Les récents cas des deux journalistes Monia Arfaoui et Mohamed Boughalleb se rapportant à une plainte déposée par un même ministre, celui des Affaires religieuses, confirment le recours abusif à un décret que le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) avait pointé du doigt et appelé à son annulation quelques jours après sa publication au Jort le 16 septembre 2022.
Le recours au décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, illustre bien la nette dégradation de la liberté de la presse en Tunisie. Tenter de porter atteinte à la liberté des médias et faire comparaître les journalistes par le biais de ce décret ne pourra guère les museler en raison de leur rôle primordial pour garantir et assurer le principe de redevabilité des autorités.
Les récents cas des deux journalistes Monia Arfaoui et Mohamed Boughalleb se rapportant à une plainte déposée par un même ministre, celui des Affaires religieuses, confirment le recours abusif à un décret que le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) avait pointé du doigt et appelé à son annulation quelques jours après sa publication au Jort le 16 septembre 2022.
Tendance répressive
« S’il est vrai qu’il est du devoir du journaliste professionnel de se soumettre déontologiquement à certains devoirs dans le cadre de l’exercice de son métier dont le respect de la vérité, il n’en demeure pas moins que des médias indépendants, bénéficiant de la liberté d’expression, sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. Ce décret-loi est contraire à la Constitution, aux engagements internationaux de notre pays en matière de droits humains et de liberté de la presse et au principe de proportionnalité des peines », estime le syndicat.
« Les autorités en place visent à instaurer un système politique et juridique hostile aux droits et libertés », avait martelé le Snjt. Tout en soulignant que certaines sanctions et peines, en particulier celles en lien avec la diffusion de fausses informations et des rumeurs sur les réseaux sociaux, étaient «excessives». Le syndicat a jugé « disproportionnée » la loi sur la cybercriminalité et « contraire » aux dispositions de l’article 55 de la Constitution de 2022.
Deux affaires ont confirmé cette tendance répressive à l’égard de la liberté de la presse dans notre pays puisque le ministre des Affaires religieuses, Brahim Chaibi, a usé de ce décret-loi pour déposer plainte, dans un premier lieu contre la journaliste Monia Arfaoui puis contre le journaliste, Mohamed Boughalleb.
La première a été convoquée par l’unité de la police judiciaire à El Gorjani où elle a été entendue puis laissée en état de liberté. La journaliste a été auditionnée dans le cadre de deux plaintes déposées par le ministre en question pour un article publié dans le journal Assabah concernant des soupçons de corruption lors du pèlerinage et pour un statut publié sur les réseaux sociaux.
Le journaliste Mohamed Boughalleb a été quant à lui entendu par la même brigade suite à une plainte déposée contre lui par le même ministre après avoir dévoilé l’affaire d’un véhicule confisqué par la douane et qui a été semble-t-il mis à la disposition de ce dernier.
La théorie du complot ?
Favorisant la théorie du complot (on ne sait pas par ailleurs trop la raison), Brahim Chaibi a expliqué, lors de ses sorties médiatiques, qu’il est victime d’une campagne de dénigrement. Et pourtant, un communiqué officiel émanant dudit ministère en guise de réponse aurait pu boucler les deux affaires. Un ministre qui n’a rien à se reprocher et qui est bien apprécié dans son département, selon certains témoignages recueillis, n’aurai pas dû user de ce décret-loi pour se défendre. « Au contraire, sa riposte a été contre-productive et n’a fait que braquer encore plus sur lui les projecteurs des médias et des réseaux sociaux », selon beaucoup d’observateurs. Et de poursuivre : « Il s’est mis sans le savoir dans une mauvaise posture de défense et a créé l’effet boule de neige sur les réseaux sociaux après avoir pointé dans l’une de ses déclarations «une campagne malveillante lancée par des mercenaires contre sa personne et contre le pays durant ce mois sacré ».
Notons que le ministre des Affaires religieuses a catégoriquement démenti les informations véhiculées contre lui par les deux journalistes en question.
Il est à signaler que Mohamed Boughalleb et Monia Arfaoui ont comparu, de nouveau, ce mercredi 12 avril 2023, devant la brigade d’El Gorjani. Après leur audition, le ministère public a décidé de les laisser en liberté.
Le président du Syndicat des journalistes, Mahdi Jlassi, a assuré que les questions posées durant les interrogatoires se rapportaient aux positions des deux journalistes. Il a appelé le Président de la République à mettre fin à l’application du décret n°54, assurant que l’intégralité des poursuites en justice engagées en application de ce décret ne visaient que les affaires d’opinion.
« Ces enquêtes se déroulent en un temps record contrairement aux requêtes déposées par les journalistes », a-t-il conclu.
Nonobstant la décision du ministère public de les maintenir en état de liberté, les deux journalistes font toujours l’objet de poursuites judiciaires et sont sous la menace permanente du décret-loi 54 qui s’apparente à une épée de Damoclès au-dessus de la tête.