Hommage, ouverture, préservation d’une mémoire, création, créativité, tels sont les piliers d’une édition d’un festival qui renaît, qui tend à se repositionner et à retrouver ses lettres de noblesse.
Le festival de la chanson tunisienne, pour sa 21e édition placée sous le signe «Eddenya Ghneya» (La vie n’est qu’une chanson), se veut une session de reconnaissance, de consécration, d’ouverture et de découverte. Et c’est avec un souffle novateur mais aussi une note de nostalgie que s’ouvre un nouveau pan de l’histoire de la chanson tunisienne avec une identité certes claire, qui vogue sur l’air du temps. Ouverte aux nouveaux genres et qui prend à bras-le-corps ses nouvelles variantes. Celle d’une nouvelle génération aussi attachée aux sources que libre et libérée par de nouvelles perspectives.
Du 7 au 12 mars, la scène musicale vivra une foisonnante rencontre entre hier et aujourd’hui avec une symbiose entre les différentes expressions, le classique et le contemporain, entre un héritage musical jalousement conservé et un registre qui est né et qui évolue au rythme d’une réalité tout en mouvement.
C’est dans cette logique que le festival de la chanson tunisienne qui a repris en 2021, après une interruption de 12 ans, a voulu célébrer cette continuité intergénérationnelle de la chanson tunisienne dans tous ses états.
Lors de la conférence de presse tenue hier à la Cité de la culture Chedli-Kelibi, le comité directeur de cette 21e édition a présenté cette vision et cette nouvelle optique. Un comité fort d’un capital confiance qui a fait réagir et réunir des piliers du milieu musical. Des noms comme Adnène Chaouachi, Alia Belaid, Tahar Guizani, Oussama Farhat et Mokdad Shili forment le jury.
Rihab Sghaier, Habib Lassoued, Rabii Zammouri, Hichem Badrani, Abdelbasset Belgaied et Sami Ben Said ont eu la lourde tâche de sélectionner les œuvres en compétition.
24 œuvres en tout, réparties sur 4 soirées, 3 réservées à la chanson watari et une aux nouveaux genres.
Soirée d’ouverture, hommage posthume à une étoile filante
Inclassable, puissante en studio comme sur scène, elle fut le porte-étendard d’une modernité musicale arabe. Dhikra, cantatrice aventurière à la voix haute bien frappée, entre force et fragilité, a été de son vivant comme après son décès (1966-2003), adulée par les publics tunisien et arabe.
Si le festival de la chanson tunisienne a choisi, en commémoration du 20e anniversaire de la disparition de la diva, de rendre hommage dans cette édition à Dhikra Mohamed, c’est que l’artiste disparue dans un drame tragique et énigmatique, était une voix irremplaçable et un talent qu’aucune mode n’avait jamais ni surpris ni terrassé et a réussi à nous léguer un répertoire qui a pris en quelques décennies les dimensions d’une œuvre considérable.
Décédée à la fleur de l’âge, 37 ans, sa gloire demeure toujours d’actualité et les Tunisiens et Tunisiennes continuent de fredonner les paroles de ses chansons. Ses tout derniers tubes, «Allah ghaleb», «Youm alik» et bien d’autres laissaient une griffe indémodable et inoubliable qui a démontré les prouesses vocales de l’artiste et sa parfaite maîtrise de ses envolées lyriques.
C’est que dès les années 80, la cantatrice, la diva, a suscité autant d’enthousiasme que d’admiration. Habitée par le chant depuis sa tendre enfance, le succès et la montée au sommet de la gloire n’étaient pas aussi évidents pour Dhikra, qui a dû quitter la Tunisie pour tenter sa chance ailleurs. De Tunis, à Tripoli jusqu’au Caire, tout le monde voyait en elle une artiste exceptionnelle. L’exil de Dhikra, cette voix surdouée, en Egypte a été une formidable ascension pour cette artiste hors normes au timbre saisissant et à la voix exceptionnelle qui l‘avait propulsée sur la scène arabe.
Pour cette 21e édition, le comité directeur du Festival de la chanson tunisienne a opté pour une soirée d’hommage en guise de reconnaissance posthume à la mémoire d’une artiste dépositaire d’un legs musical important qui n’a pris aucune ride et qui a contribué à faire rayonner la chanson tunisienne. Une artiste, ne l’oublions pas, qui a décroché le troisième prix de la toute première édition du festival de la chanson tunisienne en 1987 pour «Habibi Tammen Fouedi». Pour cet hommage, ce sont des artistes tunisiens prestigieux et de grands noms de la scène musicale arabe, des artistes qui l’ayant connue et côtoyée, qui ont répondu présents pour la soirée d’ouverture dédiée à la mémoire de Dhikra qui demeure dans la mémoire.
