Tribune | Islam politique : Ignorance, manipulation ou malversation ?

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Par Ridha Zahrouni *

Je ne prétends nullement disposer des compétences des théologiens et des sociologues des religions pour traiter ce sujet. Mais j’estime, pour ma part, qu’un comportement saint vis-à-vis de la foi et des croyances passe obligatoirement par l’emploi de mots simples, justes de sens et purs d’intentions. Ce qui devrait se traduire par des explications et argumentations accessibles par la majorité des esprits et ne nécessitant ni un niveau intellectuel élevé, ni une intelligence exceptionnelle. Mon propos n’est, de ce fait, ni le rendu de recherches approfondies ou d’études poussées, ni un récit historique. Il transcrit tout simplement une conviction qui résulte d’une réflexion personnelle sur ce que j’ai pu vivre et observer durant une cinquante d’années comme relations avec l’islam chez nous en Tunisie ou ailleurs, dans un certains nombre de pays voisins ou lointains.   

Au cours de ces quelques décennies passées, l’islam a été une cible privilégiée, d’attaques acerbes par tous et de, presque, partout, en continu et occasionnellement. Trop souvent considéré comme raison, moyen et objectif de la majeure partie des conflits armés et des crimes horribles, observés dans les quatre coins de la planète, l’islam est devenu également un enjeu politique de taille chez les pays de confession musulmane, notamment les pays arabes, et dans certains pays occidentaux. On a misé toujours sur les angles morts de la religion pour semer la confusion et le doute dans les esprits aussi bien des croyants que des laïques et des athées. Un islam mal compris et mal interprété pourrait facilement être détourné de sa vocation essentielle.

On a veillé à embraser l’équivoque entre l’islam et l’islamisme, c’est-à-dire entre la foi pure et sincère d’un côté et l’extrémisme, l’intégrisme et le terrorisme de l’autre côté. On évoque souvent les risques de voir les islamistes, et même les musulmans, exporter l’insécurité ou envahir des pays tout entier. On focalise volontairement les critiques sur des sujets se rapportant à la situation des femmes et des filles musulmanes, sur leur façon de s’habiller, de se baigner, de s’éduquer, etc. L’objectif est de nous amener à admettre l’implication de l’islam dans plusieurs désastres vécus un peu partout dans le monde, et qu’il est la cause de la décadence intellectuelle, culturelle, sociale et économique de la plupart des pays arabes.

Tous ceux qui diffusent, en toile de fond, une «fausse vérité» de l’islam pour manipuler la foi et ou l’opinion publique ont effectivement des intérêts majeurs en maintenant cet amalgame. Ils espèrent assujettir des peuples, des sociétés et des individus, pour contrôler leurs libertés culturelles et intellectuelles ainsi que leurs capacités économiques et financières. Une domination que veulent imposer des politiques, des lobbies, des organisations terroristes et même des Etats. Il ne s’agit en fait que d’une instrumentalisation de la religion pour des finalités viles et vilaines. Abderrahmene Ibn Khaldoune, illustre sociologue, historien et philosophe tunisien s’est rendu compte de cette vérité depuis le 14e siècle en affirmant que « les conflits qui se cachent derrière le masque de la religion sont un commerce très courant et très lucratif quand les sociétés connaissent une régressions intellectuelle ».

Il devient alors nécessaire d’engager de vrais débats dépassionnés, sans préjugés et sans arrière-pensées, avec des débatteurs, hommes et femmes, qui maîtrisent parfaitement les sujets traités. Il faudrait inviter des célébrités et des notoriétés de renommée et les interroger sur les motivations qui les ont poussées à se convertir à l’islam. Il faudrait également traiter les vrais rapports qu’a l’islam avec la femme, avec l’amour d’autrui, avec les parents, avec la tolérance et la science et avec les vraies notions du bien et du mal. La communauté musulmane compte aujourd’hui plus de 1,7 milliard de personnes pour une population de plus de 8 milliards de personnes, et c’est comme si on s’entête à condamner tous les médecins et la médecine avec à cause d’un emploi criminel de la profession par une poignée de praticiens.

L’islam et la Tunisie, ou la Tunisie et l’islam ?

La Tunisie ne fait pas exception à ce constat. Depuis son indépendance et jusqu’au 14 janvier 2011, l’islam a été malencontreusement impliqué dans les affaires politiques du pays, par ceux qui s’accrochent au pouvoir et ceux qui veulent y accéder. La lutte contre le terrorisme fut la principale excuse de Bourguiba et de Ben Ali pour perpétuer leurs régimes totalitaires. Les islamistes de leur côté ont justifié leurs tentatives de renversement des régimes et leurs attentats meurtriers par le souci de se conformer à la volonté de Dieu et pour appliquer la Charia.

Après le 14 janvier 2011, l’islam a été compromis une fois de plus dans les affaires publiques et politiques du pays, par tous les partis sur place, qu’ils aient ou non, une référence religieuse. La religion a été malheureusement le détonateur de la recrudescence d’une violence et d’un terrorisme inédits sur le territoire national. Des crimes horribles jamais connus ont eu lieu sur le sol tunisien. Au nom de l’oslam, des jeunes tunisiens se sont exilés dans des pays où la mort, injuste et inhumaine, se pratiquait au quotidien et des jeunes Tunisiennes ont participé à des massacres en s’offrant à des bouchers et des tortionnaires.  Un phénomène d’une gravité extrême a été favorisé par la rareté d’une culture religieuse, simple, constructive et responsable. L’offre culturelle en place a toujours cherché à servir les intérêts des prétendants au pouvoir. L’éducation islamique se limitait dans nos écoles et lycées à l’explication de versets et de sourates du coran et à des pratiques quotidiennes de la religion. Et en abordant la religion, le citoyen tunisien a la sensation d’aborder une matière à la fois dangereuse et prohibée.

