Pêche illégale : Adieu le golfe de Gabès !

 

La simple idée de voir nos ressources maritimes se raréfier peut effrayer des milliers de familles tunisiennes qui vivent de la mer. Que dire donc des pêcheurs artisanaux qui trouvent la mer tel un désert vide sans vie et sans poissons et qui menacent, aujourd’hui, de quitter le pays pour migrer vers l’Italie ?!

A maintes reprises, la sonnette d’alarme a été tirée par des associations soucieuses de la protection de la mer sur la dégradation des ressources halieutiques, liée notamment à la pêche illégale. La dernière en date, est celle lancée par Abdelmajid Dabbar, président de l’Association Tunisie Ecologie, qui indique, dans un statut publié sur sa page officielle Facebook, que depuis plus d’une décennie, le golfe de Gabès est en train de subir une pression sauvage et que ce qui reste de notre stock de poissons est, aujourd’hui, en grand danger à cause du braconnage en mer et du banditisme qui persiste, dans un silence honteux des autorités concernées.

Il était une fois…

Des siècles durant, le golfe de Gabès est considéré comme la pépinière généreuse et le berceau de la reproduction des poissons de la Méditerranée étant donné que, selon les chiffres officiels annoncés, pas moins de 28% des poissons de la mer intercontinentale se reproduisent là-bas.

Et d’après A. Dabbar, ce joyau de la Méditerranée est connu particulièrement pour ses hauts fonds et ses eaux peu profondes, riches de grandes prairies de Posidonie et autres plantes marines, mais surtout d’un marnage exceptionnel, où la variation entre la marée haute et la marée basse arrive jusqu’à 2,10 mètres en hiver et durant les 5 premiers jours du début du mois lunaire, procurant à cette zone une richesse bien considérable en planctons et phytoplanctons, créatures marines minuscules, source de nourrissage des poissons.

«…Malheureusement, durant cette dernière décennie, le golfe de Gabès n’a cessé de subir une pression sauvage, continue et incontrôlée à l’heure où les réglementations et les interdictions régularisant aussi bien les méthodes de pêche que les saisons d’ouverture et de fermeture ne sont plus respectées… Encore plus grave, bien que le chalutage ne soit autorisé seulement qu’à des profondeurs de plus de 50 mètres et que la pêche au chalut soit fermée au golfe de Gabès pour le repos biologique du 1er juillet au 30 septembre de chaque année, les pêcheurs clandestins du «kyss » continuent à racler les fonds marins jusqu’aux hauts fonds, à des profondeurs de 3 et 4 mètres…», nous précise-t-il.

Un désert sans vie

A. Dabbar ajoute, dans ce même cadre, que depuis des années, le chalutage avec l’engin ne cesse de détruire le fond marin à de faibles profondeurs. C’est un genre de braconnage de pêche marin très dangereux qui racle le fond marin avec des chaînes lourdes qui arrachent la flore des hauts fonds, spécialement les prairies de Posidonie, et avec les petites mailles des filets. Tous les Poissons et crustacés, même de petite taille et sans valeur commerciale, sont capturés…

«Face à ce fléau qui ne cesse de s’aggraver, les pêcheurs utilisant des méthodes artisanales et traditionnelles rencontrent d’énormes difficultés vitales, car les filets déposés la veille sont détruits et éventrés par les chaluts, et se trouvent le lendemain à zéro, sans matériel pour gagner leur vie. Ce chalutage concerne aussi les prairies de Posidonie sauvagement arrachées sans pitié ni considération, rendant les fonds de la mer un désert sans vie», regrette-t-il.

Selon ce grand défenseur écologique, il existe une autre activité d’horreur, non loin du chalut, à savoir les filets dits «kyss». En effet, les mailles de ces filets sont fines, ne laissant pas les petits poissons sortir et une fois ramassés, ils sont jetés parce qu’ils n’ont pas de valeur commerciale. Et bien que le kyss soit interdit par la loi n° 15 de janvier 1994, il est encore produit par deux usines ; l’une à Sfax et l’autre à Teboulba.

«Face à une telle situation, le bilan est catastrophique même dans les aires dites protégées car entre 18 et 25% seulement des poissons capturés par le kyss ont une valeur commerciale et pourraient être vendus sur le marché, alors que le reste (plus de 75%) sont des poissons de 1 cm ou même de quelques millimètres. Ces espèces, non désirées et pêchées accidentellement, sont en général rejetées, souvent mortes, en mer ou sur les côtes. Donc, la biodiversité du milieu marin national est directement menacée et selon les chiffres annoncés, le golfe de Gabès a connu une perte de plus de 20% de ses richesses halieutiques, passant de 43,5% en 1990 à 31,8% en 2000 puis 21,23% en 2008. Mais malgré cette situation dangereuse et alarmante, la pêche au kyss se perpétue, pour ne pas dire se généralise», nous explique-t-il.

Des pêcheurs menacent de quitter le pays !

La situation s’aggrave de jour en jour. Devant l’invasion des côtes de Kerkennah par des pêcheurs du continent utilisant le kyss illégalement, ravageant à cet effet les installations de pêche traditionnelles et les pièges à poulpes, les pêcheurs des îles Kerkennah haussent le ton et menacent de quitter l’île et la Tunisie pour migrer vers l’Italie.

«Les garde-pêche ont bien tiré la sonnette d’alarme depuis février 2011, à Sfax, à Skhira et à Kerkennah. Ils font face à l’anarchie et à la destruction sauvage de nos ressources naturelles marines par des bandits de la mer devant leurs yeux sans que les autorités donnent au sujet l’importance qu’il mérite… Par ailleurs, l’Etat ne dispose pas de moyens de contrôle efficaces de ces zones et de ces navires pour mettre un terme à ce fléau et depuis des années, les autorités concernées ne sont pas arrivées à arrêter cette hémorragie mortelle pour tous, qui touche notre nourriture vitale… Suite à cela, d’autres pêcheurs, qui respectent la loi, seront ruinés…

Malheureusement, la Tunisie, qui était exportatrice de poissons et de produits de la mer, se trouve actuellement importatrice et consommatrice de poissons d’élevage, d’importation et de congélation», souligne-t-il encore.

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