Abdessalam Bellagha, ancien latéral du ST: «Comme si, soudain, nous étions devenus aveugles !»

La perte cruelle dans le money time du championnat de Tunisie 1984 lui était restée en travers de la gorge, que même la victoire éclatante en coupe arabe 1989 en Arabie saoudite n’a pu effacer. Pourtant, en inscrivant le but de la victoire à Bizerte même, le véloce latéral droit stadiste Abdessalam Bellagha semblait avoir décidé du sort d’un trophée qui tendait les mains aux gars du Bardo. «Mon but aurait dû nous valoir le titre, sauf que, dans la dernière journée, nous avons été incapables de battre un CA démobilisé», se rappelle, avec beaucoup d’amertume, la perle noire passionnée de chant.Retour sur ce moment d’histoire et sur la carrière de Bellagha.


Abdessalam Bellagha, peut-on trouver une explication plausible à la longue traversée du désert vécue par votre club depuis les années 1970 ?

Non, il ne faut pas se casser la tête: le destin en a voulu ainsi. On arrive chaque fois jusqu’à la source sans s’en abreuver.

Le mythe de Sisyphe, vous connaissez. On termine champion d’hiver, mais l’été venu, on est deuxième ou troisième. Pourtant, vous ne pouvez pas imaginer quel genre de sacrifices a consenti notre président feu Hedi Enneifer, un grand bonhomme qui a passé 17 ans à courir derrière un titre. Il était malheureusement parti sans avoir touché une seule fois au but.

La coupe arabe des vainqueurs de coupe 1989 en Arabie saoudite avait pourtant semblé devoir mettre un terme à cette disette, mais après Enneifer puisque Mohamed Achab était alors président ?

Nous avons livré en terre saoudienne de superbes matches, dominant de grosses pointures comme Arrachid irakien, Al Ittihad saoudien et Al Hilal soudanais. Après avoir remporté la demi-finale de cette coupe arabe, nous avons demandé à notre président Mohamed Achab de limoger l’entraîneur Biggy. Toutefois, Achabl laissa passer l’orage. Abdelhamid Hergal et Taoufik Mhadhebi ne purent terminer avec nous le tournoi. Ils devaient rentrer à Tunis renforcer la sélection nationale. Le talent de Hachemi Sassi, une sorte de Van Basten arabe,de Ncibi, Ben Jaballah…aura en tout cas suffi. En battant Al Koweït SC en finale (0-0, 6 tirs au but à 5) avec des arrêts prodigieux de notre keeper, Ben Jaballah, nous remportons, enfin ! un titre qui nous tournait le dos depuis une éternité. Entretemps, nous avons bêtement perdu un titre avec Nagy, et un autre avec Biggy.

Celui-ci vous a accusé de l’avoir agressé après la finale de la Coupe de Tunisie 1990 perdue (3-2) contre l’AS Marsa….

C’est vrai qu’après cette finale, ma frustration était énorme. Un rêve s’envolait. En fait, ce qui ajoute à ma colère, c’est le peu de cas que Biggy a fait des affaires techniques. Une semaine plus tôt, Taoufik Mhadhebi s’était blessé à Sfax. Malgré tout, le coach bulgare l’a aligné après lui avoir administré une piqûre. A un certain moment du match, «Tigana» était quasiment paralysé, il ne pouvait plus bouger. Notre entraîneur m’a alors demandé de m’échauffer pour, je suppose, prendre sa place. Soulagé, je me suis dis que j’allais jouer et apporter quelque chose à la place d’un Mhadhebi aussi diminué, dans un rendez-vous aussi important qu’une finale de coupe. Nenni ! Biggy  a renoncé à m’aligner. Je demeure convaincu qu’il a fait ce jour-là un très mauvais choix. Oui, sur le chemin du retour aux vestiaires, après le match, je l’ai brutalisé. Furieux, je lui criais: «Biggy, dehors !». Je l’ai certes poussé dans la mêlée. Toutefois, c’est un supporter qui lui a asséné un coup de poing. On m’a accusé de l’avoir fait, mais cela n’était pas vrai.

Venons-en à ce final de championnat 1984 à couper le souffle. Que vous reste-t-il de ce scénario hitchcockien ?

Un goût d’inachevé, beaucoup d’amertume et une profonde frustration. Souvenez-vous, dans la dernière journée, il nous aurait pourtant suffi de battre un Club Africain démobilisé pour empocher le gros lot. Malheureusement, on a concédé le nul (1-1), cédant la couronne au Club Athlétique Bizertin. Que voulez-vous, on a perdu notre lucidité et notre concentration devant les buts adverses. C’est comme si, soudain, nous étions devenus aveugles ! Un petit coup de pouce nous aurait sans doute libérés. Mais c’est la vie !

Pourtant, quelques semaines plus tôt, vous avez fait le plus dur en allant gagner à Bizerte face à votre adversaire direct grâce à un but que vous avez vous-même réussi….

