A l’occasion du mois de l’Europe, le vice-président de la Banque européenne d’investissement, Ricardo Mourinho Félix, énumère dans cet entretien les actions et les projets entamés par cet instrument financier européen qui a soutenu à tour de bras la Tunisie et a accompagné son développement durant plus de quatre décennies.
Avec plus de 42 ans de présence en Tunisie, la BEI est certainement un acteur historique qui a financé plusieurs projets en Tunisie. Quel bilan faites-vous pour ce parcours ?
L’Union européenne et sa banque, la Banque européenne d’investissement, entretiennent une relation solide et durable avec la Tunisie.
Depuis 42 ans, la BEI a investi plus de 7 milliards d’euros pour le financement de 130 projets, qui favorisent la création d’emplois et une croissance économique durable et inclusive. Nous finançons des projets à un fort impact économique et social avec pour objectif de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des Tunisiens.
Nous avons investi dans des secteurs stratégiques tels que la santé et l’éducation, la sécurité énergétique, les transports routiers et ferroviaires, l’aménagement urbain et le soutien à l’innovation et au secteur privé.
La Tunisie est le premier bénéficiaire des prêts de la BEI par habitant/PIB hors de l’Union européenne. Elle a bénéficié de 13% des financements de la BEI dans la région au cours des 10 dernières années.
Depuis 2011, la BEI a mobilisé 2,4 milliards d’euros pour le financement de 36 opérations, dont un tiers a été consacré au soutien des PME, TPE, les micro-entreprises et les secteurs de l’industrie tunisienne et les deux tiers octroyés à l’Etat et aux entreprises publiques pour des projets d’investissement.
Avec un tiers des financements consacrés au secteur privé, peut-on envisager un renversement de la tendance du financement au profit du secteur privé dans le futur ?
Le soutien au secteur privé et à l’innovation, levier capital dans la relance économique et la création d’emplois, est au cœur de nos priorités en Tunisie.
Convaincus de l’importance du secteur privé dans la création de richesse et l’ouverture de perspective à la jeunesse tunisienne, nous avons renforcé notre soutien aux entreprises privées et aux micro-entrepreneurs.
En 2016, nous avons financé le projet de construction de l’infrastructure du réseau 4G de Tunisie Télécom d’un montant de 100 millions d’euros. Ce projet a permis la connexion de 1 million de Tunisiens.
Nous avons accordé un crédit d’un montant global de 30 millions d’euros au Groupe One Tech, une pépite de l’industrie tunisienne. Notre soutien financier a permis au Groupe de créer près de 1.200 postes d’emploi, d’augmenter son chiffre d’affaires à l’export et d’étendre ses investissements dans la recherche et développement.
Nous accordons aussi un intérêt particulier à l’inclusion financière, facteur essentiel pour la croissance économique et sociale. Nous sommes engagés vers l’amélioration de l’accès au financement des micro-entrepreneurs, notamment les femmes et les jeunes, dans les régions défavorisées. La BEI a apporté son soutien à Enda Tamweel à travers l’octroi de plusieurs crédits dont le dernier a été signé lors de ma visite à Tunis en décembre dernier. Grâce à ce soutien, plus de 20 mille projets portés par des femmes et des jeunes sont nés.
Notre objectif est d’offrir des conditions de prêt attractives adaptées aux besoins des porteurs de projet. Nous travaillons d’ailleurs actuellement avec les banques tunisiennes et avec la Banque centrale de Tunisie pour mettre en place de nouvelles lignes de crédit à des taux d’intérêt intéressants.
L’éducation est un secteur phare dans le Plan de développement économique et social de la Tunisie. La BEI a-t-elle un plan de financement dédié à ce secteur ?
Plus que jamais, la jeunesse est une priorité de notre partenariat avec la Tunisie. La jeunesse tunisienne est la plus grande richesse du pays et le meilleur gage de son avenir.
La BEI apporte son soutien technique et financier en faveur de l’éducation et de l’enseignement supérieur en Tunisie. Etant un socle du développement, l’éducation renforce la résilience des populations et la lutte contre les inégalités. Nous considérons l’éducation comme l’un des piliers d’une croissance économique et sociale inclusive.
Nous sommes un partenaire clé du secteur de l’éducation en Tunisie. Nous apportons actuellement notre soutien au ministère de l’Education à travers le financement du Programme de modernisation des établissements scolaires. Un programme qui consiste à rénover et construire plus de 400 établissements scolaires, pour de meilleures conditions d’apprentissage.
