Tribune | Ce n’est qu’ensemble qu’on peut sauver la Tunisie

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Par Ridha ZAHROUNI*

J’ai trop hésité avant d’écrire ces quelques lignes. Seraient-elles publiées, lues et comprises avec le juste message qu’elles portent, avec les réelles intentions qui les motivent et les fortes émotions qu’elles espèrent stimuler? J’ai trop hésité, mais j’ai fini par me décider à m’exprimer car je suis aussi Tunisien que chacun de mes compatriotes, l’avenir de mon pays m’implique au plus haut degré, je ne suis pas plus bête que ceux qui s’approprient le droit d’être suffisamment habilités, intelligents et compétents pour décider de l’avenir de nos enfants et de nos petits d’enfants et des générations présentes et futures. Effectivement, la Tunisie nous appartient à tous et la Tunisie est à la fois notre histoire, notre présent et notre avenir.

Mon message s’adresse principalement à ceux qui décident de notre destin à tous, nous les Tunisiens, à ceux qui nuisent d’une façon ou d’une autre le cours de notre destin, et à ceux qui croient être en mesure d’agir pour le bien de notre destin. Des décideurs de tous bords et tous niveaux, des politiciens, des opposants, des professionnels des médias, des spécialistes dans divers domaines, des intellectuels, des hommes de cultures, des activistes de la société civile et des Tunisiens ordinaires alertes à la réalité du pays et soucieux de son avenir. Ils peuvent être idéalistes, opportunistes ou comploteurs, qu’ils agissent par conviction et amour pour la patrie ou par intérêt ou par émotions, qu’ils sont action, en observation ou dans la critique et l’indignation, je leur affirme à tous qu’ils sont encore loin, très loin, des exigences de la politique, de ses motivations, de ses objectifs et de ses pratiques.

J’affirme, sans risque de me tromper, que tout ce monde fait partie, dans sa majorité, de la classe aisée du pays, qu’ils sont suffisamment protégés, dans le vrai sens et le sens figuré du terme, que plusieurs d’entre eux sont gracieusement rémunérés, que d’autres cherchent à se positionner. Il y a même ceux qui servent des agendas d’étrangers, et pour beaucoup c’est un jeu et car je les vois s’amuser vraiment, et, à mon avis, ils n’ont aucune raison de vouloir écourter le plaisir ou de s’inquiéter outre mesure.

Je me redresse et je m’adresse à tous ces acteurs, de piètres acteurs, de mon point de vue évidemment, pour leur dire que pendant qu’ils prennent leur pied, pendant qu’ils s’obstinent à nous imposer leurs fantasmes, leurs idéaux et leurs idées, pendant qu’ils cherchent à solder leurs comptes en majorant en leur faveur les intérêts, pendant qu’ils se croient suffisamment malins pour nous leurrer et nous manipuler, la Tunisie agonise, car le peuple, dont ils affirment à chaque occasion parler à son nom, ce peuple là souffre le martyre et sa douleur monte chaque jour d’un cran supplémentaire.

Il faut réaliser que ce peuple, le nôtre, n’a plus ni les moyens, ni la force, ni la lucidité de réclamer ses droits et même discerner son bien et son intérêt. Un peuple marginalisé, enfoncé de plus en plus dans la pauvreté et dans l’ignorance, qui n’arrive plus à manger à sa faim, à éduquer et garantir l’avenir ses enfants et à se soigner correctement. Un peuple pour qui les mots espoir, espérance et dignité n’ont jamais eu de sens. Ce peuple ne mangerait pas mieux et ne se soignerait pas mieux grâce à une nouvelle Constitution et ne s’abreuverait pas plus grâce à un nouveau système politique. Il ne recevrait pas une meilleure éducation et il ne serait pas plus intelligent quand vous allez lui proclamer la troisième République ou même la quatrième ou la cinquième. Il ne se sentirait jamais davantage confiant dans l’avenir et davantage respecté et heureux parque vous avez mis fin à l’activité d’une telle ou telle association ou vous avez enfermé dans une prison tel voleur, violeur ou malfaisant. Ce peuple, le nôtre, croyez moi, fera aujourd’hui et tout simplement confiance et alliance avec Diable, si Satan lui promet monts et merveilles et des jours meilleurs.

Certes, nous avons besoin de réviser la Constitution, les lois et le fonctionnement de l’Etat et de ses institutions. Mais c’est très insuffisant et nous resterons très loin du compte si nous ne réalisons pas les vrais sens du mot politique et si nous ne maitrisons pas ses dimensions, ses concepts et les préalables à sa bonne exécution. En effet, la politique doit être perçue comme exigences et mérites pour servir le peuple, améliorer son quotidien et bâtir son avenir et non pas pour se servir soi-même et servir son ego même si pour cela on doit semer la discorde et détruire tous nos acquis. Nous sommes encore hors temps et hors sol si nous n’avons pas pris conscience que la politique est une affaire d’Hommes et de Femmes avant tout. Le pays a besoin tout simplement de vrais patriotes honnêtes et sincères, compétents et engagés, de vrais militants qui diffusent un discours de concorde, d’idées, de visions et qui portent de vrais programmes et projets pour relever tous les défis que doit affronter notre société.

Le pays a besoin qu’on opère une vraie révolution non pas contre des communautés, des partis ou des personnes, mais contre leurs idées et leurs pratiques quand celles-ci deviennent obsolètes ou dangereuses. Une révolution qui doit cibler les esprits, les consciences et les mentalités. Une vraie révolution culturelle qui nous ressemble et nous rassemble pour qu’on devienne solidaires les uns des autres pour que tous, nous puissions travailler et militer ensemble pour promouvoir nos capacités et nos moyens pour mieux vivre, pour que soins, éducation, culture, science et bonheur soient accessibles à tous, pour que personne ne se sente exclu et pour que pour tous, les mots respect et dignité ne soient plus slogans mais réalité, pour que la justice sociale ait un sens et pour que nous œuvrions tous pour que la Tunisie soit toujours fière et souveraine, une étoile avec son croissant dans le ciel du monde, une reine. C’est à ça et uniquement à ça que doit servir la politique. C’est à ça et uniquement à ça que doit servir la politique.

Et mon appel par le bais de ces quelques lignes s’adresse à toutes les forces vives et conscientes du pays, ces forces capables de réaliser des miracles quand elles s’impliquent et s’appliquent, et surtout à toutes ces forces qui ont choisi de se taire et de s’astreindre à un rôle d’observateur.  Je les invite à agir et à réagir, avant qu’un réel cataclysme politique, social et économique s’abatte sur nous, car nous avons accusé beaucoup de retard, il faut le reconnaître. Je m’adresse à eux pour leur signifier que nous assumons tous une responsabilité dans ce qui se passe. Albert Einstein disait que «le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire». Je les invite par la même occasion à refuser la négation de notre volonté et de notre droit, celui de nos enfants et petits-enfants à la vie, à la vraie, en s’engageant à combattre la normalisation avec l’avilissement, la médiocrité, l’alignement, l’immobilisme et le fatalisme. C’est ce que souhaitait notre illustre poète Abul Kacem Chebbi il y a 90 ans alors qu’il n’avait que 24 ans quand il rimait «Quand le peuple décide de vivre, le destin doit obéir et suivre».

R.Z.

*Officier supérieur de l’Armée nationale à la retraite et président de l’Association tunisienne des parents et des élèves

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