Accueil Culture Exposition méditerranéenne «Au-delà des structures»— Sidi bou saïd (du 22 juin au 30 juillet 2023):

Exposition méditerranéenne «Au-delà des structures»— Sidi bou saïd (du 22 juin au 30 juillet 2023):

Par Amel BOUSLAMA 

D’emblée, on pense qu’au-delà de la structure, existe l’âme, l’essence, la quintessence. Il s’agirait de la sève qui circule à travers l’arbre, cette énergie invisible à l’œil nu, circulant parmi et à l’intérieur de la charpente du vivant. C’est l’élan de l’amour qui se projette vers l’avant… En l’occurrence, la phrase d’Antoine de Saint-Exupéry sur ce qui est invisible aux yeux dans «Le Petit Prince», mise en exergue dans le texte présentateur de l’exposition, résume le propos de cette exposition collective «Au-delà des structures», organisée par la Docteure en histoire de l’art et la curatrice tunisienne Khadija Hamdi.

Au cours de la promenade parmi les œuvres de chacun des sept artistes dont les œuvres sont exposées, on découvre petit à petit la pensée de ce qui va plus loin que la forme reconnue et la structure communément admise. Il est temps d’admettre que l’époque du fameux architecte catalan, Antoni Gaudi, qui mêlait, dans ses grands bâtiments, des formes organiques empruntées à la nature, est bel et bien révolue. Aujourd’hui, on est amené à reconsidérer notre rapport à l’habitat et à l’urbanisation, non en nous contentant de reproduire formellement des éléments naturels. Dans une optique de respect de l’environnement, l’actuelle tendance architecturale adopte une démarche opposée. Elle se base de l’intérieur sur les valeurs prônées de la nature, dans laquelle l’habitat est présent avec des proportions réduites par rapport à une nature prégnante. 

Les formes florales aux proportions démesurées et aux couleurs vives de la trentenaire espagnole Sara Bonache s’offrent avec délicatesse au regard, attendant avec patience leur fertilisation par les abeilles de la Tunisienne quadragénaire Chahrazed Fekih. Telle est la lecture qu’en fait la curatrice en sélectionnant ses œuvres. Khadija Hamdi n’entend pas grouper les artistes parce qu’ils ont seulement en commun la même thématique, mais plus encore pour les faire dialoguer, se compléter et s’interagir à l’occasion, afin qu’ensuite émergent de surprenantes révélations artistiques. Ceci découle d’un grand projet entamé entre l’Espagne et la Tunisie. Tout un programme curatorial se prépare au Violon bleu Gallery qui vise l’organisation de projets d’expositions, de conférences et d’échanges bipartites dans le domaine élargi de l’art.

En revanche, l’œuvre ne se crée pas uniquement dans l’atelier, mais continue de se transformer au cours de son parcours par la manière dont elle occupe l’espace dans la galerie et au contact des émotions éprouvées par les visiteurs. Selon son propre terme, Khadija Hamdi entend et tente de faire «polliniser» les travaux des artistes mis côte à côte et face à face ! Suite à ce choix et cette mise en situation, on ne sait jamais ce qu’il peut s’y accomplir comme heureuses connexions et naître comme lectures dans le regard et l’émotion du récepteur. L’exemple d’interactivité mise en place grâce au groupement des différentes œuvres dans le lieu de l’exposition, est une posture réfléchie.

Ainsi voit-on l’abeille de Chahrazed Fekih, contente de voguer dans un espace occupé par des fleurs, car ces dernières donnent intérêt à leur existence et justifie leur présence et vice versa. Les fleurs en état d’éclosion n’ont pas d’intérêt si elles n’attirent pas les abeilles ! El les abeilles ne vivent pas sans les fleurs ! Sa libellule rouge aussi pourrait, imaginairement parlant, chasser les moustiques et empêcher que ces derniers abîment les fleurs et donc protège-t-elle les fleurs de l’espagnole Sara Bonache ? Nous voilà vivre sur la planète du «Petit Prince» de Saint-Exupéry qui se préoccupait dans son récit du bien-être de sa fleur unique au monde !

