L’expérience des entreprises citoyennes locales semble fort appréciée, de par les principes d’équité, de solidarité et de gestion démocratique qu’elle incarne. A peine une année, elle a commencé à se généraliser.
Après Bouarada, à Siliana, Om Labouab, localité rurale de la délégation d’El Fahs à Zaghouan, vient d’être dotée de sa propre société communautaire de valorisation des produits forestiers liés à l’artisanat, inaugurée, la semaine dernière, en grande pompe, par le gouverneur de la région. Ce dernier s’est montré pleinement engagé à mener à bien ce projet, tant attendu. Presque fin prêt, sauf qu’il doit finaliser toutes ses formalités administratives et juridiques. Du reste, le rêve auquel aspire la localité semble, in fine, réalisé.
Première dans la région
Première dans la région, elle a été créée, en consécration du décret présidentiel 15-2022 relatif aux entreprises citoyennes, publié au Jort, il y a plus d’une année. En profiteront 250 familles, composantes essentielles d’un milieu naturel sous-exploité, vivant, jusqu’à ce jour, dans la misère et toujours déshéritées de leur patrimoine forestier. Victimes d’un modèle de développement injuste et pénalisant, sous l’emprise hégémonique des lobbies économiques qui, au grand dam des indigents, ont fait fortune, suite à de louches concessions cédées au plus offrant. Om Labouab, comme le reste des contrées mal loties, n’avait pas eu la chance de s’autogérer, ni l’opportunité de s’investir dans des biens communs et des richesses propres à elle. Pourtant, cette localité, longtemps oubliée, dispose d’un potentiel écologique et forestier aux grandes vertus médicinales. Dont cette initiative citoyenne tire sa raison d’être.
Sa création fut, alors, annoncée devant une grande foule, venue s’assurer de la volonté des autorités d’aller plus loin dans ce projet. Bien que sa viabilité dépende nécessairement de sa rentabilité. A l’assistance, le gouverneur a lancé une profession de foi, promettant de doter cette première société du genre dans la région de toutes les conditions de réussite et de pérennité. L’idéal consiste, ce alors, à désenclaver la localité et faire en sorte de lui favoriser son autonomie économique. Soit, le développement régional selon le principe de la pyramide inversée et dont la décision revient à la population. C’est bien l’idée telle qu’elle a germé dans l’esprit du Président Kais Saied. Il se tient à l’essentiel que l’effort soit collectif et que ses fruits se répartissent équitablement à tous. Comme le confirme Wassim Laâbidi, chargé des sociétés communautaires au ministère des Affaires sociales : « L’idée émane, volontairement, des habitants, pour en finir avec un vieux modèle de sous-traitance économiquement exclusif ».
La bonne gestion fait toujours défaut !
Son collègue au même département, Khalil Abbès, conseiller auprès du ministre, n’y va pas par quatre chemins : «Une manière de changer la donne et d’instaurer un nouveau modèle de développement lié à l’exploitation du secteur forestier, soit un domaine d’activité à forte valeur ajoutée, hélas biaisé». L’ultime but étant de faire bénéficier les habitants des fruits de la valorisation du couvert forestier. Surtout que des études internationales, argue-t-il, ont bel et bien montré que le meilleur produit forestier à valoriser est celui qui existe en Tunisie, où 1,2 million d’hectares de nos forêts, abritant environ 10% de la population, sont exploités. Tout porte à croire que la distillation des plantes médicinales pour en extraire des huiles essentielles peut avoir une bonne part du marché international. Et effet, ce secteur forestier est en mesure de rapporter, à lui seul, le tiers du budget actuel de l’Etat, soit un rendement compétitif.
Pourtant, la bonne gestion a toujours fait défaut. «Et c’est le code forestier qui, en quelque sorte, légifère ces abus, de façon à ce que tout marché public soit conclu et cédé au plus offrant, sans tenir compte des intérêts des habitants», déplore-t-il. Ce régime forestier avait nourri les convoitises des lobbies et privé les habitants des dividendes de tout investissement. « Alors que ce sont eux qui, las de l’informel et de l’emploi précaire, peinent à travailler à faible rémunération, sans sécurité, ni protection sociale », s’indigne-t-il, indiquant que nos forêts sont restées des richesses oubliées. Pourtant, elles sont de nature à générer autant des revenus. Plus jamais ces manœuvres d’usurpation, dit-il. « C’est pourquoi on a demandé aux habitants locaux de s’organiser dans cette initiative citoyenne nouvellement appelée société communautaire locale dont le mini-capital est de 10 mille dinars», conclut M. Abbès, sur un ton résolument optimiste pour l’avenir de ce créneau.
Le suivi et l’accompagnement !
Initiative qui rime avec l’économie sociale et solidaire, basée sur une gouvernance collégiale, et dont les actionnaires se partagent, à égalité, les bénéfices. Que valent, en ces termes, plus de quatre hectares de superficie boisée, à Om Labouab, entièrement destinés à la distillation des plantes médicinales (romarin, caroubiers, pins et lentisques..) ? Certes, notre potentiel forestier se taille une infime part de marché à l’échelle internationale, mais la valorisation de ces plantes fait, désormais, recette. Le délégué régional de l’artisanat à Zaghouan, Sofiène Garbouj, a insisté, ici, sur le besoin de l’information et la sensibilisation quant à l’apport financier considérable que fournit une telle activité. Ses vertus médicales et phytothérapeutiques ne sont plus à démontrer, tant il est vrai que l’OMS en a recommandé, en 2014, l’utilisation pour la santé et dans l’agroalimentaire. De simples chiffres pour savoir leur valeur marchande à l’échelle internationale : «En 2012, leur prix de vente était de 30 milliards euros, puis il a doublé en 2017 pour dépasser 67 milliards d’euros. En 2050, il sera multiplié par dix, à hauteur de 500 milliards euros », selon les statistiques de la Banque mondiale. Soit d’énormes opportunités d’investissement dont on ne devrait pas se passer. « En Tunisie, nos exportations dans ce domaine ne nous rapportent que 33 millions de dinars, soit une faible part de marché estimée à 0, 00014M% », compare M. Garbouj, insistant sur le suivi et l’accompagnement de cette nouvelle société.