Un rapport responsable de l’Etat avec les religions et la foi

Certaines voix appellent aujourd’hui, au nom de la laïcité, à écarter l’Etat de la gestion des affaires religieuses, ils sont dans leur tort. Laisser l’espace et la latitude aux esprits malsains habités d’une volonté de mal et d’un désir d’enrichissement et de domination ferait courir aux citoyens de graves dangers. En effet, ceux qui vivent dans le besoin, qui ont une faible personnalité et dont la Foi et l’Ame sont vulnérables et influençables risquent d’être déstabilisés, manipulés et mobilisés pour des causes injustes et risquées.

De mon point de vue, l’Etat doit veiller à ce que les religions, principalement l’islam, ainsi que les croyances et la foi ne soient impliquées, ni volontairement ni involontairement, dans tout enjeu social, politique ou toute course au pouvoir. Il faudrait que tous les partis qui se réfèrent à une idéologie religieuse soient interdits et «l’Islam politique» banni. Toutefois, l’Etat doit s’interdire lui-même tout emploi disproportionné et injustifié de la force pour des raisons de lutte contre le terrorisme religieux et l’extrémisme. Toutes les dispositions constitutionnelles, réglementaires et organisationnelles devraient être prévues, pour que le pouvoir en place ne se transforme lui-même, sous le couvert de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, en un régime despotique ou totalitaire.

L’Etat doit s’assurer que seuls les érudits reconnus soient chargés de diffuser les percepts de l’Islam. De vrais cursus de formation de très haut niveau dans le domaine des religions doivent être mis en place pour que le discours religieux soit élaboré par des compétences et des références en la matière. La finalité étant de servir les droits de l’homme et du citoyen aux échelles individuelle, sociale et universelle en offrant les bonnes réponses aux interrogations spirituelles de la vie courante et quotidienne.

Le bien, même quand il est ensemencé dans un environnement défavorable, finira toujours par devenir profitable

Sans l’adhésion du citoyen, sans sa motivation et sans sa discipline, les efforts de l’Etat resteront vains. L’Etat n’est en fait qu’au service du citoyen et son autorité doit s’exercer sur le citoyen, qu’il soit une personne physique ou morale. Plus concrètement, en choisissant de bien se comporter vis-à-vis des croyances et des confessions des autres que le citoyen peut aider l’Etat à réussir sa mission. Chacun doit avoir sa propre relation personnelle et verticale avec Dieu, il est libre de disposer de sa foi et de ses valeurs, tant qu’ils ne nuisent pas à l’autre et qu’ils ne sont pas répréhensibles par la loi en vigueur, voire par la morale et les usages. Il ne doit en aucun cas se transformer en prospecteur ou objecteur de conscience pour juger les croyances et les pratiques religieuses dans la société. Et tout le monde est concerné, croyants et non-croyants ; pratiquants et non-pratiquants. Par ailleurs, la vigilance doit être toujours de mise pour éviter que soi-même, l’un des membres de sa famille ou l’un de ses proches ne tombe dans l’extrémisme ou l’intolérance religieuse.

Education, culture lutte contre la précarité: de vrais remparts contre le travestissement des religions

Reste que le vrai investissement dans l’avenir, c’est celui d’éduquer nos enfants et leur inculquer les vraies sens et portées des valeurs de la tolérance, de la laïcité et du bien et du mal. C’est la seule façon pour garantir, à ses enfants, à leurs enfants et à toutes les générations futures stabilité, sécurité, amour et bien-être, et pour barricader à jamais les voies qui mènent à l’obscurantisme et au néant. Les différents domaines d’éducation dans nos écoles doivent stimuler ce qui est bon pour nos enfants dans leur vie actuelle et future, lorsqu’ils deviennent adultes, tout en les instruisant pour se protéger de ce qui pourrait être nocif ou dangereux pour eux, dans leur comportement ou raisonnement et de ceux venant des autres. L’éducation religieuse ne devrait pas échapper à cette règle.

En outre, il nous faudrait mettre en œuvre les assises d’une culture appropriée, engagée mais très accessible, devant ancrer les vraies dimensions humaines et sociales de l’Islam, en termes de perceptions, pratiques et traditions individuelles et collectives. Un islam qui doit véhiculer les valeurs universelles de la vie en rapport avec la dignité, l’amour, la charité, le respect, la solidarité, la tolérance. Un islam qui ne rivalise pas avec la science, le savoir et la connaissance. Des valeurs devant s’appuyer sur la sagesse, sur le recours à l’argument de la logique et du bon sens, sur le respect du travail, la témérité et l’altruisme. Des valeurs et des exigences qui concernent toute la population et qui doivent être assimilées par tous, individus, sociétés et Etats, en tous temps et tous lieux.

Enfin, vient l’amélioration des conditions de vie dans la société. Un individu qui ne mange pas à sa faim, qui n’arrive pas à se soigner correctement, lui et les membres de sa famille, et qui ne dispose pas d’un habitat salubre et qui n’arrive pas à éduquer ses enfants va se sentir trahi, touché dans sa dignité et son amour propre, c’est-à-dire dans son intégrité physique et morale. Cette personne finit par ne plus croire en rien et en personne, même pas en elle-même. Une personne pareille, tellement elle devient vulnérable, risque de s’allier au diable, si elle croit que le diable la ferait sortir de son cauchemar. D’où l’obligation de ne pas négliger l’aspect socioéconomique et l’amélioration des conditions de vie du citoyen dans toute stratégie de lutte contre l’extrémisme et le radicalisme.

R.Z.

*Ex Lieutenant Colonel de l’Armée Tunisienne.

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