Accueil A la une 1er Juin 1955 | Le jour de communion de tout un peuple avec son leader

1er Juin 1955 | Le jour de communion de tout un peuple avec son leader

Par le Colonel Boubaker BENKRAIEM*

La mauvaise gouvernance, l’excès d’endettement, l’incapacité de remboursement de ces dettes et le sous-développement économique et social ont été les principaux facteurs et causes de la colonisation, sous une forme ou une autre, des trois pays du maghreb (l’Algérie, la Tunisie et le Maroc) respectivement en 1830, 1881 et 1912. Mais cette situation n’a jamais été acceptée par le peuple maghrébin et à plusieurs reprises, des soulèvements, des manifestations et des protestations ont été organisés par la population. Cet état de fait qui a duré des décennies, déboucha, en Tunisie, sur des rebellions, des révoltes et la création d’organisations d’agitation et de contestations dont quelques partis politiques. C’est suite à cela que monsieur Habib BOURGUIBA, a passé une bonne partie de sa vie à lutter contre le colonialisme, son objectif étant l’indépendance de la Tunisie, sous protectorat français depuis 1881.

En adhérant au parti Destour créé dans les années 20 du siècle dernier, et n’ayant, surtout pas, apprécié ni les tergiversations du Comité Directeur, ni la méthode préconisée pour atteindre cet objectif , il décida de créer un autre parti politique qui garderait la même appellation° Destour° en y ajoutant le préfixe °néo° parce que le mot ° Destour° en arabe signifie ° Constitution°, ce vœu et ce souhait tant désirés et rêvés par le peuple tunisien pour lesquels de nombreux concitoyens ont sacrifié leur vie car, ce mot signifie, en politique, indépendance et liberté.

En créant le parti politique du Néo-Destour, en 1934, Bourguiba a voulu mobiliser tout le peuple tunisien dans le but d’atteindre cet objectif. C’est ce qui lui a valu des années de brimades, d’arrestations, de déportations, d’emprisonnements et même d’exil. Tout cela ne l’a pas découragé et il a tenu bon. Aussi, l’activité néo-destourienne se développait rapidement et prenait une ampleur inquiétante pour le Protectorat. Le Résident Général français Peyrouton crut, après la crise et le choc créés par les événements d’avril 1938, pouvoir la briser en frappant à la tête : Bourguiba et ses camarades furent internés à Bordj-le-Bœuf, devenu, à l’indépendance, Bordj Bourguiba, dans les confins sahariens (septembre 1934-36). De ce fait, l’activité néo-destourienne se développait rapidement et prenait une ampleur inquiétante pour le Protectorat.

Et ce fut, bien au contraire, la consécration définitive du parti et de son chef. Bourguiba, dans son lointain exil, incarnait désormais, pour le peuple tunisien, la conscience nationale aux prises avec les forces de la domination. Et il n’a jamais abandonné son combat, croyant, à juste titre, qu’il était dans son droit.

Le Chef du Néo-Destour fut transféré avec ses camarades au Haut-Fort Saint-Nicolas à Marseille (27 mai 1940), puis au Fort Montluc à Lyon et enfin au Fort de Vancia dans l’Ain.

Bourguiba connut la prison civile, les bagnes du Sud et les pénitenciers du Nord, les forts militaires à la fois en Tunisie et en France. Il eut à souffrir tour à tour de la chaleur du Sahara, et de l’humidité de la petite île de la Galite au nord de la Tunisie. Il fut même incarcéré, pendant les premières années de lutte du parti du Néo-Destour, et durant la Seconde Guerre mondiale.

