibres financiers. Cet accord ne prendra pas en considération les autres grands défis économiques de notre pays. A ce niveau, il ne faut pas sous-estimer les autres dimensions de cette crise multiple et parallèlement à la stabilisation financière, il est important de définir un autre programme de relance des investissements et de sauvetage des entreprises suite aux effets de la pandémie du covid-19.

-La troisième raison est d’ordre structurel car, parallèlement aux défis financiers et économiques de la crise, il faut mentionner les transitions nécessaires pour construire un nouveau modèle de développement.

-La quatrième raison est d’ordre social et concerne la crise sociale que nous traversons et qui a touché les fondements profonds de notre contrat social. Cette crise exige de nouvelles politiques sociales afin de reconstruire le lien commun.

-La cinquième est d’ordre politique qui exige la construction d’une nouvelle alliance large entre les partis politiques et les organisations sociales, afin de sauver l’économie et la société. Les réponses économiques et sociales ne nous permettront  pas de relever les défis dans ce contexte de crise politique profonde et de blocage de la transition démocratique. Nous traversons aujourd’hui une crise économique et financière sans précédent. Cette crise exige la signature d’un accord avec le FMI pour ouvrir les portes à la mobilisation des ressources nécessaires pour faire face à nos besoins urgents de financement. Cet accord est nécessaire, mais en dépit de son importance, il ne sera pas suffisant pour relever les défis de notre économie. Cette crise multiforme exige plus que jamais la définition d’un programme global et un accord politique large pour poursuivre notre transition démocratique et sauver notre économie et la société des conséquences de la pandémie.

Laisser un commentaire