En l’absence de cadre réglementaire et juridique spécifique, le travail en freelance est considéré comme un travail informel en Tunisie. Les freelances sont donc confrontés à la stigmatisation sociale et se trouvent privés du droit d’accès à la protection sociale. Ce sont des jeunes qui évoluent, professionnellement, dans la vulnérabilité, voire la précarité.
Ils sont 120.000 travailleurs en freelance dans le domaine créatif à avoir préféré le travail indépendant au salariat. Étant une communauté qui ne cesse de grandir à mesure que l’évolution technologique s’accélère, les métiers créatifs exercés en freelance sont très nombreux.
Designer, vidéaste, développeur, communicateur, gamer, peintre … la liste des créatifs indépendants s’allonge de jour en jour pour inclure de nouveaux métiers émergents. Mais face à ce trop-plein de créativité, à la multitude d’opportunités créées dans ces domaines ainsi qu’à la possibilité de s’ouvrir au monde extérieur grâce au numérique, les jeunes freelances se heurtent souvent à la rigidité et à la complexité administratives et font le constat d’une totale incompréhension de ce nouveau mode de travail par les services de l’Etat.
Le freelance est informel en Tunisie
En l’absence de cadre réglementaire et juridique spécifique, le travail en freelance est considéré comme un travail informel en Tunisie. Les freelances sont, donc, confrontés à la stigmatisation sociale et se trouvent privés du droit d’accès à la protection sociale. Ce sont des jeunes qui évoluent, professionnellement, dans la vulnérabilité voire la précarité. Pourtant, dans d’autres pays, le travail en freelance bénéficie de régimes légaux et continue de gagner du terrain: aux Etats-Unis, les travailleurs indépendants représentent 34% de leur force de travail alors qu’ils constituent 12% de la population active en France.
Quels statuts possibles pour les travailleurs freelances en Tunisie ? Quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent souvent? Comment valoriser le travail invisible des jeunes créatifs? Dans l’optique de mettre à plat toutes ces questions relatives au travail indépendant dans le domaine créatif, le réseau tunisien des freelances « Prod’it », le « Ticdce » et le « Peej » ont organisé, en collaboration avec avec l’Islab (Université de Jendouba) et un consortium de clubs et associations d’étudiants, la 3e édition du « Tunisian Freelance Day », qui s’est tenue mercredi 26 avril à la Cité de la culture de Tunis. L’événement qui a rassemblé des jeunes créatifs venus de tous bords a été rythmé par des débats à bâtons rompus et des panels traitant des enjeux du freelance en Tunisie et a été enrichi par des témoignages et des « success stories ».
Valoriser les métiers créatifs
Le message porté par ces jeunes était clair: ils aspirent à la reconnaissance et à la valorisation de leurs métiers. « Nous ne demandons pas d’aide, nous ne revendiquons pas de recrutement, ce que nous voulons, c’est qu’on arrête de nous mettre les bâtons dans les roues », a lancé Ahmed Hermassi, président de « Prod’it » après la projection d’une vidéo qui retrace le parcours du combattant qu’un jeune freelance endure pour formaliser son travail.
Affirmant que le freelance n’est pas un statut mais un modèle économique et une qualification, l’intervenant a expliqué que les métiers créatifs ne cadrent pas avec le régime fiscal de la Patente. De surcroît, les créatifs indépendants font face à plusieurs challenges qui empêchent leur épanouissement professionnel, tels que l’absence de statut juridique spécifique, l’atteinte aux droits d’auteur mais également les difficultés pour accéder aux marchés et bénéficier de la protection sociale. « On ne peut pas parler d’économie créative en Tunisie alors que les droits d’auteur sont constamment violés », fait-il remarquer. Pour les travailleurs freelances, le régime d’auto-entrepreneur ainsi que le statut d’artiste peuvent constituer une solution adaptée aux exigences des métiers créatifs, puisqu’étant précaire, un « freelancer », qui en est à ses premiers balbutiements, ne peut pas supporter les coûts de la création d’une patente.
Or, cette communauté a vite connu le désappointement, suite à la publication de la loi de Finances 2023, qui exclut un pan entier des métiers créatifs du régime d’auto-entrepreneur. Selon plusieurs responsables administratifs, l’amélioration de la nomenclature des activités et la création de nouvelles sous-catégories peuvent être une solution envisageable pour formaliser les travailleurs indépendants dans le domaine créatif. Une piste de réflexion qui a été considérée comme timide car les « freelancers » sont souvent multidisciplinaires et peuvent ne pas correspondre à une catégorie bien déterminée.
Pour les organisateurs, la journée était l’occasion de faire entendre la voix de ces travailleurs de l’ombre, et l’initiative ne va pas s’arrêter là. Aujourd’hui, les travailleurs freelances souhaitent créer une structure coopérative afin de s’auto-organiser et devenir une force de proposition.