L’embarquement sur les ailes de la rêverie et du rêve se poursuit lorsqu’on s’imagine habiter l’une des petites maisons de l’Espagnol Marc Herrero baignant dans un réseau de branchage ou de l’Italien Bruno Marrapodi qui dessine par le truchement de signes calligraphiques des sortes de huttes à la manière des ancêtres. Toutes ces connectivités qui atteignent l’imaginaire du spectateur font partie forcément de la réalité, puisqu’elles existent dans les opérations possibles du cerveau humain. En conséquence, on peut passer à l’action par la réalisation de nos rêves en les appliquant dans le vécu, car tout projet commence par être rêvé. Au-delà de la structure géométrique, la nature organique domine dans cette superbe exposition. Pour qui donne mesure à la vie sur terre, le règne de Mère Nature n’a pas d’égal. Elle est ce rappel qui nous enseigne nos conduites humaines d’entraide, d’harmonie, de tranquillité, de sérénité, d’humilité… Entre les arbres, il n’existe ni concurrence, ni jalousie, ni méfiance, ni idéologie, ni égoïsme… Dans cette tendance écologique pure, le dessin organique domine la géométrie des lignes des maisons chez les quadragénaires barcelonais Marc Herrero et le milanais Bruno Marrapodi.

Chez ce dernier, dans une approche mystique, même les maisons ont des murs organiques empruntés aux éléments naturels.

Dans le même sillage et en les complétant, la Tunisienne trentenaire Asma Ben Aissa teint son tissu et brode ses arcs et ses petites maisons sur un fond de verdure où domine une atmosphère forestière. Entre le fil rouge géométrique brodé et les touffes de feuillages verdâtre, le contraste chromatique des complémentaires résonne d’harmonie de toutes les couleurs. Dans les œuvres exécutées au stylo à bille bleu, à partir d’ingénieux tracés fins et serrés, se déploient des formes modelées en clair-obscur de la trentenaire tunisienne Safa Attyaoui. Une ouverture rectangulaire est parcourue par un entremêlement lyrique de branches et d’oiseaux. S’étalent parmi ces entrelacs végétaux de larges ailes d’oiseaux au pelage si fin et si doux, offrant à la vue une parcelle d’un jardin paradisiaque. Quant à la Tunisienne trentenaire Hela Lamine, elle va encore plus loin en imaginant accomplir des mutations entre l’humain et le végétal. Elle tente, pour ainsi dire, des greffes entre les deux ordres et on peut constater avec surprise que ceux-ci prennent en feuilles végétales et en fleurs ! À l’exemple de l’arbre qui veille au respect et au bien de ses voisins de la même espèce, dans l’aquarelle de Hela Lamine qui figure un couple d’humain-arbre, des tiges et des branches les lient pour traduire combien nous sommes nécessaires les uns aux autres. Il n’y a qu’à voir le phénomène du rhizome, lequel dit long sur cette valeur que nous les humains devrons adopter. C’est ce que semble vouloir dire l’artiste.

Cette exposition collective de haute teneur, tant imprégnée de poésie par les qualités sensibles des couleurs employées, de traits tracés, de fils cousus et de papiers découpés, ouvre une brèche pour une méditation sur nous-mêmes ainsi que notre rapport au monde. Elle pousse à nous pencher sur ces êtres vivants silencieux que sont les arbres, les insectes, les fleurs, les pierres et toutes sortes de plantes. Dans ces fictions artistiques qui sont les vingt œuvres exposées, il n’y a pas de place ni à la fixité, ni à la froideur, ni à la sécheresse, parce que les notions de fertilisation, de greffe, de connexion agissent et génèrent des effets de transformation, de dialogue, de complémentarité et de bien-être. Et comme l’exprime si bien la plume de la talentueuse et dynamique curatrice Khadija Hamdi dans son texte de présentation, il est question de l’expérience d’un «Retour à soi et à l’essentiel» et «… d’inviter le spectateur à se connecter à son propre espace intérieur et à réfléchir à sa relation avec l’espace qui l’entoure».

A.B.

*Le Violon bleu gallery, 16, Rue de la gare, 2026 Sidi Bou Saïd. Tunisie

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