Ils sont des centaines, voire des milliers, à migrer vers d’autres cieux pour briller, pour exprimer leurs talents et pour créer de la richesse dans des sociétés qui ne sont pas les leurs. Eduqués ici, encadrés ici, ces Tunisiens et ces Tunisiennes qui représentent en fait la crème de la société avec un remarquable niveau d’instruction, ou un cv alléchant, ont décidé de claquer la porte non pas parce que les conditions de vie sont difficiles, mais parce que ces difficultés sont tellement insupportables, tellement ingérables qu’ils ne se retrouvent plus ici. Cet Etat, ce pays qui nous est cher, a « excellé » dans l’art de chasser ses enfants, de leur compliquer la vie, de leur griller les carrières. C’est un phénomène ancien, qui s’accentue aujourd’hui sous l’effet de la crise économique.
Réellement, l’intégration et la valorisation de nos compétences dans tous les domaines ne sont pas des priorités dans notre pays. Au contraire, les conditions de travail réservées à nos compétences, à cette inestimable richesse, ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Ils sont partis chercher d’autres perspectives, des fenêtres d’espoir en Occident ou dans les pays du Golfe, car justement ces flux migratoires vont vers les pays développés et prospères qui mettent en valeur le savoir et le talent. Ce n’est pas seulement une question de paie, mais aussi d’estime, de plan de carrière et d’acquisition et de partage de savoir. C’est surtout ce tissu sociétal et juridique qui permet à une compétence de briller et de booster sa carrière. Ici, c’est l’image inverse : des barrières insurmontables et des blocages en tous genres qui tuent le rêve de quelqu’un de talentueux dans son domaine. Le tout avec une culture qui encourage, par ses fausses valeurs, la médiocrité, l’impunité, la régression et les petits calculs. Voilà pourquoi ces Tunisiennes et ces Tunisiens fêtent — et c’est triste — leur départ à l’aéroport de Carthage. Des images choquantes oui, mais compréhensibles quand on connaît les malheurs qu’ils ont endurés depuis des années sans travail, ou sans salaire conséquent et surtout sans espoir et sans respect professionnel. Donc, on est en train de s’engouffrer de plus en plus : nous importons tout, de la nourriture aux équipements, et nous exportons sans le moindre revenu des compétences humaines que nous perdons au profit de pays intégrateurs et qui savent motiver et entretenir ces talents. Il ne faut surtout pas en vouloir à ces gens qui fuient. Ils sont patriotes, ils ont le même amour pour leur pays, mais ils réagissent à une opération organisée de rejet et de marginalisation. Attendre et endurer pour des années sans résultat a des limites. Leur avenir n’est pas ici malheureusement. Une fuite dangereuse de la force vive de notre économie et de notre société dans l’indifférence des gouvernants.