Articulant son intervention autour des répercussions de la guerre russo-ukrainienne sur la Tunisie, l’expert économique, Radhi Meddeb, a affirmé que les conséquences économiques du conflit seront “dramatiques”. Selon le président du Centre financier aux entrepreneurs, la Tunisie va devoir pâtir de la hausse des prix des matières premières, subissant ce qu’il a appelé une triple peine.
Tout d’abord, il s’agit de la flambée du prix du
pétrole. Meddeb a rappelé, à cet égard, que le budget de l’Etat pour l’exercice 2022 a été élaboré sur la base d’un prix de baril à 75 dollars, alors que le prix oscille aujourd’hui autour de 120 dollars et que, selon les observateurs, quelle que soit l’issue de la guerre, le prix du baril ne descendra jamais en dessous des 80 dollars, sur les cinq prochaines années. “Il y a des experts géopolitiques qui explorent des scénarios où le baril irait à 300 dollars, ça serait tout simplement dramatique”, a commenté l’intervenant.
Des conséquences dévastatrices
La deuxième difficulté concerne, selon l’expert, le prix des céréales. Il a rappelé que la flambée des prix du blé commençait à se faire sentir bien avant le déclenchement du conflit en Ukraine, et ce, dans un contexte où le monde commençait à recouvrer sa santé économique après la pandémie, qui a éclaté en 2020. L’évolution du prix d’achat du blé dur qui passait de 900 dinars la tonne en 2020 à 1.200 dinars en 2021, puis à 1.500 dinars aujourd’hui, soit des augmentations de plus de 30% sur deux années successives, en témoigne. “Les derniers approvisionnements en Tunisie en blé dur sont en cours. Ils ont été effectués à 1.500 dinars, soit 33% d’augmentation sur 8 semaines (par rapport à 2021) sachant que l’effet de la guerre n’est pas encore là parce que, selon les experts, l’onde de choc économique de la guerre interviendra dans 12 à 18 mois”, a-t-il ajouté. A cela s’ajoute l’explosion des prix des engrais. Meddeb a fait savoir, dans ce contexte, qu’avec une production toujours en deçà du niveau de 2010 (soit 50% de moins), la Tunisie n’a pas su profiter de l’augmentation considérable des prix des phosphates (70% d’augmentation). Selon l’expert, les cours des matières premières continueront également leur hausse impactant ainsi le tissu industriel qui va être soumis à des risques de raréfaction et de prix.
Remettre la lutte contre le changement climatique aux calendes grecques, dans un contexte où le monde sera totalement préoccupé par la guerre en Ukraine, serait aussi, selon Meddeb, un risque potentiellement néfaste pour la Tunisie. “Cette guerre aura fait perdre au monde la bataille du changement climatique : les priorités ont changé, les financements ont été détournés. Pour nous, ça risque d’être très grave. En Tunisie, les menaces du changement climatique risquent d’être considérables et dévastatrices. La Méditerranée est la région qui subira le plus les conséquences du changement climatique. L’histoire climatique du XXIe siècle est aujourd’hui écrite. Pour la Méditerranée, elle se traduira par un relèvement du niveau de la mer de plusieurs dizaines de centimètres”, a-t-il prévenu.
Une rhétorique russe à laquelle le monde en développement a été particulièrement sensible
Revenant sur l’issue de la crise en Ukraine, Radhi Meddeb a, d’abord, souligné que cette guerre s’est développée sur la base d’une rhétorique russe à laquelle le monde en développement a été particulièrement sensible. Cette rhétorique s’articule autour de deux axes: le premier suppose que la gouvernance mondiale actuelle (héritée essentiellement de la Seconde Guerre mondiale et des accords de Bretton Woods) est devenue obsolète et désuète. Le deuxième axe consiste à dénoncer l’hypocrisie de l’Occident, du droit international et de tous ceux qui prétendent appuyer le droit international. Explorant les hypothèses quant à l’évolution du conflit russo-ukrainien, l’expert a estimé que les conséquences de la guerre sur l’Ukraine seraient dévastatrices. «L’Ukraine perdra probablement plusieurs décennies de développement» a-t-il commenté. Pourtant, les Etats-Unis n’en sortiront pas vainqueurs de cette guerre, fait-il savoir. “Cette guerre révèle que Poutine en agissant en toute impunité montre la limite de la puissance américaine”, a-t-il analysé.
L’issue de la guerre ?
Selon Meddeb, l’Europe prend, avec cette guerre, conscience de sa dépendance militaire vis-à-vis de l’Otan, de la faiblesse de la protection dont elle bénéficie et de sa dépendance des hydrocarbures russes. “La solidarité de l’Europe affichée aujourd’hui avec force n’est que de façade, elle volera en éclats dans les semaines et mois prochains parce que les décideurs européens ont besoin des gaz et pétrole russes. La dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie est également au niveau de la finance. Les banques françaises et italiennes sont les plus engagées en Russie. Chacun de ces pays est engagé à hauteur de 25 milliards d’euros sur la Russie. La désimbrication de l’Europe de la Russie ne sera ni simple ni rapide. Elle prendra plusieurs années”, a-t-il précisé. Quant à l’Afrique, les risques d’une crise alimentaire inquiètent les pays africains. L’expert économique a précisé, à cet égard, que le continent africain est dépendant de l’Ukraine et de la Russie à hauteur de 50%, en termes d’approvisionnement en blé et en maïs. “La Russie sortira ébranlée de cette guerre: le rouble a dévissé, les populations russes le subiront dans leur pouvoir d’achat”, a-t-il ajouté. Et d’expliquer que la Chine devait se tenir à carreau parce qu’elle a besoin des matières premières fournies par la Russie, un très grand producteur de matières premières (à titre d’exemple 70% du Palladium mondial provient de Russie). La Chine, seule, sortira alors gagnante de cette guerre, qui va rebattre les cartes.