Il y a bien longtemps que l’emploi figure à l’ordre du jour de nos gouvernements successifs, comme une priorité d’Etat. Mais, en réalité, ce dossier continue à faire du surplace.
On s’apprête à célébrer, comme à l’accoutumée, la fête internationale du travail, un 1er mai férié marquant l’histoire du calvaire des ouvriers, deux siècles en arrière. Ce fut, alors, ainsi imposé pour réduire la journée de travail à huit heures et donner suite, à l’époque, aux revendications des révoltés de par le monde, afin de mettre un terme à toute forme d’emploi précaire. Or, cela n’a été qu’un début prometteur qui aurait, au fil du temps, décliné sous la sauvagerie des capitalistes voyous.
Depuis, l’emploi s’est érigé en souci majeur de tous les gouvernements et constitue, en effet, la pomme de discorde entre employeurs-employés. Et tous se défendent en bataille rangée, à laquelle s’associent patronats et syndicats. Cependant que les négociations sociales sur l’amélioration de la situation professionnelle n’en finissent pas. Et le débat instauré, à maintes reprises, sur un chômage endémique, les pistes de solution et les recommandations qui en découlaient, n’a pas été suivi d’effet. Jusqu’à nos jours, on a du mal à gérer ce dossier si brûlant. Il est vrai que cela dépend, selon les économistes, de plusieurs facteurs inhérents à l’investissement, au faible taux de croissance, mais aussi au déséquilibre flagrant au niveau du marché du travail. Cela dit, il n’existe même pas une politique active d’emploi lucide et prospective.
L’effet du pétard mouillé !
Il y a bien longtemps qu’on parlait de l’emploi comme une priorité nationale, un chapitre principal des débats budgétaires. Au-delà de la fonction publique, il y avait aussi autant de mécanismes d’incitation à la vie professionnelle et bien d’autres mesures urgentes aux sans-emplois. Toutes ces idées sont restées figées et n’ont rien à voir avec la réalité. A titre d’exemple, l’autofinancement que l’on doit, préalablement, fournir pour obtenir un prêt bancaire visant la création de son propre projet n’a été qu’un facteur bloquant. Et les différentes stratégies de promotion d‘emploi, décidées au profit des jeunes demandeurs, ont eu l’effet d’un pétard mouillé. Paradoxalement, le marché du travail s’affiche toujours saturé. D’autant plus que l’université tunisienne ne répond guère aux besoins du marché.
Face au climat d’insécurité post-révolution, rappelle-t-on, on avait, alors, assisté à une fuite des investisseurs. Sous l’effet des multiples protestations sociales, certaines firmes, longtemps basées sous nos cieux, ont fini par déclarer faillite, mettant un nombre important d’employés au chômage technique. A la longue, ce chômage demeure chronique. Et puis, un fardeau de trop. Et jusqu’ici, aucun gouvernement n’a pris les choses en main. Et les chiffres sont têtus : plus de 624 mille chômeurs du total de la population active recensés au 4e trimestre 2022. Avec un taux du chômage légèrement en hausse, estimé actuellement à 15%. Ceci étant, tout bonnement, la conséquence d’une crise économique qui s’enlise de plus en plus. Bien qu’il soit au centre de tous les débats sociaux, l’emploi des jeunes n’a jamais été un vrai souci politique. Ce n’est, en fait, qu’un dossier relégué au second plan. Voire un carton électoraliste à servir pour jouer sur la corde sensible. Il y a de quoi donner du grain à moudre. L’objectif étant de repenser une stratégie d’emploi réaliste.
Priorité, dites-vous !