Durant la seconde guerre mondiale et alors qu’il était incarcéré en France et apprenant que les tunisiens avaient pris faits et causes et surtout sympathie pour les forces de l’axe (Allemagne, Italie, Japon), Bourguiba adressa, de sa prison du Fort St Nicolas à Marseille (1940-1942), au Dr Habib Thameur, membre du Bureau Politique du Néo-Destour, la fameuse lettre devenue célèbre et historique, lui intimant l’ordre de faire en sorte que le peuple tunisien soit du bon côté et soutienne les Forces Alliés ( France, Angleterre et USA) pour être du côté des vainqueurs à la fin de la guerre. Les américains n’ont jamais oublié cette prise de position courageuse de la part de ce grand visionnaire que fut Bourguiba. D’ailleurs, l’accueil populaire exceptionnel qui lui a été réservé, à New York, lors de sa première visite aux Etats-Unis en 1961, à l’invitation du Président Kennedy, en est la meilleure démonstration de la considération et de l’estime dont bénéficiait le président Bourguiba aux USA. D’ailleurs, le président Kennedy le présenta aux deux chambres réunies en le qualifiant du Washington tunisien ».
Aussi, les épisodes de Bordj-Lebœuf (1934-36), du Fort Saint-Nicolas (1940-42) et de la Galite (1952-55) sont des expériences du déplacement, de l’enfermement et de l’isolement, sous différents régimes juridiques, et dans différents contextes politiques et géographiques. Aussi, s’est-il préparé, moralement, à subir autant de périodes de captivité et d’exil. Et c’est ce qu’il a déclaré le 20 novembre 1934 à Bordj Leboeuf « Car je suis convaincu depuis quelques jours que notre exil durera encore longtemps », et pour confirmer, quelques années plus tard, alors qu’il était à la prison militaire de Tunis en juillet 1938 « L’essentiel pour nous est beaucoup moins d’échapper à la prison que de ménager l’avenir ».
Mais malgré ces difficultés et ces peines, Bourguiba n’a ni faibli, ni changé ses aspirations et ses objectifs, représentés par la fin du joug du colonialisme et l’arrivée à l’indépendance de la Tunisie.

Devant les nombreuses manifestations politiques contre le colonialisme français organisées dans tout le pays, manifestations appuyées par de nombreuses actions de protestations, souvent pénibles et douloureuses, Bourguiba est arrêté, pour la dernière fois, le 18 janvier 1952 et éloigné à Tabarka. Le 26 mars, il était transféré à Rémada. Il était ensuite interné dans l’île de La Galite où il devait passer deux années dans un complet isolement. Devant le durcissement du comportement des autorités françaises, les manifestations pacifiques se sont transformées en opérations de guérilla. Et de nouveau, Bourguiba est transféré, en mai 1954, en France à l’île de Groix, puis au château de la Ferté, à Emily ; enfin en résidence surveillée à Paris tout près des négociateurs tunisiens qui s’entretenaient avec leurs vis à vis français, à propos de l’autonomie.

Les conventions de l’autonomie interne sont signées à l’hôtel de Matignon le 3 juin 1955 et entrent en vigueur le 28 août de la même année. Les pourparlers ouvrent la porte au retour de Habib Bourguiba dans son pays natal après plus d’un an d’exil forcé en France.

Habib Bourguiba débarque à La Goulette le 1er juin au bord du paquebot Ville d’Alger, suivi par une nuée d’embarcations hétéroclites arborant fièrement le drapeau national. Sur le port, une marée humaine attend impatiemment le leader du Néo-Destour. Vêtu d’un costume européen, mais coiffé d’un fez, Bourguiba agite un mouchoir blanc à l’adresse de la foule enthousiaste, venue des quatre coins du pays. L’ambiance est à la communion nationale, comme le montre la présence des grands acteurs de la lutte pour l’Indépendance : scouts, syndicalistes de l’UGTT, mouvements de jeunesse, responsables du Néo-destour, membres du gouvernement, etc…..

