Crédit photo : Koutheir KHANCHOUCH
« Ce décret malintentionné vise à museler les médias et étouffer les voix », regrette Mohamed Yassine Jelassi, président du Snjt.
En ce 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, 17 journalistes tunisiens ont fait l’objet d’arrestations et poursuites judiciaires, et bien d’autres ayant payé lourd le tribut de la vérité, puisque 63 % des agressions perpétrées contre les journalistes sont, tout bonnement, liées au droit d’accès à l’information. 12 ans déjà, s’exprimer ainsi librement, sans être mal jugé ou réprimé, demeure le supplice de Tantale ! Alors qu’il s’agit, en réalité, d’un droit que l’on croyait être le seul et l’unique acquis de la révolution. Voire la clé de voûte des droits humains.
L’épée de Damoclès
Cela dit, l’état des lieux de la liberté de la presse, que l’on a fêté, hier, son 30ème anniversaire à l’échelle internationale, laisse encore à désirer. Sous nos cieux, la situation empire tous les jours. Et le décret-loi 54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, illustre bel et bien cette nette dégradation.
Cet instrument juridique si contraignant est perçu, à bien des égards, comme l’épée de Damoclès posée sur toute voix libre digne de ce nom. En colère, journalistes, photographes, caméramans et tous les professionnels du secteur, ont observé, hier devant le siège du Snjt à Tunis, un sit-in, en protestation « contre ce que devient la liberté de la presse, sous le joug d’un pouvoir qui fait toujours semblant d’un rempart des médias ».
Et par la même occasion, le Snjt vient de présenter son rapport annuel sur la liberté de la presse 2023 et mis en lumière les maux d’un métier si réprimé dont le pêché n’est que la divulgation de la réalité et la quête de la vérité.
Cette vérité qui dérange et met à nu l’injustice et l’impunité des uns et des autres. « On est face à des jugements d’opinions libres et des écrits critiques, à cause de quoi nombre des journalistes ont été harcelés, agressés, arrêtés ou poursuivis en justice », s’indigne Mohamed Yassine Jelassi, président du Snjt. « Tout s’est passé, dénonce-t-il, sous la coupe dudit décret scélérat n° 54 ».
Et d’arguer que « ce décret malintentionné vise à museler les médias et étouffer les voix. Tout comme les journalistes, blogueurs, activistes et facebookeurs ne sont plus à l’abri de la censure et du spectre de séquestration judiciaire. Et les cas sont légion. Il ne sera plus question de se taire et d’avaler ainsi la pilule. Depuis deux semaines, on a déjà entamé les procédures d’une plainte à l’international contre ce décret-loi 54 », martèle-t-il.
La Tunisie déclassée !
Sur la même lancée, la vice-présidente du Snjt, Amira Mohamed, qualifie la crise dans laquelle se débat le secteur de « catastrophique ». « C’est pourquoi, l’on a gardé le même slogan de l’année dernière, à savoir « la presse tunisienne fait face au danger imminent », a-t-elle expliqué.
« À cet exercice professionnel répressif s’ajoute un cadre du travail si gravement précaire ».
Amira Mohamed a bien évoqué les cas des médias publics dont notamment Snipe-La Presse et Assahafa, Dar Assabah, et ceux confisqués tels que « Shems Fm » et « Cactus Prod ».
De son côté, Khaoula Chabbeh, de l’Unité d’observation et de monitoring des violences faites aux journalistes, a fait état de 17 poursuites judiciaires et 257 cas d’agressions à l’égard des professionnels du terrain dont 63% sont liées au droit d’accès à l’information. Soit, « l’année la plus violente depuis quatre ans », a-t-elle fait remarquer.
Cela est dû, en majeure partie, au recours à des instruments juridiques illégaux tels que le code pénale, la circulaire 20, la loi relative à la lutte contre le terrorisme, ainsi que le très controversé décret-loi n°54.
Cet arsenal des lois instrumentalisé, en lieu et place du décret-115-116 régissant le secteur des médias, n’a fait que placer la Tunisie en queue de peloton en matière de la liberté de la presse.
Ainsi, sur 180 pays dans le monde, la Tunisie a été classée, par l’Ong Reporters sans frontières (RSF), à la 121ème place, avec 27 point de recul, derrière la Mauritanie dans la région du Maghreb.
« Cette régression est due, selon cette Ong, à une politique répressive menée contre les médias. Alors que la liberté de la presse est l’un des critères que l’on prend en considération dans le cadre des relations de coopération et de partenariat établies entre les pays du monde ».