Le recyclage des déchets plastiques est une filière robuste. Basé sur Ecolef, un système de reprise et de valorisation des emballages usagés, subventionné par l’Etat, la filière a fait ses preuves. Mais le contexte environnemental actuel de la Tunisie exige une mise à niveau des réglementations et des lois qui régissent ce secteur. L’Agence nationale de gestion des déchets (Anged) s’est penchée sur la question et œuvre à l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour instaurer la responsabilité élargie du producteur (REP). Walim Merdassi, expert en gestion des déchets, nous donne de plus amples détails sur ce sujet.
Pourriez-vous dresser un état des lieux de la filière du recyclage des déchets?
En Tunisie, on produit 2,8 millions de tonnes de déchets chaque année. Pour le traitement des déchets ménagers, il existe 11 unités d’enfouissement technique et 60 centres de transfert, quant aux déchets industriels, ils sont transportés directement vers les décharges, et donc, là la chaîne manque de maillons, en l’occurrence le tri et le recyclage. La présence du secteur informel est forte parce qu’il y a toujours des déchets valorisables, qui vont directement à l’enfouissement. Ce sont les «barbechas» qui interviennent lors du transport des déchets et au niveau des unités d’enfouissement technique, pour récupérer les déchets plastiques, aluminium et de métaux non ferreux et les revendre, par la suite, aux recycleurs.
A vrai dire, la Tunisie dispose d’un secteur de recyclage fort qui s’est développé au cours des dernières décennies avec la mise en place de plusieurs unités de recyclage de plastique. Cependant, cette filière souffre de l’instabilité des prix. D’ailleurs, c’est ce qui s’est passé, récemment, avec les recycleurs quand les prix du carburant et des bouteilles plastiques ont baissé. La gestion des déchets plastiques est organisée selon un système de récupération des emballages, axé surtout sur les bouteilles plastiques et les canettes en aluminium, baptisé Ecolef qui est mis en place et subventionné par l’Etat et géré par l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged). Selon ce système, les acteurs de la filière en amont, en l’occurrence les «barbechas » et les unités de collecte agréées par l’Etat, collectent les déchets et les vendent à des points Ecolef, avec une certaine marge bénéficiaire, et ce, dans l’objectif d’encourager la filière. Ensuite, la matière collectée sera revendue à des recycleurs à un prix plus bas et cette différence est prise en charge par l’Anged.
Il faut, cependant, noter que les plastiques ménagers, qui représentent 9,4% des déchets ménagers, ne sont pas tous recyclables. Une partie seulement peut être récupérée et vendue aux recycleurs. Quant aux plastiques industriels, ils sont gérés par des sociétés qui assurent le transport, le tri et le recyclage mais malheureusement, pour cette catégorie de matériau, la réglementation n’est pas encore mise à jour en matière de tri et de réduction de déchets avant enfouissement. Il faut passer à l’action, et interdire l’enfouissement direct des déchets issus des chutes de production industrielles.
Actuellement, la Tunisie, via l’Anged, est en train de préparer une nouvelle stratégie relative à la récupération des emballages à travers l’instauration de la responsabilité élargie du producteur (REP). Selon ce concept, le producteur doit être responsable de la récupération des emballages qu’il produit. Il faut noter qu’en Tunisie, il y a des types d’emballage qui ne sont pas recyclables, tels que les emballages pour lait. Malheureusement, nous sommes un des plus grands utilisateurs d’emballage de lait au monde, ce qui pose un vrai problème puisque toute cette quantité de déchets non recyclables va finir dans les sites d’enfouissement.
Aujourd’hui, c’est le moment ou jamais pour que cette industrie bascule vers des emballages recyclables, grâce à des lois et un cadre réglementaire favorisant l’utilisation de nouveaux types d’emballage. Et c’est d’ailleurs pareil pour la réduction des déchets plastiques qui doit passer par l’interdiction non seulement des sacs plastiques mais aussi des bouteilles. Il faut veiller à l’application de ces mesures, car en prenant l’exemple du secteur hôtelier, on voit que même des hôtels 5 étoiles continuent de faire une entorse à la loi interdisant l’utilisation des bouteilles en plastique. J’espère qu’avec ce genre d’actions on arrivera à réduire l’utilisation des emballages plastiques.
La filière de recyclage a-t-elle, alors, atteint ses limites ?
Il s’agit d’une des anciennes filières. Avoir une filière organisée est une fierté pour la Tunisie. Malheureusement, il faut l’adapter et l’améliorer. C’est pour cela que l’Anged travaille de concert avec la GIZ pour trouver de nouvelles solutions parce que le secteur informel continue de gagner en ampleur. Il faut passer à un système amélioré et surtout adapté au contexte tunisien.
Vous venez de présider un événement d’envergure internationale “Waste To Resource” qui a traité de la question de gestion et traitement des déchets. Quelles sont les principales recommandations qui ont été émises lors de cet événement?
“Waste To Resource” est un événement allemand qui s’est tenu, cette année, pour la première fois en dehors de l’Allemagne. La Tunisie a été choisie comme pays hôte de l’événement qui a vu la participation de plusieurs experts venant de différents pays, y compris des représentants du ministère de l’Environnement allemand. En somme, la rencontre a réuni 120 experts regroupés dans des unités de réflexion de haute facture qui ont permis de débattre et d’évaluer des projets menés dans divers pays. A la fin de ce conclave, des recommandations ont été consignées pour renforcer les réflexions sur la gestion des déchets en Tunisie.
Les experts ont passé en revue les retours d’expérience sur la Responsabilité élargie du Producteur (REP), le traitement des déchets… et maintenant on sait comment on peut passer à l’action surtout en matière de valorisation des déchets. On a vu comment on peut avoir la meilleure solution de traitement, optimiser le coût de ces technologies, comment se servir du PPP qui malheureusement fait l’objet en Tunisie d’un blocage administratif. Par exemple, les expériences qui ont été menées à Amman, au Maroc et en Egypte et qui ont abouti à l’éradication des sacs plastiques peuvent, être en ce sens des exemples éloquents de la réussite des stratégies mises en place dans ce secteur. Plusieurs pays qui nous ressemblent ont passé à l’action et ont gagné cette bataille. Il faut se comparer à ces pays et il faut mettre en place un système de responsabilité élargie du producteur. Les recommandations proposent également le recours aux technologies innovantes pour le traitement des déchets, en l’occurrence le traitement mécano biologique comme solution idoine aux problèmes de gestion des déchets. Maintenant, il faut réfléchir sur les moyens et les méthodes d’application de cette technique surtout que nous manquons en Tunisie de projets pilotes. Ce qui ne nous donne pas un choix d’évaluation. Nous manquons aussi cruellement de données. Il faut lancer un projet pilote et voir ce que cela va donner. S’il réussit, on peut dupliquer l’expérience et la généraliser à condition que la mise en œuvre soit assistée et accompagnée par des organismes académiques et des entités de recherche.