La population, venant de toutes les régions du pays, lui fit un accueil triomphal et historique que la Tunisie n’a jamais connu de pareil : en camions, en motos, en voitures, toutes les régions tunisiennes étaient représentées avec leurs différentes spécificités et moyens de transport : à pieds, à cheval, en motos, en camions, en voitures, en cars et en autobus, non seulement le port de la Goulette était archicomble de monde mais toute la banlieue nord et la capitale où des milliers et des dizaines de milliers de personnes sont arrivées, de l’intérieur du pays, par trains et par cars ont fait que la circulation, même piétonne, entre Tunis et sa banlieue nord, était difficile et parfois impossible.

Motards, cavaliers Zlass et méharistes se côtoient dans le cortège qui accompagne Bourguiba jusqu’au palais de Carthage. L’accueil du « combattant suprême » par Lamine Bey frappe par la joyeuse cohue qui règne dans la salle du trône. Nous sommes très loin des cérémonies guindées durant lesquelles le Bey reçoit l’hommage empressé des ministres ou des courtisans. Point de baisemain ici, les deux hommes échangent une accolade. Au milieu d’un groupe enjoué, Bourguiba se tient aux côtés du Bey, en égal. De fait, l’accueil triomphal du peuple tunisien place le leader du Néo-Destour en position de force par rapport au Bey. Mais cette liesse populaire donne également à Bourguiba une légitimité par rapport à ses compagnons du Néo-Destour qui pourraient lui contester la représentation du mouvement national. Les tensions entre Bourguiba et Salah Ben Youssef sont, en effet, au plus vif depuis le protocole d’avril 1955.

À l’indépendance, le parti du Néo-Destour, proposa, au gouvernement, de considérer la date du retour du leader BOURGUIBA, le 1°juin 1955, comme une journée de Fête Nationale, avec l’appellation de ° Fête de la Victoire °. La proposition a été retenue et cette date a été commémorée, comme telle, durant 32 ans mais elle a été supprimée après le changement opéré, le 7 novembre 1987, par le président Zinelabidine Ben Ali. Ce fut une initiative négative car on ne doit pas minimiser certains grands évènements qui font partie de l’Histoire de notre pays.

Aussi, pour les jeunes et moins jeunes, pour ceux qui n’ont pas connu Bourguiba et pour ceux qui l’ont critiqué sans l’avoir connu, je vais essayer de leur présenter, un tant soit peu, et en quelques phrases, le président Bourguiba.
Mais qui est donc Habib BOURGUIBA, le combattant suprême ?

De tous les Hommes d’Etat d’une époque qui en connait de flamboyants ou d’abusifs, Habib BOURGUIBA est, probablement, celui dont le nom se confond le plus totalement avec la fondation et les premiers développements d’un État. Créateur de la première organisation qui posât avec sérieux le problème de l’indépendance, militant, chef de parti et d’insurrection, négociateur, prisonnier, libérateur du territoire, fondateur de l’Etat, « combattant suprême » et guide incontesté, il aura dominé de sa puissante personnalité, la vie du peuple tunisien et imprimé sa marque et sa pensée, pour le meilleur et pour le pire, sur le nouvel État.

Son origine le prédisposait à incarner la Tunisie moderne : il vient de la petite bourgeoisie rurale à demi ruinée par la concurrence de la colonisation, de cette région du Sahel. Son père, sans ressources, avait dû s’engager dans l’armée. Habib BOURGUIBA est né, officiellement, à Monastir en 1903, le 3 août, dernier d’une famille nombreuse. Avec l’aide pécuniaire de son frère ainé, il a pu faire des études sérieuses à Tunis au Collège Sadiki, foyer de culture franco-arabe et au Lycée Carnot, puis à Paris, à la Faculté de Droit et à l’École libre des sciences politiques ( 1924-27).


De retour à Tunis, nanti de diplômes, et profondément séduit par le système politique français et par toutes les libertés dont jouissent les français, il constata le cruel décalage entre les principes libéraux, base de l’enseignement qu’il a reçu à Paris, et la pratique quotidienne coloniale. Très vite, il milite au sein du « Destour » (parti libéral constitutionnel ) dont il découvre la vanité et l’inefficience.

