Programme national des réformes | Mohsen Hassan, ancien ministre du Commerce à La Presse : «Nous avons les compétences nécessaires pour réussir les réformes »

L’expert économique garde un œil acéré sur le programme des réformes, récemment dévoilé par le gouvernement. Il estime que la révision du système de compensation doit être accompagnée de mesures qui visent à soutenir les familles nécessiteuses et les travailleurs des petits métiers.

L’ancien ministre du Commerce a considéré que la communication sur les grandes réformes dans une conjoncture morose, qui puise son origine dans une crise multiple (pandémie Covid, guerre en Ukraine et crise politique), constitue un point fort du  programme. Cependant,  il a ajouté que la non-implication de l’Ugtt dans  l’élaboration du document peut entraîner un manque de confiance, «surtout que le FMI y tient beaucoup». Selon l’expert, le plan de réformes doit être accompagné d’objectifs chiffrés et tracés, mais aussi d‘indicateurs qui permettent l’évaluation et le suivi de l’avancement du processus de réforme.

Une structure chargée du suivi doit être également désignée, explique-t-il.  “ Quand on parle d’un plan de réformes, on parle de  planning détaillé, d’outils de mesure du rendement, d’indicateurs de suivi, de résultats escomptés, et puis il faut identifier la structure chargée du suivi des réformes, celle qui s’occupe du dossier ”, a-t-il précisé.

Absence de mesures de soutien

Concernant le contenu du programme, Hassan a fait savoir que l’accent doit être mis sur le plan de relance économique ainsi que sur la lutte contre l’inflation, car  “on ne pourra, en aucun cas, résoudre un problème structurel dans un environnement conjoncturel morose, tel que le nôtre”. L’expert a pointé, en ce sens, l’absence de mesures de soutien  au profit des PME touchées par la crise Covid, mais aussi celles visant à dynamiser l’investissement privé et lutter contre l’inflation. “Le gouvernement n’a rien fait en matière de lutte contre l’inflation et a laissé la BCT seule face à ce fléau qui érode le pouvoir d’achat du citoyen et lamine  la compétitivité des entreprises ”, a-t-il regretté.

En ce qui concerne la révision du système de compensation, Hassan a estimé que la conjoncture actuelle, marquée par  des pressions inflationnistes persistantes  et par la détérioration du pouvoir d’achat, n’est pas propice à une telle réforme. Soupesant  l’efficacité de la plateforme électronique que le gouvernement compte mettre en place pour inscrire les bénéficiaires des subventions, l’expert a estimé que cette méthode ne va pas empêcher les évadés fiscaux et les classes aisées  de s’y inscrire et de bénéficier des transferts monétaires de l’Etat.   

“On n’a pas un Internet banking développé, ni un système monétique concurrentiel, sans oublier l’illectronisme chez les personnes âgées. Le  remplacement de l’identifiant unique, qui est l’outil le plus efficace par une plateforme ouverte au public, risque d’augmenter les dépenses  de compensation, mais également la corruption à ce niveau”, a-t-il précisé. Et d’ajouter  : “Aucun pays n’a réussi à réformer son système de compensation s’il n’y a pas une unanimité sociale sur la question”. Bien qu’il s’agisse d’un impératif, atteindre la vérité des prix à l’aide du mécanisme de régulation automatique des prix du carburant doit être effectué, selon l’expert,  sans toucher les revenus des travailleurs des petits métiers. “La réforme de la  compensation doit être accompagnée d’un système qui va soutenir  les familles nécessiteuses, les travailleurs des petits métiers, les agriculteurs, etc. Cela doit également  inciter le gouvernement à investir dans l’infrastructure  routière et  le transport public (les bus, les RER et pourquoi pas une nouvelle capitale qui pourrait attirer les IDE), etc.”, a-t-il fait remarquer.

Des mesures, une partie de la solution

S’agissant de la réforme de la fonction publique, l’expert économique a estimé que les mesures annoncées sont une partie de la solution.  “La question du gel du recrutement, l’encouragement à la retraite anticipée, la mobilité au sein de la fonction publique, etc.  tout cela est bon. Mais pourquoi on n’essaie pas d’atteindre d’autres objectifs. Puisque c’est le ratio masse salariale/ PIB qui nous pose problème,   pourquoi on ne réfléchit pas côté PIB? Encourager l’investissement privé, le PPP, l’investissement public, stimuler les exportations, etc. pour créer la richesse, est la meilleure façon de réduire ce ratio qui nous gêne depuis des années”, a-t-il précisé.

En ce qui concerne les transitions digitale et énergétique, Hassan a souligné, en somme,  que la Tunisie dispose des compétences nécessaires pour réussir ce passage. Mais, faut-il encore lutter contre la corruption et la lourdeur administrative et concrétiser la volonté politique pour atteindre ces objectifs, estime-t-il. “Les gouvernements précédents ont promis monts et merveilles en matière de digitalisation, mais concrètement ils n’ont rien fait.  Il faut un planning, des gages de réussite et un engagement politique”, a-t-il ajouté. Et d’ajouter :  “ Il est temps de dire la vérité aux gens, il est temps de dire qu’il faut réformer,  qu’il faut combattre la corruption, trouver des fonds d’investissements dédiés à la transition énergétique, trouver  des sociétés de capital-risque spécialisées dans  l’investissement dans la transition énergétique, doter l’Anme de moyens pour impliquer le citoyen et les ménages dans ce processus de transition énergétique. Il faut mettre en place les moyens indispensables pour la mise en œuvre de nos politiques.

Nous avons les compétences pour  faire tout cela. Je suis convaincu que les fondamentaux de la Tunisie sont très solides malgré les dérapages, même si notre économie est malmenée, les fondamentaux de l’économie tunisienne sont solides avec ses avantages comparatifs, son capital humain, son positionnement stratégique, son climat,  son système éducatif, sans oublier  la femme tunisienne ”.

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