Cette affaire nous interpelle sur la nécessité de la mise en place, au plus vite, d’une police réellement républicaine très proche des citoyens. Pour les jeunes et les générations futures, la liberté d’expression post-révolution est un grand acquis qu’il faut préserver.
Ce ne sont pas les paroles d’une chanson sarcastique critiquant le comportement de quelques agents de police, et pas tous bien évidemment, qui devrait faire sortir ces derniers de leurs gonds.
L’affaire n’aurait pas dû prendre toute cette ampleur. Certes la liberté d’expression a des limites et ne doit en un aucun cas servir de prétexte pour piétiner sur les droits d’autres parties, mais quand deux jeunes étudiants, Youssef Chelbi et Dhia Nassir, qui s’apprêtent de plus à passer leur examen, sont arrêtés à cause d’une chanson à la critique railleuse, on est en droit de s’inquiéter et de se poser des questions.
N’eut été la position du chef de l’État, la réaction de la société civile, les deux jeunes étudiants auraient eu droit à un autre traitement.
La libération refusée puis acceptée !
« Rien ne justifie cette arrestation », a martelé le Président Kais Saied avant de quitter le pays ce jeudi 18 mai, en direction de l’Arabie Saoudite pour prendre part à la 32ème session du Conseil de la ligue des États Arabes.
Il s’est entretenu à ce propos avec la cheffe du gouvernement, Nejla Bouden, et lui a exprimé son grand étonnement tout en qualifiant leur arrestation d’inacceptable en dépit de son refus de s’ingérer dans les affaires de la justice. « On respecte la justice indépendante, mais rien ne justifie l’arrestation des étudiants qui s’apprêtent à passer leur examen .Ce qui est arrivé est inacceptable et le Conseil supérieur de la magistrature doit être le garant d’une justice équitable pour tous les Tunisiens ».
Quelques heures après cette déclaration dénotant un refus catégorique de la façon dont cette affaire a été traitée, le Tribunal de première instance de Nabeul a accepté la demande de libération des deux étudiants arrêtés. Ils comparaîtront devant la justice mardi prochain, 23 mai 2023, en état de liberté.
Fallait-il cette position intransigeante de la part du locataire de Carthage pour que les deux étudiants soient transférés en état de liberté alors que la demande de leur libération a été refusée auparavant ? Qu’est-ce qui a changé entre-temps ? Kais Saied a pourtant exclu dans sa déclaration toute ingérence dans les affaires de la justice, mais il a aussi appelé les juges à appliquer la loi. « Nous ne permettrons à personne d’être opprimé dans le pays », a-t-il encore ajouté.
Youssef le rappeur en herbe
Dans une vidéo postée sur Radio Monastir, Youssef Chelbi, étudiant à l’Institut supérieur des langues appliquées et de l’informatique de Nabeul, a expliqué qu’il était un rappeur en herbe et qu’il s’agit à l’origine d’une chanson improvisée à l’issue d’un moment de détente dans un café. Il était en compagnie de deux amis dont une jeune fille et a nié le fait qu’ils étaient en train de boire du vin ou de fumer un joint au moment de la chanson, contrairement à ce qui a été signalé dans le procès-verbal, selon ses dires. Youssef a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une chanson sarcastique rien de plus et qu’il ne s’attendait pas à cette arrestation au poste de police de Bir Challouf, à Nabeul.
Il a même ajouté que des agents de police qu’il avait rencontrés dans ce poste l’avaient encouragé à persévérer dans la composition de telles chansons car il avait du talent et ont manifesté leur étonnement à l’égard de son arrestation. Cette position de la part de ces agents montre à quel point le décalage est saisissant entre le comportement et la conduite des agents de police eux-mêmes. Youssef a déclaré dans cette vidéo qu’il a été privé dans les premières heures qui ont suivi son arrestation de contacter son père et son avocat. Ses parents n’ont été avertis de son arrestation qu’après la fin de son audition au poste de police et au moment de son transfert à la geôle.
Son message a été bien clair dans la vidéo rapportée par Radio Monastir, il continuera à chanter du rap sans offenser personne et à critiquer certains phénomènes de manière sarcastique sans piétiner sur les droits des autres.
Que serait l’art sans critique ? Il a adressé ses remerciements à toutes les parties qui l’ont soutenu, dont la Présidence de la République, les avocats, les ONG ainsi que ses amis et certains agents de police. C’est l’amour des gens qui a été d’un grand soutien pour lui, a-t-il enchaîné.
Le ministère de l’Intérieur explique d’une enquête administrative autour du bien-fondé de la démarche poursuivie
Le ministère de l’Intérieur a tenu à clarifier certains points par le biais de son porte-parole, Faker Bouzghaya, dans une déclaration accordée à une radio privée.
Ce dernier a expliqué que le MI n’est pas déterminé à poursuivre en justice les deux jeunes étudiants, toutefois il est du plein droit des forces sécuritaires de procéder à l’ouverture d’une enquête et d’en informer par la suite le Parquet. Il a ajouté à ce propos que le ministre Kamel El Feki a ordonné, suite aux réactions causées par cette affaire, l’ouverture d’une enquête administrative autour du bien-fondé de la démarche poursuivie, tout en insistant sur la coordination entre le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice concernant l’affaire de ces deux étudiants.
Pour rappeler les faits, les deux étudiants, Dhia Nassir et Youssef Chelbi, ont été arrêtés ce mardi 16 mai à Nabeul et placés en détention provisoire pour « atteinte à autrui sur les réseaux sociaux » et « attribution de faits inexacts à un agent public » suite à la diffusion sur les réseaux sociaux d’une chanson critiquant les agissements de la police et la loi sur la consommation du cannabis.
Leur avocate Imen Ghozi n’a pas manqué de manifester son étonnement suite à leur arrestation arguant du fait que cette chanson ne comporte pas de paroles diffamatoires ni d’incitation à la consommation de la drogue.
Plusieurs avocats se sont portés volontaires pour défendre la cause des deux étudiants, a-t-elle fait savoir. C’est une affaire qui touche à la liberté d’expression. Une manifestation de contestation est programmée dans les jours à venir puisque l’affaire n’est pas encore close, selon elle.
Plusieurs ONG et représentants de la société civile se sont élevés contre l’arrestation des deux jeunes étudiants et ont demandé leur libération.
Encore une affaire qui touche à la liberté d’expression et qui rappelle le passage à Sfax en Aout 2022 de l’artiste Lotfi Abdelli. Un passage qui n’avait pas manqué de troubler la quiétude des syndicats de police à cette époque et avait poussé l’artiste en question à quitter le pays, sauf que pour cette fois, le président de la République était là pour « désapprouver » l’arrestation des deux jeunes étudiants.
Ces deux affaires nous interpellent sur la nécessité de la mise en place, au plus vite, d’une police réellement républicaine très proche des citoyens. Pour les jeunes et les générations futures, la liberté d’expression post-révolution est un grand acquis qu’il faut préserver. Ce ne sont pas les paroles d’une chanson sarcastique critiquant le comportement de quelques agents de police, et pas tous bien évidemment, qui devra faire sortir ces derniers de leurs gonds.