Souvenez- vous. C’était au IXe siècle à Kairouan que naissait Fatima Al-Fihriya. Très jeune, elle suivit son père au Maroc et s’installa à Fès. Et c’est là qu’elle fonda la première université du monde civilisé, première université arabe, première université fondée par une femme, baptisée Al Qarawyyîn en hommage à sa ville natale.
Curieusement oubliée dans les replis de l’Histoire, elle ressuscita dans la mémoire collective lorsque, il y a quelques années, le réseau MED 21, réseau de prix d’excellence en Méditerranée, en collaboration avec le ministère de la Femme et l’Université Centrale, lui consacra un prix et honora chaque année des femmes valeureuses. Mettre en lumière cette très grande Kairouanaise permettait d’éclairer des femmes des deux rives de la Méditerranée, contemporaines ou disparues, qui, d’une manière ou d’une autre, dans les domaines les plus divers, avaient su se distinguer et faire honneur à leur pays, à leur domaine d’activité et aux femmes en général, en créant des liens à travers l’espace méditerranéen. Ce prix récompense et consacre «la promotion de l’accès des femmes à la formation et aux responsabilités professionnelles en Méditerranée».
Il sera remis au mois de mai prochain à une lauréate rive nord et une lauréate rive sud de la Méditerranée, ainsi qu’à titre posthume à une lauréate qui a marqué son temps… Le comité planche depuis des jours sur la difficile sélection des lauréates.
Fatima Al-Fihriya, la femme qui a devancé son époque
On s’accorde aujourd’hui à reconnaître que Fatima El Fehriya a bel et bien été au neuvième siècle une figure de femme savante de l’histoire de l’islam, parmi celles qui méritent d’être plus connue en raison de sa personnalité très célèbre au Maghreb et notamment au Maroc et compte tenu de toute cette empreinte qu’elle a laissée dans ce pays et dans l’histoire de l’islam en général. Fatima Al-Fihriya a été la fondatrice de la mosquée al-Qarawiyyîn, à Fès au Maroc, qui serait par la suite, une fois fondée, devenue une université considérée comme l’un des principaux centres spirituels et éducatifs du monde musulman. De nos jours, cette institution figure d’ailleurs dans le Guiness Book des records, pour être la plus ancienne université du monde encore en activité. Plongeons dans l’histoire de sa fondatrice bienfaitrice du IXe siècle.
Fatima, encore appelée «Oum al-Banîn» et originaire de Kairouan, en Tunisie, est née d’un père, riche commerçant, dont elle hérita de la fortune avec sa sœur Maryam. A cause de troubles survenus à l’époque dans cette ville, elle a émigré avec toute sa famille pour aller s’installer à Fès. C’était l’époque du règne du monarque Idriss II. A la mort de son père, elle s’est engagée avec sa sœur à dépenser l’argent du défunt dans des œuvres communautaires et dès l’année 245 de l’hégire, soit 859 de notre ère, sa sœur Maryam entreprit la construction d’une mosquée dans le quartier Al-Andalous, alors que Fatima commença la rénovation et l’agrandissement de la mosquée du quartier Al Qarawiyyîn en faisant l’acquisition du terrain, dans le voisinage nécessaire, à la réalisation de l’agrandissement. Ainsi fut conçue et réalisée la plus grande mosquée d’Afrique du Nord.
Fatima est née d’un père riche commerçant qui lui avait laissé, à sa mort, une fortune colossale. Son père, Mohammed al-Fihri, est issu du clan des Banu Fihr, de la famille des Fihrides, dont l’origine remonterait à la tribu de Koraych, très connue à La Mecque. L’histoire rapporte que le clan des Banu Fihr s’était installé à Kairouan en suivant un de leur membre très connu, Oqba Ibnou Nafii al-Fihri, général fort célèbre envoyé vers 670 en qualité de chef des armées musulmanes par le calife Oumeyade Mouaouia 1er de Damas pour conquérir et islamiser l’Afrique du Nord.
