Tribune | Critique : «Ala Hawak» ou quand Taoufik Jebali rénove son théâtre

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Par Ali BeEN LARBI

Quand l’homme de théâtre, le metteur en scène Taoufik Jebali entreprend de vous proposer un travail théâtral,  prépare-toi à vivre des moments de grande euphorie, où les sensations de haute amplitude de bien-être les disputent aux états de plénitude qui vous traversent. Toutes ses pièces de théâtre, j’en ai vues et j’ai assisté à des dizaines, ont toujours été des succès euphorisants, depuis «Kacem Azzak» (sa première pièce de théâtre produite et présentée à Paris dans les années 70 jusqu’à sa dernière création Ala Hawakm en passant surtout par le Manifeste d’Esserour (consacré à Ali Douagi), Le Dinausore, Fehamtallah, Kalam Ellil, … et j’en passe.

Quand tu entres au Teatro, tu te sens forcément en état d’envoûtement et de fascination. Tu es accueilli d’abord par les affiches d’une soixantaine de pièces de théâtre créées par Taoufik Jebali ou pour certaines par ses disciples, voire ses élèves, de Rached Manai ou Hichem Rostom et Kaïs Rostom, qui nous ont quittés, jusqu’aux plus jeunes tel Naoufel  Azara, pour ne citer que lui : sublimité du dévouement. Une ferveur de la vie théâtrale de Taoufik Jebali et consorts qui se dégage à ta vue, à tes sensibilités, dès que tu arrives dans le couloir de l’euphorie que domine le portrait de Zeineb Farhat qui s’est éclipsée à nos yeux et mémoire depuis voilà un an et demi.

Tout cet accueil spontané te prépare déjà à ce que tu vas voir et déguster… le théâtre de Taoufik Jebali et ses disciples, comédiens, scénographes, musiciens, danseurs, clowns, prestidigitateurs… toute une atmosphère suave, enchanteresse et évocatrice des moments de grande liesse théâtrale qui vont suivre et qui vont mettre bien en ordre, l’enchevêtrement des pensées subies par les entrées en matière qu’elles ont traversées jusqu’à l’entrée dans la salle de présentation, de la pièce à laquelle tues venu assister.  Une salle pleine à craquer… pas une place vide, un public d’un jour, de tous les jours, fidèle, impatient de voir parfois, ou souvent, pour la enième fois le spectacle… Certains, certaines surtout parmi le public ont déjà appris par cœur les textes des belles prestations, de la pièce… inouïe, rarement vue mais bien constatées aujourd’hui par ce fameux public nombreux et fidèle à Taoufik Jebali et consorts.  

Enfin, les lumières s’éteignent. Le silence absolu prend le dessus sur le brouhaha et les crépitements des chaises. La pièce commence. et commencent chez certains comme moi les supputations des entrées en scène, les premières phrases prononcées par les comédiens, les jeux de lumière de scène (projecteurs de tous genres, et poursuites qui meublent le toit de la salle en longueur et en largeur, un travail de grands professionnels que l’on voit rarement dans les autres salles de théâtre hormis les salles du théâtre municipal, ou d’Ibn Rachid, d’Ibn Khaldoun, de Tunis voire du Théâtre municipal de Sousse où de Sfax, ou les salles, la grande salle de Monastir, depuis toujours, ou de Madinat Al-Thaqafa aujourd’hui.

Et des réflexions t’envahissent l’esprit. De quoi s’agit-il ? La présence dès le début d’entrée d’un orchestre musical jouant de tous les instruments de concert de musique à l’Occident vous laisse supposer qu’il s’agit peut-être d’une pièce de théâtre lyrique! Mais tu es vite contredit, dans tes premières réflexions, par les scènes qui vont suivre, avec des comédiens et comédiennes surtout, bien appliqués, qu’il est plutôt question d’un théâtre épique tellement les règles de la distantiation sont bien appliquées. Mais vite, tes hasardeuses idées sont vite corrigées par l’apparition à l’avant-scène d’un clown qui t’inflige ses appels au rire impromptu, s’agit-il alors d’une comédie, non plus, les répliques tragiques d’un cœur à la grecque prennent vite le pas pour laisser vite place de nouveau au rire.

Ballotté ainsi entre les différents genres de théâtre que tu t’es habitué à s’en armer pour juger, expliquer, ou bien comprendre une pièce. Là tu es vraiment perdu. Tu subis les actes de présentation, les tableaux tantôt comiques, tantôt tragiques er de nouveau lyriques jusqu’à la fin. Les comédiens, acteurs, musiciens et danseurs à la fois vous subjuguent par la qualité de leurs prestations. Et le texte, les textes de la pièce te bombardent de dictons bien choisis, de références à la vie politique du pays, te ramènent loin dans tes souvenirs pour te remettre vite sur pied.

Tu te sens entre déchiré, diabolisé, diachronisé, synchronisé au point que tu jettes les instruments méthodologiques dont tu t’es armé pour tenter d’autres moyens de dominer le déroulement fou de la pièce et le rythme de plus en plus accéléré imprimé à la pièce. Tu sens autour de toi le public subjugué qui se laisse mener à bateau. Tu t’accroches pour ne pas subir le même effet, ton rôle étant tout autre, tu cherches une planche de salut pour être au-dessus et regarder d’un autre œil la pièce : tes références de classement de la pièce en catégorie, selon les écoles dramatiques classiques et traditionnelles. Il ne s’agit ni de l’une ni de l’autre.

Es-tu alors devant un travail théâtral irréfléchi qui sort des cadres dramatiques tracés depuis les grecs jusqu’à Brecht et les écoles de théâtre comique, romantique, vaudeville… en passant par l’école Elisabethenne ? Non, il y a dans la pièce Ala Hawak, toutes ces références bien assimilées bien ordonnées dans l’esprit dans les répliques, les mimiques et les prestations des comédiens si bien que le résultat soit magnifique et enchanteur.

S’agit-il alors d’un genre nouveau qui cache encore son option ? J’ai fouillé dans les pièces, que j’ai vues de Taoufik Jebali et j’y ai alors trouvé les prémices de ce travail théâtral présenté dans Ala Hawak.

Innovations ou plutôt rénovation théâtrale assumée et bien menée à travers toutes ses œuvres antérieures.

Finalement, Ala Hawak est une pièce de théâtre dit total dont les textes aident à réfléchir sur les situations politiques, économiques et sociales du pays, aujourd’hui plus que naguère, qui proposent des débuts de solution et qui incitent le public fidèle (quel magnifique public) et le poussent à bien réagir sans pédantisme aucun tout bien enveloppé, avec grande maîtrise artistique, dans un jeu dramatique avec beaucoup de professionnalisme. Une pièce qui gagne plus de maîtrise artistique d’une représentation à une autre.

Tant mieux alors, attendons voir les prochaines créations où va sûrement bien s’éclater l’innovation sur un genre de théâtre bien acquis par Jebali et bien transmis par lui et ses disciples aux jeunes comédiens, à la fois danseurs et musiciens (l’acteur complet quoi !) produit de l’Actor Studio du Teatro.

A.B.A.

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