Ce jour-là, j’étais remplaçant. Alors que le nul se dessinait inexorablement, un score qui ne faisait pas nos affaires, je me retourne vers André Nagy, notre entraîneur et je lui souffle: «Je veux jouer, je me sens capable de réussir quelque chose». Etonné, il me demande à la place de qui je crois devoir entrer en jeu. Sûr de moi, je lui réponds: «A la place de Hachemi Sassi !». Nagy fait ce que je lui demande. Cela procède du halo de mystère qui l’entoure généralement, car on ne sait jamais ce qu’il a dans la tête. Bref, j’entre en jeu et inscris à la 90e minute le but de la victoire. Et d’un pointu désespéré, SVP !. En rentrant au Bardo, j’étais dans un état second, comme inconscient. Tout le monde me félicitait. Incontestablement, le moment le plus important de ma carrière. Ce but aurait pu — et dû — nous valoir le titre. Malheureusement, c’était sans compter avec la poisse.

Avez-vous joué autrement que latéral droit ?

Oui, dans les catégories des jeunes, j’étais attaquant, et mon idole était Pelé. C’est André Nagy, le plus grand entraîneur que j’ai connu, qui m’installa définitivement au poste d’arrière droit. Il nous faisait pratiquer le foot que produit aujourd’hui le Barça. C’était un précurseur. Après m’avoir essayé comme attaquant, c’est lui qui me fit jouer latéral droit, en concurrence avec Fethi Jemmi. Je n’allais plus quitter ce poste, et c’est à ce titre que le sélectionneur Youssef Zouaoui m’appela en sélection.

Qui vous a promu parmi l’équipe fanion ?

La même saison où j’ai remporté avec le ST la Coupe de Tunisie juniors 1980 contre le CA, à El Menzah en lever de rideau de la finale seniors EST-CA (2-0), Ameur Hizem me lance dans le grand bain des seniors. Physiquement, j’étais très fort, ce qui compensait de petites lacunes dans le jeu. J’ai réussi à neutraliser des ailiers gauches aussi rapides que Ridha El May (CAB) et Kamel Azzabi (ESS).

Toutefois, c’est incontestablement le meneur de jeu du Club Africain, Khaled Saïdi, qui m’a donné le plus de fil à retordre. Un jour de derby face au CA, il se trouva dans une forme étincelante. Ce jour-là, il m’a tout simplement torturé !

Quels furent vos entraîneurs ?

Mahmoud Temime, Amor Mejri, l’adjudant-chef Achour, Taoufik Skhiri, et Ahmed Mghirbi qui m’a entraîné dans la catégorie Ecoles alors qu’il jouait encore dans l’équipe seniors. Je crois qu’il m’appréciait énormément  parce qu’il savait que je donne tout, oui tout sur un terrain, et que je ne triche jamais. J’allais le retrouver dans la catégorie seniors l’année de notre finale perdue en coupe arabe aux Emirats, en 1992. Il y a eu aussi Ameur Hizem, André Nagy, Biggy, Mokhtar Tlili, Ezeddine Bezdah…

Comment êtes-vous venu au football ?

Un jour de 1971, en assistant aux entraînements du ST, le garde-matériel Bouaziz s’est approché de moi, me demandant si je voulais jouer au ST. Il m’a expliqué quels documents il fallait ramener. Quelques jours plus tard, je m’entraînais avec les Ecoles. J’étais maigrichon. Daniel a été pour moi une idole, puisque j’évoluais comme lui avant-centre.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?

En fait, considérant que cette activité risquait de me distraire de mes études, mon père Hedi, qui travaillait à Air France, ne m’a pas encouragé au début à épouser une carrière de joueur. De son côté, ma mère, décédée en 2016, me gâtait sur la table afin que je sois en forme les jours de match.

Quels sont à votre avis les meilleurs joueurs de l’histoire du ST ?

Mohsen Jendoubi, Abdelhamid Hergal et Jamel Limam. Noureddine Diwa, je ne l’ai pas vu jouer, j’étais trop jeune pour cela. Dans les dernières générations stadistes, je citerai Hachemi Sassi, Oussama Sellami…

Et du foot tunisien tout court ?

Agrebi, Tarek, Hergal…

Parlez-nous de votre famille

Je me suis marié en 1988 avec Naima. Nous avons trois enfants: Hamza, Halima et Khedija.

Quels sont vos hobbies ?

Depuis ma prime enfance, j’aime faire de l’ambiance, un animateur-né, quoi ! La musique reste une grande passion, surtout la musique d’Oum Kalthoum. Sa chanson religieuse «El Albi Yaâchak kolli Gamil» me transporte dans un autre monde…

Etes-vous optimiste pour l’avenir du Stade Tunisien ?

Malheureusement, ce n’est plus le club mythique d’antan. Certes, il a retrouvé sa place en Ligue 1, mais il doit ambitionner davantage. Le potentiel humain ne suffit pas. Je me demande pourquoi chaque président qui vient ne cherche pas à rassembler la grande famille stadiste, sans exclusion aucune, et à tendre la main à celui qui veut apporter sa petite contribution.

Enfin, que vous a donné votre club ?

Tout. L’amour des gens, un boulot à la Snit, puis à la Star…. Je le dois à notre président Hedi Enneifer. J’ai pu aussi travailler avec de grands entraîneurs, passionnés et dévoués. C’était comme dans un rêve.

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