Tourisme culturel | La ruée vers l’art

 

Tout porte à croire que les professionnels du tourisme, principalement les hôteliers, se sont découvert une vocation pour ce qui concerne les arts.

Dans cet esprit d’innovation et dans le but de diversifier le produit de tourisme balnéaire, M. Ridha Habazi, directeur de l’hôtel Golden Tulip Taj Sultan Hammamet, a enrichi son offre par l’introduction d’un produit « Congrès et incentive », et pour mieux accueillir cette clientèle, il a jugé adéquat de mettre en exergue et en beauté ses murs, ses couloirs et ses chambres. A cet effet, il a invité une brochette d’artistes de plusieurs nationalités à un atelier de travail et à la clé une exposition d’œuvres dans l’une des grandes  salles de réunion.   Le hall de l’hôtel grouillait en ce jour de notre arrivée, trois congrès y tenaient leurs travaux.

Fils de directeur d’hôtel, donc biberonné dans le métier, Directeur général depuis 19 ans dans le même établissement, M. Habazi nous explique l’orientation artistique de son unité 5 étoiles : « … Personnellement, je pense que l’hôtellerie balnéaire, comme elle est pratiquée, a besoin d’être révisée,  dans notre hôtel. Après mûre réflexion, j’ai opté pour la formule business hôtel, surtout pour les saisons hors été, j’ai aménagé un centre de congrès pour accueillir des séminaires, des sociétés savantes, des entreprises corporate et toute autre offre dans cet esprit… Bref, je tends à sortir de l’hôtellerie exclusivement balnéaire. Pour enrichir cette orientation, j’ai senti que nos murs manquaient de vie, presque vides, ce que ma femme, artiste elle-même (participante à l’atelier), a constaté. J’ai donc naturellement introduit la dimension artistique, j’ai pris contact avec Walid Zouari, peintre connu, qui a accepté l’idée de raviver l’hôtel. D’où cet atelier qui bourdonne d’idées, d’inventions et de vie… »

Plongée dans les toiles

Dans l’une des dépendances, l’équipe participante  aux ateliers d’art, composée de 14 peintres  venus du Maroc, d’Algérie, de France, d’Irak et de Tunisie, encadrée par Walid Zouari, s’adonne à son sujet avec passion et ferveur. Sur les tables sont posés en désordre des pinceaux, des brosses, des boîtes de peinture acrylique, des salopettes au sigle de l’hôtel, des toiles de différentes dimensions, vierges ou fraîchement entamées. Les chœurs de morceaux de musique baroque et de cathédrale répandent des chants d’église qui donnent une  solennité à l’atmosphère. Quelques minutes plus tard, entre Mourad Harbaoui, artiste au long cours, il bouscule le silence et provoque des rires et des discussions à haute voix. Nébil Ali, Irakien, devant son chevalet, est tout absorbé par son thème, dans ses œuvres, il inclut un animal mythologique qui émerge de la scène : un animal entre licorne et Pégase (le cheval ailé), de son côté, Harbaoui brosse large deux toiles de grandes dimensions en chantier ; il y va avec son énergie habituelle, prend ses distances, regarde, scrute, parle, cause et parle encore avec son compagnon et voisin Walid Zouari. Celui-ci, en casquette et salopette, fait le tour de l’atelier, cause avec l’un, regarde le tableau de l’autre, revient à son œuvre, rectifie un contour, ajoute un personnage, convaincu, donc convaincant. Plus loin, face au mur,  Emna Kahouaji, Tunisienne, termine une scène aux tons pastel, elle peint une femme affectueuse embrassant un cygne de couleur rose sous des plafonds en carreaux. Sandrine Aléhaux, Française de Bordeaux,  appose sa signature sur ses deux tableaux abstraits de grandes dimensions, elle peaufine sa palette pour aborder de petits formats, également abstraits.  Par terre, les brosses, dans des pots de peinture, les toiles vierges côtoient celles qui sont  à peine brossées et d’autres terminées et signées. Kassou Jellazi Ben Ayed noue et dénoue ses fils ; devant elle, un tableau en longueur à dominante verte, des fleurs et des feuilles de plantes forment une femme de profil, assise au torse long, entre ses doigts, Kassou prépare ses fils noirs pour accentuer et probablement draper la femme et donner de la transparence du sujet. Elle continue à tisser.  Foued Chardoudi,  Marocain, travaille simultanément  sur deux grandes toiles, surgissent des paysages abstraits, des plans superposés se confondent avec le fond, avec un calme apparent,  Foued use d’une palette éminemment séduisante, tons clairs d’où montent quelques touches chaudes. Assis devant une petite table ronde, Yasser Jeradi, connu notamment pour être chanteur-compositeur,  dessine ses calligraphies, formant des cercles concentriques. A ses côtés,  une commode  avec ses tiroirs qu’il a décorée d’une multitude de textes calligraphiés. Saoussen Chérif y va tout en délicatesse avec ses traits fins et sa palette subtile. Soufiene Dey, Algérien, travaille son sujet, le regard fixé sur la toile, il joue sur des tons apaisés, sans se soucier de l’environnement. Kareem Saâdoun, Irakien, brosse large le fond clair, des couches embuées appellent le regard et inondent la toile, il  dessine une scène qui rappelle Sancho Pança, les mêmes motifs habitent un autre tableau. Aida Kchaou Khrouf peint une figure au centre du tableau, noire en mosaïque, tout droit sortie d’un musée, elle avance que la mosaïque est carthaginoise et elle en tire une gloire et une œuvre. Tarek Souissi, dessinateur virtuose, peint trois femmes silhouettées autour d’une table ronde, des bouteilles de vin rouge dessus, des ballons entamés, une atmosphère vaporeuse s’en dégage, la nuit éclairée par la lampe… Samir Ben Gouia peint un couple apparemment bizarre qui  nous fait face,  le regard  de la femme est oblique et torve, l’homme porte une cravate et regarde de biais, il s’en dégage une  solitude de couple onirique et une existence « absurde ». Au final, la moisson est fertile : près d’une trentaine de tableaux (des toiles), exposés, ils constituent la première fournée de la collection de l’hôtel. Tous ces artistes confirmés sont appelés à se revoir en juillet pour une prochaine  résidence,  nous apprend M. Habazi, apparemment satisfait du résultat de cette rencontre.

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