Les historiens affirment que les travaux pour rénover et agrandir la mosquée d’Al Qarawiyyîn débutèrent le premier samedi du mois de Ramadan de l’an 245 de l’hégire et Fatima jeûna durant toute la durée des travaux. Cette mosquée fait encore fonction aussi d’université et compte comme étant la plus ancienne université dans le monde encore en activité.
Fatima avait reçu une éducation religieuse qui la rendit soucieuse et la dota des bonnes valeurs et de vertus exemplaires. Au cours de la construction, elle n’hésita pas à prodiguer le meilleur de son temps et de ses avoirs pour parfaire les réalisations. Et a toujours été considérée comme une sainte, fort respectée par les croyants marocains à Fès. Pour la construction de cette mosquée, elle prodigua le meilleur de son temps et tous ses moyens pour réaliser ce qu’elle voulait faire. Les historiens vont jusqu’à préciser qu’elle avait toujours été proche de Dieu. Pour attirer les bénédictions divines sur les travaux entrepris, elle fit le vœu de jeûner tous les jours, jusqu’à la fin des travaux. Fatima avait fait don de son héritage à la communauté, mais elle avait également le souci que son œuvre soit acceptée par le Tout-Puissant. Elle mit donc toutes les chances de son côté. Lorsque la mosquée fut achevée, Fatima s’y prosterna par reconnaissance envers Son Seigneur pour lui avoir permis de mener ce projet à terme.
Fatima Al-Fihriya est morte à Fès en l’an 880. Les historiens l’ont décrite aussi comme une personne très clairvoyante. Cela est dû au choix judicieux de l’emplacement. En effet, Fès faisant partie des villes les plus influentes du monde musulman, cette ville a été reconnue pendant des siècles comme un pôle religieux et culturel. La mosquée Qarawiyyîn, qui deviendra la première université de l’histoire, produisit de grands penseurs, tels qu’Abou Al-Abbas al-Zwawi, Abou Madhab al-Fâsi, un grand théoricien de l’école malékite, ainsi que Léon l’Africain, le célèbre voyageur et écrivain. Des sources historiques parlent également de sommités, telles que le philosophe Ibn al-‘Arabi, l’historien Ibn al-Khaldoun, ou l’astronome andalou Alpetragius (Al-Bitruji) qui enseignèrent aux étudiants d’al-Qarawiyyîn.
Mais cette université ne dispensait pas seulement un savoir religieux. Elle sonde également le savoir profane et scientifique, comme la grammaire, la médecine, les mathématiques, l’astronomie, la chimie, l’histoire, la géographie et même la musique ! Ainsi, un large éventail de matières furent introduites, telles que les sciences naturelles, la physique, et les langues étrangères, ce qui créa une large audience et en fit une institution de savoir à part entière. Les conséquences furent énormes car l’Université attira ainsi des érudits et des étudiants du monde entier, et de toutes confessions. En somme, ce fut une sorte de Sorbonne maghrébine…L’Université joua alors un grand rôle dans les relations culturelles et universitaires entre le Monde islamique et l’Europe. On a noté qu’un célèbre philosophe et théologien juif, Ibn Maimoun (Maimonide), étudia dans cette institution. Gerbert d’Aurillac, qui est en fait le pape Sylvestre II et celui qui aurait introduit le chiffre zéro en Europe, en fut également un élève assidu. La mosquée comprend aujourd’hui l’une des plus grandes bibliothèques du Maroc, fondée en 1349 par le Sultan Abou ‘Anan al-Marini. Elle contient des milliers d’ouvrages et manuscrits rares, comme le Muwatta de l’imam Malik et la Sirah d’Ibn Ishaq. Pour conclure, on a dit de Fatima Al-Fihriya : «La générosité et l’intelligence de cette femme pieuse permirent l’émergence d’un joyau architectural et intellectuel de rayonnement international. Elle préféra dépenser ses biens pour Allah et Ses serviteurs plutôt que d’en jouir et s’offrir toutes les richesses de ce monde. Œuvrer dans ce bas-monde pour satisfaire Dieu et construire son au-delà, telle était la devise de Fatima».