Danse avec les loups

Editorial La Presse

 

Pour un système qui ne roule que dans l’intérêt des entreprises transnationales, le commerce c’est la guerre. En effet, la libéralisation aussi complète que possible du marché mondial, credo des institutions de Brettons-Wood (FMI et Banque mondiale), est semblable à une pluie d’or qui déverse ses bienfaits sur les multinationales mais détruit l’humanité. Dans ce registre où la Tunisie multiplie les manœuvres, soit pour reporter la mise en œuvre des réformes envisagées ou de les contourner à travers d’autres mécanismes plus innovants, cela s’apparente à une danse avec les loups.

En effet, le Chef de l’Etat, conscient des effets pervers d’une levée de la subvention et de son démantèlement même progressif sur les équilibres sociaux du pays, a envisagé  la possibilité d’imposer des taxes supplémentaires sur les «personnes qui tirent profit illégalement de la subvention de plusieurs produits et ce, sans attendre des directives de l’étranger dans ce sens».  Il a, à cet effet, réaffirmé au Président Macron, lors d’un entretien téléphonique, que «la paix sociale n’a pas de prix». On se souvient des émeutes du pain en Tunisie en 1984, et des émeutes de la faim que de la flambée des prix des produits agricoles en 2008 a provoquées à Jakarta, au Caire, à Dakar, à La Paz, mais aussi de la crise du lait dans les pays du Nord, braquant le projecteur sur des agriculteurs de plus en plus mal lotis. Ces crises conjoncturelles, qui s’inscrivent dans la lignée des recommandations du FMI pour alléger le fardeau des Etats en levant les subventions, sont venues amplifier un problème d’alimentation mondiale beaucoup plus structurel. Faut-il le rappeler, aujourd’hui dans le monde, près d’un milliard de personnes sont sous-alimentées de façon permanente, avec tout ce que cet état comporte de souffrance et d’atteinte à la dignité humaine. L’histoire est pleine d’enseignements que les experts du FMI ne leur accordent qu’une attention distraite lors de dégâts particulièrement «visibles» à l’instar de ceux qui sont occasionnés par les émeutes populaires. Cela dit, l’obsession du profit, la cupidité illimitée des oligarchies prédatrices du capital financier globalisé l’emportent sur tout autre considération. Tout, de la terre à l’eau, en passant par les produits agricoles, la santé et les droits humains, est intimement lié aux principes sauvages du libre-échange. A l’heure où la richesse est pour les privés et le fardeau est pour l’Etat, il est temps de trouver d’autres voies pour la protection sociale, le progrès et le développement. Parmi ces solutions se trouve la justice fiscale : celle de faire payer plus de taxes à ceux qui profitent injustement de la compensation. Car ce qui était possible en 1945, lors de la création de la caisse de compensation, en Tunisie, est aujourd’hui une nécessité absolue pour ne pas dormir dans la tanière des loups.

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