Pour Dhekra, Saber Rebai, Nawel Ghachem, Olfa Ben Romdhane, Mohamed Jebeli, Emna Dammak, Heni Chaker, Mohamed Helou, Iheb Taoufik, Saad Ramadan et d’autres guests encore), Nicolas Saade Nakhla (Libye), Cheb Jilani (Libye), Khaled Zouaoui (Libye) prêteront leur voix.
Et d’autres hommages encore, un devoir de mémoire
Le festival de la chanson tunisienne a voulu, pour cette édition 2023, remettre à l’honneur les superbes mélopées des œuvres immortelles des grandes vedettes disparues qui ont façonné l’histoire de la musique tunisienne, et ce, en leur consacrant une partie des trois soirées de la compétition «la chanson al-wataria». Un voyage musical hors du temps en guise de souvenir aux premières voix qui ont commencé à perpétuer cette âme tunisienne pour en devenir de véritables légendes éternelles.
Le choix s’est porté sur les pionniers parmi les voix masculines, à savoir Hédi Jouini (1909-1990), Mohamed Jamoussi (1910-1982) et Ali Riahi (1912-1970), Oulaya (1936-1990), Saliha (1914-1958) et Naama (1934-2020).
L’hommage à Mohamed Jammoussi et Naama sera porté par Saber Rebai et Yosra Mahnouch, celui de Hédi Jouini et Oulaya par Lotfi Bouchnaq et Olfa Ben Romdhane et celui d’Ali Riahi et Saliha par Slah Mosbah et Eya Daghnouj.
Quant à la soirée consacrée aux nouveaux genres, elle aura comme porte-drapeau de la nouvelle génération Hassen Doss, Raoudha Abdallah et Sabri Mosbeh.
Des prix et des consécrations…
Le festival de la chanson tunisienne est aussi une compétition et outre les prix officiels du Festival, plusieurs autres distinctions seront accordées pour permettre à un plus grand nombre de candidats d’être récompensés. 10 prix seront annoncés à la clôture du festival. Les prix de la compétition de la chanson tunisienne «al-wataria» sont les suivants : «Micro d’or» d’un montant de 30 mille dinars, «Micro d’argent» d’un montant de 20 mille dinars et «Micro de bronze» d’un montant de 15 mille dinars.
Et pour la compétition «Nouveaux genres» : «Micro d’or» d’un montant de 20 mille dinars et «Micro d’argent» d’un montant de 15 mille dinars.
Quant aux prix parallèles, ils sont: trois prix décernés par l’Otdav (Organisme tunisien des droits d’auteur et des droits voisins) : meilleur jeune interprète, meilleur jeune compositeur, meilleur jeune parolier.
Prix de l’Asbu (Union de radiodiffusion des Etats arabes) et Prix du public (tout au long du festival, le public peut voter après chaque soirée à travers 2 bornes disponibles devant la salle du Théâtre de l’opéra ou à travers un lien sur le site Web du festival).
De la tutelle de l’Etat à l’économie de marché
Dans le cadre de cette nouvelle édition, un colloque scientifique ayant pour thème «Le secteur de la musique en Tunisie : de la tutelle de l’Etat à l’économie de marché» est programmé pour le jeudi 9 mars 2023 à l’Institut supérieur de musique de Tunis (Ismt). Ce colloque, dont la coordination est assurée par Anis Meddeb, maître de conférences en musique et musicologie à l’Ismt (Université de Tunis), a pour objectif de faire le point sur le secteur musical en Tunisie à la lumière du système actuel de l’économie de marché —dominé par les technologies modernes— dans les processus de production artistique ainsi que dans la commercialisation et la promotion des œuvres. Il sera procédé à l’évaluation des moyens adoptés en Tunisie pour la promotion numérique des œuvres musicales produites et mises en ligne sur les plateformes digitales et les réseaux sociaux.
Ce colloque aspire à débattre des problèmes qui entravent la croissance des industries musicales en Tunisie. L’objectif étant de proposer des recommandations à même de baliser la voie à une restructuration que les décideurs pourraient adopter comme point de départ afin de permettre au secteur musical de se développer en fonction du rythme des changements qui s’opèrent.
«La mémoire du festival»
Au programme également, une exposition de photographies sur l’histoire du festival de la chanson tunisienne depuis 1987, date de sa création jusqu’à 2008 avant son retour dans sa 20e édition en 2021 après une interruption de 12 ans. L’exposition est une sorte de voyage à travers le temps grâce à des photos des Archives nationales de Tunisie et des extraits vidéo qui seront accessibles au grand public tout au long de la période du festival.
Elle réunit également des photos des archives de l’ancienne revue de la radio et de la télévision tunisienne, important dépositaire de l’historique de toutes les éditions précédentes, dès lors qu’elle était à cette époque un partenaire de taille avec le ministère des Affaires culturelles. Outre la participation de sa troupe, elle assurait une large couverture médiatique et des reportages photos grâce à des photographes professionnels qui ont réussi à travers leurs prises à immortaliser l’histoire du festival.