Accueil A la une Feryel Saïmanouli, autrice de «Elles n’avaient pas le temps» à La Presse : «Je tenais à donner une dimension universelle à mon livre»

Feryel Saïmanouli, autrice de «Elles n’avaient pas le temps» à La Presse : «Je tenais à donner une dimension universelle à mon livre»

 

Publié aux «Editions Arabesques», le premier livre de Feryel Saïmanouli, écrivaine tunisienne, annonce, de prime abord, une fuite dans le temps. Un temps qui s’étire, fait surgir de nombreuses interrogations élémentaires, annonciatrices de combats pour la justice et l’égalité. Berceau de plusieurs parcours de vie, l’autrice, au bout d’une centaine de pages, fait écho à un dialogue générationnel, creuse les différences entre les genres, remet en questions les rapports familiaux, avec, en trame de fond, une histoire de famille tunisienne. On a lu «Elles n’avaient pas le temps», disponible actuellement dans toutes les librairies et à la foire du livre, et on a rencontré pour vous son écrivaine. Entretien.

Feryel Saïmanouli, au gré de vos études supérieures en Lettres menées à Paris, vous vous êtes consacrée à l’écriture de nouvelles, avant la parution de votre premier récit fiction titré «Elles n’avaient pas le temps» (Arabesques Editions). Pouvez-vous revenir sur votre rapport avec l’écriture et la genèse de votre livre ?

J’ai commencé à écrire des nouvelles : la première était «Ses yeux gris qui me souriaient», que j’avais présentée à un concours pour L’Harmattan, en France, et qui a, également, était première sélectionnée. Elle a été postée, ensuite, en ligne, libre de droit et d’accès. La deuxième a vu le jour, dans le cadre d’une exposition, organisée par plusieurs artistes, juste après le confinement, et qui s’appelait «Un pas vers l’Après». Elle s’est passée au B7L9, à Tunis, et un des projets était celui de l’artiste Feryel Zouari. Dans ce cadre, des écrivains devaient produire un texte de 2 pages et, ensuite, d’autres artistes, issus d’autres disciplines, devaient produire des œuvres à partir de nos écrits. Au final, un artiste peintre avait, donc, produit un tableau à partir de mon texte.

Jusqu’à la parution en 2023 de «Elles n’avaient pas le temps», votre premier livre, publié en Tunisie aux éditions Arabesques…

C’était au tout début une nouvelle que j’ai transformée en roman. Sa genèse me tient à cœur parce que, je l’ai vu, il y a dedans du vécu personnel. Il y a énormément d’histoires, mais pas que cela. Je suis féministe depuis ma plus tendre enfance et je remarquais des choses qui m’interpellaient… J’ai, de nos jours, eu envie d’écrire sur le sujet de l’inégalité dans l’héritage. La genèse de ce livre était donc différente de ce que je faisais d’habitude… Pour «Elles n’avaient pas le temps», j’ai commencé à noter toutes les remarques sexistes que j’ai pu écouter, qu’on m’avait adressées. Du coup, je les ai écrites, les unes après les autres, jusqu’à en avoir des pages entières, dans un carnet. Je l’ai fait assez rapidement. Initialement, «Elles n’avaient pas le temps» est une nouvelle que j’ai écrite en quatre jours. Je l’ai publiée après l’avoir retravaillée sur des mois…

Peut-on le considérer comme un livre militant ou engagé ?

Ce n’est pas un livre de militante. J’ai posé une situation, que j’ai racontée au gré de scènes statiques, dans des huis clos, tout en sentant le bouillonnement qu’il y a autour de ce sujet. Un récit que j’ai pas mal travaillé et retravaillé sur une période. A Paris, j’ai vu une fois une pièce de théâtre autour des contes de Perrault. Je me suis rendu compte à quel point les récits courts étaient efficaces, pouvaient raconter une histoire captivante, couramment, avec des personnages élaborés, des sujets importants, avec une clarté surprenante et le tout dans un cadre merveilleux, fantastique. Je m’étais donc inspirée de cela pour mes écrits. Pour le roman, je m’étais dit que c’était efficace de parler au lecteur, de l’impliquer, qu’il ne soit pas que lecteur ou spectateur, mais qu’il soit aussi acteur.

«L’inégalité dans l’héritage» est-elle la thématique principale de votre livre ?

Oui, bien sûr. C’est le sexisme d’une manière générale, et le cœur du sujet est l’inégalité successorale, qui reste et qui restera toujours d’actualité en Tunisie. On n’est toujours pas au même statut que les hommes, en ce qui concerne l’héritage : on n’est pas égaux face à la loi. Il faut que la société évolue et que les politiques prennent conscience que tous les citoyens ne sont pas égaux. On s’est embourbé dans du conservatisme depuis le déclenchement de la révolution, et on disait souvent que ce n’était pas prioritaire… Et cet argument-là, ils le sortiront toujours. C’est pourtant un droit vital et élémentaire d’être égaux. Il faut commencer à changer les lois. C’est ce qui nous fera changer après et bousculera les mentalités.

D’où le fait d’avoir publié votre livre en Tunisie, et non pas en France ?

En France, publier des livres est très compétitif. En Tunisie, on peut facilement sortir du lot, être plus visible, impactant. Je commence par la Tunisie, et on verra bien après….

Sans spolier les lecteurs, a qui fait référence le pronom «Elles» dans le titre ?

A toutes les femmes. Mais on comprend rapidement que c’est des Tunisiennes, ou des musulmanes, qu’il s’agit. Je ne le dis pas directement, parce que je tenais à ce qu’il y ait une universalité dans le roman : je ne dis jamais où ça se passe, je dis des noms qui ne donnent pas vraiment d’indication sur des lieux précis… Je tenais à ce que tout le monde puisse se reconnaître. Donner cette dimension d’universalité, j’y tenais. Ce récit fait sans doute écho à toutes les femmes issues de toutes les classes sociales. A travers mes mots, je pose un problème, une situation, et je tiens à ce que les récepteurs ou les lecteurs en parlent. Je ne prône pas frontalement un engagement ou un militantisme.

Engagement et littérature, parlons-en.

Mes nouvelles ne sont pas toutes engagées. Elles ont quand même traité de sujets tels que la loi 52. J’ai raconté l’histoire d’une personne transgenre en Tunisie, et parlé du viol, de sa complexité dans le monde arabo-musulman et de l’épouse, victime contrainte souvent, sous pression, d’épouser le violeur. Jusqu’aux étudiantes qui se prostituent pour subvenir à leurs besoins… Ce sont des sujets importants qu’il faut déterrer, à mon avis. Qu’il faut admettre.

Une suite de «Elles n’avaient pas le temps» est-elle prévue ? La fin est annonciatrice d’une suite.

Ce n’est pas de refus. Pourquoi pas ? (sourire) Peut-être un autre genre de suite, mais du point de vue de «Jo», le frère. Actuellement, je suis sur un autre projet d’écriture pour enfants dans lequel je raconterai des récits de femmes figures importantes, historiques, ou légendes, mais oubliées par l’histoire ou pas assez représentées et mises en valeur. Ça sera une série de livres qui racontent les voyages d’une petite fille, partie à la rencontre des femmes orientales ou africaines.

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