Il lui faut donc transformer, rajeunir et muscler ce parti dont les chefs préfèrent plutôt les réunions de salons. Entouré d’un groupe de jeunes intellectuels, il provoque une dissidence et convoque, à Ksar Hellal, au Sahel, en 1934 , un congrès où est fondé le « Néo-Destour ». Le nouveau parti tranche sur l’ancien : il n’est plus aristocratique mais populaire ; il n’est plus exclusivement urbain, mais largement rural ; il n’est plus intégriste, refuse le « tout ou rien», et accepte la négociation avec le pouvoir colonial.

C’est ainsi qu’est née l’organisation qui restera longtemps le seul parti moderne
du monde arabe qui fera passer la société musulmane de l’âge théologique à l’âge politique, et le groupe oriental du style de la caravane conduite par le « zaim» prophétique à celui de l’organisation de masse appuyant le leader politique.

De son œuvre gigantesque, l’Histoire retiendra, et indépendamment, des erreurs commises dont certaines étaient importantes, qu’il a été :
1-Le Fondateur de l’Etat Tunisien moderne ;
2-L’Emancipateur de la Femme avec la promulgation, dès 1956, du Code du Statut Personnel, unique dans le monde musulman ;
3-Et celui qui a généralisé l’enseignement qui deviendra obligatoire pour les garçons comme pour les filles et gratuit pour tous.
Et ce qui le grandit encore plus, c’est qu’il n’a jamais accordé d’importance à l’argent, ce qui fait qu’il n’a laissé ni comptes bancaires bien garnis ni enTunisie, ni à l’étranger et ni palais, ni villas somptueuses ou domaines privés. Il a même ordonné à son fils de vendre la villa qu’il s’est fait construire non loin de l’hôtel « Hilton », grâce à un prêt bancaire pour que le peuple tunisien ne pense pas qu’il a profité, de la position de son père, pour obtenir pareil prêt. Ainsi fut BOURGUIBA, le Combattant suprême.
Si un jour un Panthéon international serait créé, par l’ONU ou tout autre organisme international, pour les Grands Chefs d’Etat des temps modernes méritants, je pense que Bourguiba y figurerait en très bonne place avec les Ghandi, Lenine, George Washington, Bolivar, Nehru, de Gaulle, Mandela, , Staline, Kamel Ataturk, Kennedy, Abdennaceur, Ibn Saoud, Senghor, Houphoët Boigny, et tant d’autres.
Que Dieu veille et protège la Tunisie Eternelle, l’héritière de Kairouan et de Carthage.

*Ancien Sous Chef d’État Major de l’Armée de Terre et Ancien Gouverneur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Un commentaire

  1. Dr. E. Moudoud

    31 mai 2023 à 21:27

    QUE DIEU VOUS GARDE MON COLONEL. FILS DE MAAKEL EZZAIM…JE DIS QUE VOTRE ‘TÉMOIGNAGE’ …HONNÊTE ET TRÉS BIEN ‘DOCUMENTÉ’ EST UN HONNEUR À LA MÉMOIRE DE SI LAHBIB QUI A TOUT DONNÉ À NOTRE PATRIE…NÉ PAUVRE ET …MORT PAUVRE…SI LAHBIB COMME ON L’APPELLE TOUJOURS À ‘RABAHT EL-GHALEM’…’PLACE DES MOUTONS’…DÉTESTAIT L’ARGENT COMME DE GAULLE…ALORS QU’IL AURAIT PU…TOUT L’ARGENT QU’IL VOULAIT…EN SUISSE OU À PANAMA…COMME VOUS DITES SI BIEN, IL A MÊME ‘FAIT VENDRE’ SA MAISON À NOTRE BIBI…SON FILS…POUR COUPER L’HERBE À TOUTES LES ‘ACCUSATIONS HAINEUSES’…. ANTI-TUNISIENNES’ DE L’ÉPOQUE. FIER D’ÊTRE TUNISIEN…DE ‘MAAKEL EZZAIM’…

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