Fethi Nouri, spécialiste en économie pétrolière : «La tendance haussière du prix du pétrole va chambarder notre économie»

«Selon le modèle d’équilibre général (un modèle utilisé par les prévisionnistes), une hausse de 10% du prix de l’énergie en Tunisie engendre une baisse de 0,2% du PIB et une augmentation de 0,5% de l’inflation, comme effet direct, et de 1,1%, comme effet indirect», explique Fethi Nouri, spécialiste en économie pétrolière.

Le débat sur les conséquences économiques du conflit russo-ukrainien défraie la chronique. Depuis l’invasion de l’Ukraine, les économistes essaient de cerner les incidences d’une crise géopolitique de grande envergure qui continue de rebattre les cartes et risque d’asséner un coup de massue aux économies les moins résilientes, désormais laminées par la crise de la Covid. La situation économique est d’autant plus urgente que les experts et les observateurs ont appelé à la mise en place d’une cellule de crise pour gérer la crise au gré de l’évolution des cours, notamment des matières premières. « Nous sommes dans une période de crise et les crises sont accompagnées de chocs qui sont caractérisés par la rapidité et la brutalité. En Tunisie, on doit gérer trois crises : la transition démocratique, la crise sanitaire et la crise géopolitique. Il doit y avoir un tableau de bord de tous les indicateurs, notamment des agrégats économiques pour pouvoir suivre de près l’évolution de la situation économique et comprendre vers quel sens les choses vont évoluer », affirme le spécialiste en économie pétrolière Fethi Nouri.

Attention à la balance courante et à la balance de paiement !

Intervenant lors d’un webinaire qui a été organisé  par l’Association tunisienne du pétrole et du gaz (Atpg) pour débattre des impacts de la guerre en Ukraine sur les produits pétroliers en Tunisie et dans le monde, Nouri évoque sommairement les principales conséquences de cette crise géopolitique sur l’économie tunisienne. Au-delà de l’impact conséquent sur le budget de l’Etat, notamment sur les dépenses de compensation, qui a été largement relaté dans les médias, l’expert a mis l’accent sur l’éventuelle répercussion sur la balance courante et la balance de paiement. Il a fait savoir que si le déficit courant  énergétique représente à peu près 50% de la balance courante globale, chaque hausse de 1 dollar du prix du baril de pétrole engendre un poids de 25 à 30 millions de dinars sur les stocks de réserve. « Si cette tendance ascendante des prix va continuer, si les prix restent au-dessus des 100 dollars le baril, la Tunisie n’a pas les moyens de résister encore 6 mois. Ça va chambarder toute l’économie », précise-t-il. En ce qui concerne les effets prix et de change sur la facture énergétique de la Tunisie, Nouri affirme qu’ils vont s’accentuer. Pour étayer ses propos,  l’économiste s’est référé à la période allant de 2012 à 2014, lorsque le prix du baril a dépassé les 100 dollars et que l’effet prix a été estimé à 39% et celui de change à 35%.

Envolée de l’inflation et du chômage

Selon l’expert, cette situation va également impacter la capacité de remboursement des dettes des entreprises pétrolières. « La moyenne des dettes extérieures  des entreprises énergétiques,  sur les 9 dernières années, est de 560 millions de dinars. S’il y aura une  dépréciation du taux de change, la capacité de remboursement des entreprises pétrolières va être impactée », indique-t-il.  Pour Nouri, l’incidence de la crise sur la balance de paiement est plus inquiétante que son impact sur le budget de l’Etat dans la mesure où les recettes fiscales provenant des entreprises pétrolières peuvent combler même partiellement les charges et les dépenses additionnelles. Selon l’expert, on devrait s’attendre également à une envolée de l’inflation et du chômage. En ce sens, il explique que, selon le modèle d’équilibre général (un modèle utilisé par les prévisionnistes), une hausse de 10% du prix de l’énergie en Tunisie engendre une baisse de 0,2% du PIB et une augmentation de 0,5% de l’inflation comme effet direct, et de 1,1%, comme effet indirect. Nouri souligne, par ailleurs, que le déficit énergétique provient principalement du déficit physique c’est-à-dire de la finitude des ressources naturelles. Il s’est aggravé au cours des dernières années en raison d’une gouvernance chaotique du secteur.

Laisser un commentaire