L’invité | Moncef Chargui, ancien défenseur international du Club Africain : «Le Club doit jouer son va-tout !»

 

Régulièrement, il était donné en exemple par son coach André Nagy dont on connaît pourtant le caractère difficile et très exigeant. Durant une bonne décennie, son sérieux et sa persévérance ont fait de Moncef Chargui un pilier de l’arrière-garde du Club Africain avec lequel il avait remporté deux championnats de Tunisie 1978-1979 et 1979-1980, et disputé trois finales de coupe toutes perdues en 1980, 1982 et 1985. Présent avec le onze national aux Jeux méditerranéens 1983 et en Coupe d’Afrique des nations 1982, le natif du 7 août 1958 à Tunis a signé en 1973 sa première licence pour le CA cadets, et disputé en 1978 sa première rencontre CA-COT (3-1). Chargui a par ailleurs livré en 1987 son dernier match contre l’ASM (défaite 0-1) pour aussitôt se reconvertir en entraîneur entre autres du Stade Zaghouanais, US Carthage, Al Ahly Landolsi, AS Ariana (cadets et espoirs), CA (seniors et espoirs), EO Goulette-Kram, Stade Gabésien, Jendouba Sport et de l’ES Zarzis en Tunisie, Al Chabab et Al Hala au Bahrein, Arryadh, Al-Ourouba, Sedouss, Ennejma et Dorya au royaume d’Arabie Saoudite, Essouihli et Al Akhdhar en Libye…
Ancien inspecteur commercial à la Sfbt (1981-1991), notre invité de cette semaine est marié et père de deux filles.

Moncef Chargui, avec l’équipe de Tunisie, vous avez vécu la traumatisante expérience de la double sévère correction face à l’Algérie (4-1 et 3-0) au dernier tour éliminatoire de la Coupe du monde 1986. Que s’est-il passé au juste ?

C’est vrai que nous avions largement les moyens de faire beaucoup mieux. Le sélectionneur Youssef Zouaoui était trop jeune pour une charge de cette ampleur. D’ailleurs, on lui imposait certaines choses. Par la suite, il va évoluer et apprendre beaucoup pour devenir l’un des tout meilleurs, notamment sur le plan tactique. Il faut pourtant rappeler que l’Algérie était très forte, la même équipe avait battu la RFA (Allemagne de l’Ouest) au Mondial précédent de 1982.

Pourquoi avez-vous manqué le match retour à Alger ?

J’ai été gravement blessé dans l’acte aller, à El Menzah. Assad m’a donné un rude coup de pied à la tête, involontairement, bien entendu. J’étais resté deux jours dans le coma. Je n’allais plus reprendre en sélection.

Et votre dernier match au Club Africain ?

En 1987 à la Marsa. Je n’avais que 29 ans.Toutefois, notre entraîneur Amor Dhib m’a ôté toute envie de continuer à jouer. Il a débarqué au Parc A avec la ferme intention de procéder à une purge et d’écarter définitivement les anciens joueurs. Son stratagème était habile car, ce faisant, il espérait dominer les jeunes de l’effectif et les mener au pas. Vous imaginez le genre de transition qui s’effectuait au CA: de Nagy à Dhib !

Dites-nous: pourquoi votre génération a-t-elle été aussi profondément marquée par André Nagy ?

Tout simplement parce que c’était le grand professeur capable de bâtir une grande équipe à partir de joueurs moyens. Dans son esprit, ce sont les petits détails qui font la différence. Dès son arrivée, il nous avait dit que le marquage individuel était dépassé, que la place devait être cédée à la défense de zone. Il nous répétait qu’il fallait attaquer le ballon le plus haut possible, et ne jamais attendre que la balle rebondisse. Cette saison-là, malgré la difficulté d’adaptation à cette «évolution des mentalités, nous avons terminé champions de Tunisie. La défense a pris seulement six buts. Sous la coupe de Nagy, Hedi Bayari a terminé deux fois meilleur buteur du championnat.

A propos de Bayari, est-il vrai que Nagy lui passait tous ses écarts, petits ou grands ?