Depuis le démarrage du projet en 2017, pour un montant de 70 millions d’euros, nous avons réussi à rénover et construire plus de 170 établissements sur tout le territoire tunisien. Notre intervention ne s’arrête pas au financement des travaux, nous finançons l’acquisition de matériels scientifiques et ludiques ainsi que le renforcement des capacités du personnel du système éducatif. Le Programme de modernisation des établissements scolaires (Pmes), c’est aussi la promotion de la culture du vivre ensemble.
Avec nos partenaires internationaux et le ministère de l’Education, nous avons soutenu le projet Tunisia 88 qui consiste en la création de clubs de musique dans les établissements scolaires dans les 24 gouvernorats, pour et par les élèves. Quatre années après son lancement, le projet Tunisia 88 a réussi à créer près de 600 clubs avec l’adhésion de 50 mille membres et l’organisation de 600 concerts. Nous sommes convaincus que la création et l’expression artistique sont des vecteurs d’inclusion sociale et d’intégration économique.
Pourquoi la BEI a-t-elle opté pour soutenir le programme d’appui aux opérations de régénération des centres anciens et médinas en Tunisie ?
Notre choix émane de notre conviction de la richesse remarquable du patrimoine culturel tunisien. La Tunisie regorge de sites archéologiques, de monuments historiques et de quartiers anciens qui marquent plusieurs époques et racontent l’une des histoires les plus riches de tout le bassin méditerranéen. Cette richesse culturelle inestimable devrait être un facteur puissant de développement social et économique.
Le Programme de régénération des centres anciens est financé par la BEI et l’AFD. Ces opérations de réhabilitation ont pour objectif d’améliorer les conditions de vie des citoyens vivants dans les centres anciens et de créer une revitalisation économique et touristique tout en renforçant le lien social, avec à la clé la création d’emplois.
Le soutien à la régénération des centres anciens s’inscrit dans le cadre de la stratégie «Médina 2030» initiée par la BEI en 2008. Cette initiative a pour objectif d’apporter une réponse durable à la dégradation qui affecte les centres anciens et ce, en réunissant et sensibilisant les parties prenantes, en Afrique et au Maghreb, sur l’importance de la régénération des médinas dans le développement durable des villes.
Certains projets financés par la BEI connaissent des retards énormes ou ne sont pas parvenus à démarrer. La BEI fixe-t-elle des délais limites pour le financement des projets ?
Le taux de décaissement de nos prêts avec le secteur public atteint environ 70%. Certains projets connaissent en effet un retard dans l’exécution. C’est pourquoi, nous avons mis en place un mécanisme d’assistance afin d’accélérer la mise en œuvre des projets.
Nous avons mobilisé des experts pour assister l’administration et les promoteurs tout en veillant au respect des normes de la BEI. De nombreuses opérations ont été mises en œuvre et d’autres sont en cours de réalisation dans des secteurs clés pour l’économie tunisienne.
Est-ce que les différentes dégradations de la note souveraine de la Tunisie par les agences de notation internationales pourront impacter négativement à l’avenir le concours de la BEI au financement des projets dans le pays ?
La qualité de la note souveraine est un élément important dans notre décision d’accorder des concours financiers mais il n’est pas le seul. L’Etat tunisien a montré sa capacité à respecter ses engagements financiers et je pense qu’il est essentiel que les institutions financières internationales, comme la BEI, continuent à soutenir le pays, dès lors que les mesures nécessaires pour améliorer la situation économique et sociale sont prises.
Un message pour la Tunisie ?
Le partenariat entre la BEI et la Tunisie est un partenariat solide. Nous sommes prêts à renforcer notre soutien à la Tunisie et à lui apporter notre expérience et expertise afin de l’aider à relever les défis auxquels elle fait face. La Tunisie possède un fort potentiel et de nombreux atouts pour réussir son processus démocratique et sa relance économique.
Je voudrais aussi adresser un message à la jeunesse tunisienne, cette force sociale et économique. Nous nous tenons et nous nous tiendrons à vos côtés.
Nous sommes plus que jamais mobilisés pour lutter contre les inégalités et soutenir l’éducation et l’inclusion sociale. Nous croyons qu’en Tunisie la réussite doit être pour tous.