Faute de quoi, tout débat sur l’emploi n’a abouti à rien. Pourtant, on a fait de la lutte contre le chômage la mère de toutes les batailles. Cependant, aucune solution radicale ne lui a été trouvée. On n’est pas sorti de l’auberge! Chaque année, le nombre de postulants s’accroît de plus en plus. Certes, la crise sanitaire causée par le Coronavirus a encore aggravé la situation. «Outre les pertes tragiques en vies humaines et les dommages à la santé et aux collectivités qu’elle a causé, la pandémie a eu des conséquences dévastatrices sur le monde du travail», note l’Organisation mondiale du travail (OIT), dont la Tunisie est un Etat membre. Son impact sur le monde du travail n’est plus à démontrer. Statistiques de l’OIT à l’appui, «220 millions de personnes au chômage dans le monde en 2020, soit une augmentation de 33 millions par rapport à 2019, avec 8,8 % du total des heures de travail perdues. L’on enregistre, également, 5% de baisse de l’emploi des femmes contre 3,9% chez les hommes, l’année écoulée».
A notre échelle, il est temps de procéder à des révisions, à même de relancer un nouveau débat sur l’emploi. Tout le reste n’est qu’un bluff politique ! Toujours est-il que la bonne volonté puisse faire bouger les lignes. Nul ne possède une baguette magique pour désamorcer la crise. Le «miracle tunisien» qu’on avait, toujours, vanté à outrance, est dénué de toute vérité. Dérisoire de croire encore à l’Etat-Providence. Son rôle s’est réduit à gérer ses fonds de gestion et coordonner, à la limite, un partenariat public-privé. D’ailleurs, il n’est plus en mesure de satisfaire toutes les demandes additionnelles d’emploi. On cite, entre autres, les emplois précaires, les travailleurs peu rémunérés et peu qualifiés, les migrants, ainsi que les handicapés.
Emploi-développement, quelle équation ?
La balle est dans le camp des privés qui devraient s’engager à investir plus dans des projets à forte employabilité. Emploi-développement, l’équation est d’autant plus complexe qu’elle incarne le défi de la croissance. Cela veut dire, sans détours, qu’un point de plus dans le PIB est l’équivalent d’environ 20 mille postes d’emploi à pourvoir. Ceci dépend de cela. Par un simple calcul, quelque 100 mille emplois exigent, en moyenne, un taux de croissance égal à 5%. Parlons-en ainsi, plus de 600 mille chômeurs déjà recensés par l’INS exigent un effort d’investissement considérable. De ce fait, la mentalité d’assisté devrait également changer. Un emploi à la merci de la fonction publique le doit aussi. Le compter-sur-soi, avec le soutien de l’Etat et d’autres mécanismes d’appoint, serait bel et bien une solution.
Cela aurait trouvé sa justification dans le Pacte social tripartite, signé le 14 janvier 2013, entre le gouvernement d’une part, l’Ugtt et l’Utica, de l’autre. Par ailleurs, l’emploi décent était mis en avant, en tant qu’attribut social, mais aussi un droit acquis.
Faut-il tout revoir ?
C’est que l’école tunisienne, jadis un véritable ascenseur social, demeure une fabrique de chômeurs. De même, l’appareil productif s’est trouvé dans l’incapacité de générer davantage d’emplois. Et encore moins de chances d’insertion professionnelle. Une sorte de système machiavélique hostile à l’esprit solidaire. Et là, l’économie solidaire et sociale semble avoir un apport considérable en matière de développement. Tendance économique nouvelle, elle n’en représente que moins de 1%, selon les statistiques de l’Ugtt. A ce niveau, certains acteurs de la société civile ont souligné que «la réflexion sur un modèle de développement alternatif ne doit pas se passer de l’épargne et de l’économie solidaire et sociale». Leur impact sur la généralisation de postes d’emploi et la promotion des régions les plus démunies s’avère de mise. Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), ne cesse de défendre ce choix. Mais, pour lui, le gouvernement doit prendre son courage à deux mains pour en finir avec l’emploi précaire dont les ouvriers des chantiers ont trop souffert. L’essentiel consiste à apporter des solutions concrètes au problème du chômage, à travers des mesures justes et réalistes. Et là, faut-il tout revoir pour y arriver ?