Le mois de Ramadan n’a aucun charme sans une escale au club Tahar Haddad, car cet espace culturel n’est pas uniquement un lieu, une mémoire, une histoire mais une âme et une énergie transmises de génération en génération, une activité intarissable et continue tout au long de l’année, mais qui prend un éclat particulier durant le mois de Ramadan.
Chaque soir, le club Tahar Haddad, son personnel, animateurs et direction sont comme des soldats en poste. La programmation ramadanesque fait de cette institution le cœur battant de la Médina. Même si les manifestations avoisinantes attirent un public occasionnel, le club Tahar Haddad sait fidéliser ceux qui franchissent son seuil pour la première fois. Et ils reviendront suivre la programmation annuelle, adhérer aux différents clubs et faire partie du cercle privilégié, car chaque personne au club Tahar Haddad se sent privilégiée.
La soirée de Erkez Hip Hop présentée la semaine dernière était le point culminant de la programmation. Une programmation concoctée avec soin, qui vise loin, subtile et exigeante. Avec Erkez Hip Hop, l’énergie déborde, le public est euphorique face à une brochette d’artistes réunis autour d’un projet de fusion innovant, qui cherche à rassembler deux registres très différents : le rap et le mezwed. En adoptant les sonorités authentiques, les rimes énergiques du rap et les rythmes du bendir ou de la darbouka, Erkez Hip Hop explore le carrefour des genres et explose sur chaque scène.
A chaque rendez-vous, le collectif Erkez Hip Hop prouve, une fois de plus, que le travail de fusion ne fonctionne pas par simple agencement des genres et des identités, il faut en être bien trempé, que l’empreinte soit bien définie et que les imbrications soient fluides. Erkez Hip Hop réussit là où d’autres ne cessent de trébucher. Il offre au public, comme c’était le cas au club Tahar Haddad, un moment d’évasion, de musique et de rythme. Les corps répondent aux sonorités du projet et s’élèvent avec les interventions de Dali Chebil et vibrent au rythme des mots de Vipa, Tiga et Massi.
A la fois échappatoire festive et caillou dans la godasse des puissants, avec des textes fins et intelligents, le groupe pointe du bout de la plume les incohérences du pays et de ses «élites» et dépeint cette société tunisienne dont la révolution a été prise en otage, il s’adresse aussi bien au zoufri aux bras scarifiés qui rêve d’une Europe inaccessible qu’au cadre qui commence à se fatiguer et à désespérer du pays du jasmin et des poubelles qui débordent…
Erkez Hip Hop c’est le son de la Tunisie, celle qui grouille dans les rues des grandes villes, comme celle qui se fatigue dans les champs. Erkez Hip-Hop c’est une danse au bord de l’abîme, qui transforme la frustration en fête.