Oui, c’était son favori parce qu’il montrait une rigueur sans faille dans l’application de ce que lui demandait le coach.

Nagy était néanmoins décrit comme un petit dictateur. Est-ce vrai?

Non, il était plutôt genre despote éclairé. Prêchant un jeu simple et avant-gardiste, il eut souvent maille à partir avec notre ailier Lassaâd Abdelli. D’ailleurs, au cours du fameux derby du 5 mai 1985 remporté par le CA (5-1) contre l’Espérance de Tunis, Nagy ne comptait pas le titulariser. Mais on lui força la main au tout dernier moment. Dépité et en colère contre les dirigeants, il n’a pas bougé ce jour-là sur son banc de touche. Il avait averti les responsables: «Je vous remets les clés de votre équipe. Faites-en ce que vous voulez !». Furieux, Nagy était alors prêt à partir.

Au moment de votre reconversion d’entraîneur, vous avez dû beaucoup apprendre du technicien hispano-hongrois, non ?

Les fondamentaux sont les mêmes. Toutefois, compte tenu de l’inévitable évolution du football, je devais m’affranchir du legs de Nagy qui nous racontait le drame de la perte de ses parents lors du soulèvement de la capitale hongroise, Budapest, contre la tutelle de l’ex-Union Soviétique en novembre 1956. Il jouait alors en Espagne, après avoir évolué en Allemagne et en France.

Actuellement, le Club Africain va mal. Pourquoi ?

Peut-être parce qu’on fait l’amalgame entre le volet administratif et celui technique. Le CA doit jouer son va-tout en comptant sur ses enfants et en renouant avec les traditions et les valeurs qui ont de tout temps fait sa force. Les enfants du club, parmi les entraîneurs, aussi, doivent bénéficier de la priorité parce qu’ils savent passer le témoin d’une génération à une autre. Comme dans une famille. Malgré tout, je demeure optimiste. Viendra le temps où les enfants du club reviendront en force pour le replacer sur les rails.

Les anciens gardent de vous l’image du stopper qui ne lâche pas son adversaire d’une semelle. Est-ce votre caractère qui pointe là?

Oui, je rêvais du football. Je crois en la vertu de l’effort et du travail. Aux entraînements, ça ne rigole pas, je me donne à 200%. Mes moyens techniques n’étaient pas énormes, mais je savais lire le jeu, et cela est très important dans le football.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?

Mes parents viennent de Zaghouan. Mon père Larbi était standardiste au Lycée Carnot. Il était un peu espérantiste, mais une fois son fils inscrit au Club Africain, il était devenu clubiste à cent pour cent et allait au stade suivre mes rencontres. Quant à ma mère Manoubia, elle me gâtait en me préparant les meilleurs plats. J’ai arrêté mes études au niveau du bac technique, mais la décision, inévitable afin que je puisse me consacrer au foot, n’a pas été vraiment très difficile à digérer pour mes parents.

Qui vous a porté au CA ?

Said Mzoughi, un agent de banque habitant Le Kram qui aimait suivre les jeunes au quartier pour les inscrire au Club Africain. Il m’a vu jouer Avenue Mongi Slim, dans notre quartier. Il m’a piloté vers Amor Amri qui a eu le grand mérite de patiemment forger des générations entières de joueurs clubistes. J’ai trouvé parmi les jeunes Slim Ben Othmane, Hassen Khalsi, Dakhli, Abderrazak Zarrouk, Rihane…

Tout jeune, quelles étaient vos idoles ?

Le Hollandais Ruud Krol qui brille par sa clairvoyance et par le jeu moderne qu’il pratiquait avec ses montées offensives. Le genre de leader dont la personnalité et la maîtrise rejaillissent sur tout le groupe. En Tunisie, Ali Rtima, un grand défenseur très tranquille et lucide. Il avait pratiquement les mêmes qualités que Krol.

Quel sentiment éprouviez-vous au moment de jouer votre premier match seniors ?

La peur, car à mon poste, chaque erreur peut pénaliser toute équipe. Ce fut à l’occasion du match CA-COT (3-1). Mon entraîneur André Nagy, qui était à sa première saison avec nous, m’a intégré en seconde période.

