Crise de sécurité alimentaire | Engager une vraie réforme agraire

Jamais la question de la sécurité alimentaire ne s’est posée avec autant d’acuité dans un contexte mondial traversé par des crises multiformes : politique, économique, sociale,  climatique, sanitaire… Comme nombre de pays du monde, la Tunisie est à pied d’œuvre pour sortir de la spirale infernale de l’insécurité alimentaire. Pour échapper à cette problématique, elle veille aujourd’hui à la mise en place d’une stratégie devant lui permettre d’aboutir progressivement à jeter les bases de son indépendance agricole et à s’affranchir du diktat des marchés mondiaux. Une stratégie de développement agricole visant l’accroissement soutenu des productions stratégiques comme les céréales, l’oléiculture…

Les enjeux sont très importants et les défis à relever nécessitent de faire preuve d’une volonté permanente avec l’instauration d’une bonne gouvernance agricole. L’impérativité de la souveraineté alimentaire est l’un des premiers enseignements tirés de la crise sanitaire (Covid-19) qui s’en est suivie d’une autre géopolitique. Cette souveraineté se veut la carte maîtresse  pour chaque pays déterminé à traverser les zones de turbulences sans trop de dégâts.

Plan national d’adaptation

Selon une étude publiée par le Forum Ibn Khaldoun pour le développement sur la sécurité alimentaire, «la dépendance de la Tunisie  à l’égard des marchés extérieurs pour des produits de base, tels les céréales, le soja, la viande rouge, l’huile de graines est un révélateur de crise profonde du système alimentaire et agricole». La Tunisie s’attache aujourd’hui à la préparation de son Plan national d’adaptation pour la sécurité alimentaire et prépare l’adoption de trajectoires de développement résilientes au changement climatique. L’auteur de l’étude,  Ali Mhiri,  ancien professeur de Sciences du sol et environnement à l’Inat,  indique que la Tunisie a pu assurer, depuis l’Indépendance, une certaine sécurité alimentaire, quoique relative et différentiée, dans toutes les régions du pays, une démarche ayant atteint ses limites remettant en cause son efficacité et son efficience sur le plan tant économique que social et environnemental : il en a résulté une agriculture non durable et des ressources naturelles dégradées.

Selon la même source, et sur un autre angle, «les importations de denrées alimentaires de base dépassent aujourd’hui les capacités financières de la Caisse générale de compensation dans sa rubrique alimentaire, entraînant déficits croissants et endettement démesuré». Nombreuses sont les contraintes touchant l’agriculture tunisienne qui ne lui permettent pas d’améliorer sa contribution à la balance de la sécurité alimentaire. «L’absence d’une vision claire et officielle de l’avenir de ce secteur et de son rôle dans la réalisation de ses fonctions structurantes de l’économie nationale, sociale et environnementale en particulier, lui fait perdre les chances d’une renaissance à la faveur des nouvelles technologies dans tous les domaines pour améliorer ses performances et contribuer davantage à l’équilibre de la balance alimentaire du pays».

Mhiri précise que les solutions de court terme sont improvisées, au détriment de nombreuses études prospectives et stratégies sectorielles restées en attente de prise en compte dans le cadre d’une nouvelle politique. «Seules les politiques sociales ont permis, à ce jour, la préservation d’une grande part de la population de la faim, de la malnutrition et de leurs conséquences sanitaires».

Vision de transformation

Une vision de transformation de l’agriculture déclinante en une autre plus performante  est proposée, en tenant compte des contraintes endogènes et des multiples risques liés aux menaces exogènes, dont, principalement, ceux du changement climatique et du marché alimentaire mondial.

«Cette vision permettrait de revoir tout le système alimentaire et son financement. Les petites et moyennes exploitations, en particulier, considérées actuellement comme de grandes contraintes à l’intensification de l’agriculture, auraient l’opportunité de devenir la locomotive du progrès agricole durable, générant un processus de développement rural local incontestable», précise Mhiri.

Et de poursuivre : «L’agriculture tunisienne, dans son ensemble, n’est plus en mesure, dans sa  dynamique actuelle, d’améliorer sa contribution à la balance de la sécurité alimentaire,  compte tenu des nombreuses contraintes à son intensification. La plupart des diagnostics  des performances globales de cette agriculture arrivent à ce constat patent». De plus, «le pilotage de ce secteur baigne  encore dans l’improvisation de solutions de court terme (à l’instar de la toute récente stratégie de réalisation de l’autosuffisance en blé dur en 2023). Pourtant, le  pays dispose d’une multitude d’études prospectives et de stratégies sectorielles (céréales,  oléiculture, ACTA, Eau-2050…) restées en attente de prise en compte dans une nouvelle  politique». La Tunisie est devant une problématique qui pourrait avoir des retombées graves si des actions concrètes ne sont pas entreprises. L’idéal aujourd’hui est de jeter les jalons d’une souveraineté alimentaire et de développer nos capacités stratégiques afin d’éviter les carences qui pourraient nuire au futur de notre pays. Les piliers de la souveraineté devraient être axés sur une vraie réforme agraire tout en préservant les ressources naturelles.

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