Democracy reporting international | Cadre juridique des élections de l’ARP, à la lumière de la Constitution du 25 juillet : « Un basculement à contretemps ! »

 

A l’heure où la campagne électorale bat son plein et les candidats en lice remuent ciel et terre pour avoir pied dans l’hémicycle du Bardo, l’on n’en finit pas de pointer du doigt « l’ensemble de ce processus, déjà démarré en demi-teinte ».

« Le cadre juridique relatif aux élections législatives, jugé précipité et mal élaboré, continue à donner du grain à moudre. Sa teneur, ses articles et sa philosophie prêtent à moult interprétations. Et la prochaine ARP n’aurait point, semble-t-il, l’étoffe d’un parlement digne de ce nom, dont la configuration et la formation des blocs et commissions dedans posent autant d’interrogations ». Voilà de quoi s’étaient inquiétés certains actifs civils et juristes dans un panel-débat, conduit par Democracy reporting international (DRI), sous le thème « Cadre juridique des élections de l’ARP, à la lumière de la Constitution de 25 juillet dernier ».

Un constat sans appel

Au départ, Amine Thabet, conseiller juridique à DRI, a dû recentrer le débat sur la question, en présentant un rapport sur ce nouveau cadre législatif régissant les élections du 17 décembre, ses zones d’ombre et les points litigieux saillants. D’emblée, il a estimé « qu’on est en train d’assister à des élections qui présideraient à la première chambre d’un parlement à deux chambres, dont la seconde serait celle des régions et districts. Soit un régime parlementaire bicaméral tel qu’il a été institué sous le règne de Ben Ali ». Partant du décret-loi 2022-55 relatif à l’organisation des élections et des décisions prises par l’Isie, le rapport de l’Ong DRI a fait état « d’un texte juridique si flou et non démocratique ». Un constat sans appel : « Des réformes structurelles qui ont changé, d’une manière radicale, le cadre tunisien des élections », soulève-t-il. « Tout d’abord, un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, déjà adopté pour la première fois sous nos cieux. Soit un mode de scrutin dissocié des partis politiques devenus marginalisés ». Ce qui n’est pas, à ses dires, « le propre de ce mode tel qu’il est pratiqué dans d’autres démocraties ».

Autres points saillants à reprocher, « la répartition inégale des circonscriptions, à même de les réduire à l’échelle des délégations, avec des corps électoraux en porte-à-faux ». Sachant que chaque circonscription se dote d’un seul siège à pourvoir. Et là, le poids électoral compte. Idem, la révocation des élus. « Un mécanisme de nouvellement introduit qui va s’appliquer, au risque de perturber et de fragiliser l’institution parlementaire. Parce que tout député serait, à chaque fois, menacé d’être révoqué par ses propres électeurs », alerte-t-il. Ceci est perçu, selon lui, « comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des élus. Pire, toute révocation pourrait donner lieu à des vacances au sein de la prochaine ARP, et puis amener l’Isie à tenir des élections partielles, en y injectant des dépenses supplémentaires. Ce qui est aberrant ! ».

Autre faille juridique relevée, d’après lui. « L’absence des financements publics, lesquels sont censés nécessaires pour mener une campagne électorale. De même, la couverture médiatique de la campagne constitue aussi la pomme de discorde entre l’Isie et la Haica. Cela a impacté le rôle des médias ».

Le scrutin uninominal, pourquoi ?!

Une telle radioscopie du cadre juridique lié à l’opération électorale a dû alimenter les interventions des panélistes. Mme Salsabil Klibi, professeur de Droit constitutionnel, a souligné que « le fait d’adopter un nouveau mode de scrutin uninominal majoritaire aura tout basculé. L’on verse, alors, dans une autre logique du jeu complètement différente, non sans compromettre la règle de concurrence, les voix des électeurs et l’obtention des sièges au parlement. Quitte à porter préjudice au principe d’égalité des chances entre les candidats en lice ».

Ceci étant, une opération « contre la démocratie. D’autant plus que le redécoupage des circonscriptions électorales pose encore problème, avec en toile de fond un aspect purement politique », a-t-elle jugé, estimant que cela aura des répercussions directes sur les résultats du scrutin. Car, poursuit-elle, « un tel changement aurait dû être apporté bien avant les élections, afin qu’il ne puisse être ainsi mal interprété ».

«Certes, nous avons, nous aussi, proposé ce mode de scrutin uninominal à deux tours, mais pas de la façon dont il a été adopté», nuance la représentante du réseau « Mourakiboun », Mme Raja Jabri qui a mis les points sur les i. Elle était on ne peut plus claire et précise : « Primo, une telle proposition fut, alors, présentée en décembre dernier, soit une année avant les élections. Secundo, cette idée, on l’avait partagée avec les différentes parties intervenantes, en étant dans une logique participative. Tertio, notre orientation générale a eu le réflexe de ne pas dissocier le candidat de son parti. De plus, on avait recommandé des garanties favorisant la parité et la représentativité de la femme ». Par ailleurs, elle estime trop excessive la condition des 400 parrainages que chaque candidat doit avoir. « Cette condition est d’autant plus contraignante qu’elle a pu limiter la participation de la femme et pousser à son exclusion. En cause, le nombre définitif des candidats a été ramené à 1055 dont seulement 122 femmes, soit moins de 12% ».

Et Mme Jabri de revenir sur le redécoupage des circonscriptions, en remettant en question la nouvelle carte électorale : « On avait, déjà, attiré l’attention sur les conséquences de cette répartition déséquilibrée, dont le risque de ne voir aucun candidat dans plusieurs circonscriptions ». Tout cela a été publiquement relevé par la société civile. Et pourtant, l’Isie ne l’a pas entendue de cette oreille. Elle était, à ses dires, dans le déni total.

Porteurs de handicaps, le parent pauvre !

Et si tout ce changement apporté à ce nouveau décret-loi relatif aux élections était, aux yeux de Pr. Klibi, perçu comme un basculement qui rompt avec la tradition électorale, il ne l’est ainsi pas pour Mme Fadhila Gargouri, magistrate à la Cour des comptes. Elle le considère, plutôt, « en tant que résultante des bonnes pratiques exercées à l’échelle internationale, en termes de rationalisation des candidatures, mode de scrutin et les financements des campagnes ». « L’essentiel réside, selon elle, dans la manière d’application de ces mécanismes. Faute de l’argent public qui aide à mieux gérer sa campagne, le financement privé pose, désormais, problème ».

Quant à M. Mounir Larbi, magistrat au Tribunal administratif, il avait focalisé son intervention sur le contentieux électoral. De son côté, Mohamed Mansouri, président de l’association « Ibsar», avait pointé l’Isie et la modalité du processus électoral telle que fixée par ledit décret-loi 2022- 55. «Etant le parent pauvre de l’opération électorale, dénonce-t-il, les personnes porteuses de handicap n’y trouvent toujours pas leur compte. Elles n’ont même pas droit d’accès à la vie politique. D’autant plus que le principe de l’égalité des chances n’a pas été, jusqu’ici, respecté. Sans pour autant traduire le contenu électoral dans l’écriture braille ».

 

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