Mokhtar Naili était dans les bois. Par la suite, j’allais avoir davantage peur avec le retour d’Attouga. Pourtant, le fait d’avoir Kamel Chebli à mes côtés dans l’axe a fini par me rassurer. Nous avions pratiquement le même profil, les mêmes qualités, mais nous avons réussi quoique nous faisions en quelque sorte doublon. Car, faut-il le rappeler, généralement, les deux axiaux, le libero et le stopper, doivent avoir des qualités différentes pour pouvoir se compléter.

Avez-vous toujours évolué à l’axe défensif ?

Mokhtar Tlili m’a longtemps aligné latéral droit afin de placer Faouzi Sghaier à l’axe. En sélection aussi, j’ai parfois joué côté droit. Sinon, j’ai toujours été axial.

Quelles sont les qualités d’un bon stopper ?

En plus des qualités physiques et morphologiques, un bon stopper doit avoir la vitesse, la lecture du jeu, l’anticipation et le timing. Les dispositions tactiques ont été révolutionnées. Aujourd’hui, on parle d’un axial droit et d’un axial gauche. On pratique une défense de zone, et le marquage individuel à la culotte d’antan n’a plus cours.

Quels furent les avant-centres que vous avez eu le plus de mal à marquer ?

Le genre faux-nonchalant ne m’a jamais réussi. Par exemple feu Mounir Shili (CSHL), ou Abdelmajid Gobantini (EST).

Contre qui avez-vous joué vos meilleures rencontres?

En équipe nationale, en 1980 devant les Anglais de Southampton au stade Zouiten (1-1). Je devais marquer le célèbre attaquant Mike Shannon.

J’y ai réussi au point que les Saints étaient tout près de me recruter. En sélection, j’ai longtemps formé une solide charnière défensive avec Khaled Ben Yahia, un défenseur très élégant d’où son surnom de «Krol». Notre entente était parfaite.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Les titres de champion de Tunisie 1978-79 et 1979-80.

Et les plus mauvais ?

Nos finales de coupe de Tunisie perdues en 1980 face à l’EST, en 1982 devant le CAB et en 1985 contre le CSHL. Une véritable série noire !

En septembre 1983, aux Jeux méditerranéens de Casa, que s’est-il passé d’aussi grave pour nécessiter le gel des activités de l’équipe nationale durant toute une année ?

D’abord, l’équipe coachée par le Polonais Ryszard Kulesza était jeune. Et puis, ces Jeux Med coïncidaient avec l’Aïd. Tout le monde voulait rentrer fêter l’Aïd en famille. Franchement, on aurait dû faire beaucoup mieux au Maroc.

Combien de fois avez-vous été expulsé ?

Une seule fois. Pas pour jeu dur, mais plutôt parce que j’ai contesté les décisions de l’arbitre Neji Jouini.

Parlez-nous de votre famille…

En 1985, j’ai épousé Kmar Msallem, ancienne volleyeuse du CA et de l’équipe nationale, agent d’une compagnie d’assurances. Nous avons deux filles: Zeineb et Selima.

A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire du football tunisien ?

Tahar Chaïbi reste au dessus de la mêlée. Arrivent ensuite Tarek, Agrebi et Bayari. Plus récemment, il y a eu Adel Sellimi, Skander Souayah, Zoubeir Beya et Hatem Trabelsi.

Enfin, peu de gens se souviennent encore de votre carrière en sélection où vous avez également pris part aux campagnes des Jeux panarabes et des éliminatoires de la Coupe du monde 1986…

Cela tient en fait à mon caractère très discret. Je n’ai jamais fait le buzz, et je peux rester longtemps tranquille et tout seul dans mon petit coin. D’ailleurs, je ne sais pas toujours jouer aux cartes. N’allez pas en déduire que je ne suis pas sociable.

Sur un terrain, je deviens l’opposé de l’image détestable qu’on donne généralement d’un stopper, à savoir celle d’un bourreau impitoyable, d’un bagarreur toujours en conflit avec l’attaquant qu’il est tenu de marquer.

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