Considéré comme le plus ancien souk de Tunis, Souk El Asr est aussi ce coin qui garde le charme authentique de la brocante traditionnelle.
En plein centre de Tunis, côté sud, plus précisément l’un des plus vieux quartiers de la capitale, juste derrière la fameuse «Kobba» de Sidi Néji, une petite place connaît durant les week-ends une affluence considérable…
Crieurs, vendeurs, acheteurs s’entrecroisent dans la promiscuité totale entre les étalages des différents lots de vestes, pantalons, chaussures, tous anciens, jonchant les meubles, postes de radio, téléviseurs ancien modèle, CD et cassettes à gogo, articles de quincaillerie, de robinetterie, boîtes de peinture éraillées, objets divers parfois rouillés, étalés pêle-mêle à même le sol, en plein trottoir et parfois sur la chaussée afin d’attirer les clients, soit les citoyens les plus défavorisés de notre société. Ce coin, vous l’avez deviné, s’appelle Souk El Asr. Considéré comme le plus ancien souk de Tunis, Souk El Asr est aussi ce coin qui garde le charme authentique de la brocante traditionnelle. Am Laâbidi, vendeur de meubles d’occasion depuis déjà plus de 50 ans, était ravi de nous parler de ce fameux marché qui, selon ses dires, est en train de subir quelques entorses et où l’échange se fait encore sur la base de la considération humaine et de la sobriété. «Ici, on se contente de peu. Hélas, les commerçants de nos jours veulent s’enrichir rapidement et tout est bon pour parvenir à de telles fins». Am Naceur, fripier, semble ne pas ignorer les lois du commerce : «Je préfère vendre cinquante articles tout en sacrifiant le prix que de vendre six ou huit en assurant une bonne marge bénéficiaire… Et puis que devrais-je faire du stock restant ? Mes clients viennent de partout, de Tunis et de l’intérieur». En effet, Souk El Asr est à la fois un marché de gros et de détail, «les brocanteurs de Jendouba, de Béja, du Kef, de Kairouan et même du Sud viennent s’approvisionner ici pour alimenter les marchés hebdomadaires de leurs localités», nous confie Am Laâbidi.
Les bonnes occasions
A part le commerce, les brocanteurs sont appelés à connaître plusieurs métiers; on retrouve le couturier servant de retoucheur, le menuisier retapant et vernissant les meubles antiques ou tout simplement le bricoleur qui réussit à faire fonctionner un vieux téléviseur on un sèche-cheveux; de tels acquis facilitent l’écoulement de leur marchandise. «L’essentiel, c’est de travailler», réplique Am Naceur. Regardez, ce pardessus n’a pas de valeur tant que sa fermeture éclair est défaillante. Une fois cousue, il sera vendu». Idem pour les meubles, un travail bien soigné redonne à l’objet son véritable éclat, ce qui, de nature, attire les curieux, ceux-ci passent souvent par cette ruelle qui, pour guetter un téléviseur à prix bas, qui, pour chercher un ancien poste de radio ou un fer à repasser qui, pour acquérir les vieilles cassettes et les CD des chansons de Oum Kalthoum ou Abdelwahab…
«On tombe parfois sur un article dont la valeur intrinsèque semble être méconnue par le vendeur», nous confie Hichem, un habitué du coin qui précise : «Une fois j’ai acheté un appareil photo (ancien modèle) en très bon état à cinq dinars. Un tel appareil coûte trop cher en Europe car il est trop ancien et de bonne marque. Il s’agit d’un bel objet de valeur pour les collectionneurs».
Quant à Noureddine, un jeune maçon, il nous fait savoir qu’il trouve dans ce souk la seule issue de secours : «J’achète tout ici, les chaussures, les vêtements, les meubles, les ustensiles de cuisine. Je me prépare au mariage, chez moi à El Mellassine, j’ai pu me procurer une belle chambre à coucher retapée, une cuisinière, un poste de télé et de beaux habits. Souk El Asr est le seul lieu qui correspond le plus à ma bourse».
Une aubaine
pour les citoyens ordinaires
Néjib, quadragénaire, propriétaire d’un bel étalage de chaussures et d’espadrilles en plein centre du souk, semble satisfait de son commerce : «Ici, je vends les chaussures et les espadrilles de marque parfois signées et en cuir véritable, elles sont récupérées de la fripe, mais retapées et vendus à prix bas, mes clients sont assidus et connaissent bien la qualité de ma marchandise».
Côté prix, le coût de la paire de chaussures de Néjib oscille entre 25 et 35,000D, une aubaine pour les classes défavorisées. Son voisin limitrophe, Selim, est un jeune vendeur de meubles; salons et salles à manger sont exposés carrément au sol tout au long de la journée, il est vernisseur de son état, dès qu’il récupère un vieux salon en acajou, il se fait un plaisir de le nettoyer et de lui redonner un éclat de vernis. Chaque meuble retapé sera exposé à la vente : «Je me contente de peu», nous confie ce jeune vendeur. «L’essentiel pour moi, c’est d’écouler une marchandise entre de bonnes mains et me procurer une certaine fidélité pour mes clients».
L’amine du souk : une garantie
Interrogé sur la garantie des objets anciens achetés, Noureddine, jeune maçon, précise que le meilleur moyen consiste à enregistrer l’achat chez l’amine du souk qui prélève deux ou trois pour cent du prix entendu avec le crieur ; celui-ci perçoit du vendeur et de l’acquéreur cinq pour cent en guise de commission.
Disposant d’un bureau juste à la sortie du souk (côté rue El Marr), l’amine, Semir El Jendoubi, âgé environ de cinquante ans, nous a longuement parlé de sa tâche. Il est en quelque sorte le «régisseur» ou l’officier des lieux. Tout article ou meuble exposé à la vente doit être préalablement enregistré par ses soins, un tel acte offre à l’acheteur une garantie anti-vol de tout objet ancien acquis de bonne foi.
«J’inscris sur mon carnet l’identité du vendeur et les détails concernant la provenance de l’objet vendu, puisque je délivre à l’acquéreur un papier dûment signé, indiquant la date, le lieu et l’objet en question avec référence de l’acte de vente».
De même, il est à préciser que ce régisseur n’est ni expert ni contrôleur, il ne peut en aucun cas juger la qualité ou la valeur de l’objet, c’est un témoin de vente; son rôle est plutôt moral.
Grâce à l’amine, Souk El Asr a su garder sa véritable vocation. Les transactions se font souvent sur la base de l’honnêteté et de la bonne foi…
Des hommes à l’image de Laâbidi, Noureddine, Naceur et autres, bien que pauvres, conçoivent le bonheur non pas dans la matière, mais à travers la dignité, le contentement et la sobriété, n’est-ce pas là des concepts moraux hautement recommandés à tout être humain?