Des décisions assez controversées et fort discutables ont été prises par des commissions censées veiller sur la bonne application des règlements et traiter toutes les équipes sur un pied d’égalité
On commence à comprendre pourquoi certains clubs empruntent le chemin difficile et coûteux de Lausanne et font confiance au TAS pour réclamer une justice sportive dont les organes juridictionnels nationaux, supposés pourtant indépendants, ne sont plus garants. Mais sur les plus de 270 clubs pros et amateurs, combien sont-ils en mesure de pouvoir le faire ? Ils se comptent, à coup sûr, sur les doigts de la main, tellement le coût financier d’un tel recours est énorme. Pour les autres clubs démunis, incapables de recourir au Tribunal arbitral du sport suisse, les verdicts de la Cour nationale d’appel, en deuxième instance, sont définitifs. Cette justice à deux vitesses, c’est l’une des zones d’ombre qui ont noirci le tableau de la saison qui vient de s’écouler mais qui n’a pas encore connu son vrai épilogue concernant la rétrogradation dans l’attente de connaître la sentence du TAS dans l’affaire du Croissant Sportif chebbien. La date du démarrage de la saison 2023 / 2024 a été fixée au 19 août sans que le système du championnat ( renouvellement de l’expérience de deux poules de 16 équipes ou choix d’une poule unique de 14 clubs) ne soit fixé. C’est la méthode de la charrue avant les bœufs ! C’est pourquoi l’un des chapitres piliers du projet de loi des instances sportives portera sur la création d’un Comité national d’arbitrage du sport qui sera un organisme juridictionnel indépendant de troisième et dernière instance qui donnera aux clubs lésés en appel la possibilité de réclamer justice par un simple pourvoi en cassation. C’est vrai que l’ancien Cnas a été «mis au placard» par les clubs lors d’une assemblée générale souveraine, mais il faut reconnaître aussi que le Bureau fédéral de Wadie Jary a vu d’un bon œil cette décision pour assurer un contrôle continu et une mainmise totale sur les commissions des règlements de première instance des ligues et sur la Commision nationale d’appel.
Une indépendance de façade
Certes, les membres de la Commission nationale d’appel sont élus par l’assemblée générale des clubs soi-disant pour leur donner une grande marge de neutralité et d’indépendance dans l’exercice de leur tâche. Mais ça, c’est pour la vitrine et pour les apparences. Car dans les faits, ces membres sont au service du Bureau fédéral qui les a proposés et désignés pour être plébiscités et élus. Il est tout à fait normal qu’ils aient la plupart du temps les mains liées. Les consignes ou plus exactement les ordres sont clairs : pas de décision choc qui pourrait créer un tollé général ou avoir des répercussions sur le classement général ou bousculer la hiérarchie habituelle. Ces commissions doivent tergiverser, gagner du temps, faire «pourrir» les litiges dans les tiroirs et attendre de voir dans quelle direction le vent tourne favorablement pour se prononcer. Au point que, parfois, des verdicts ne sont plus d’aucune utilité et passent inaperçus après des mois de mise en attente. Deux exemples frappants illustrent cette stratégie du «wait and see».
Le premier cas est celui de l’appel interjeté par le CSS contre la décision de la LNFP de lui faire perdre sur le tapis son match gagné sur le terrain devant l’USBG pour «avoir fait participer en même temps 5 joueurs de nationalité étrangère». Cet appel était bien motivé par le paragraphe de la décision du 7 juillet 2022 qui stipule «que les anciens contrats des joueurs issus des pays de l’Unaf restent en vigueur, c’est-à-dire implicitement considérés comme joueurs assimilés à des joueurs locaux et donc pas étrangers. Devant la contradiction contenue dans la note circulaire du 7 juillet, l’appel du CSS avait de fortes chances d’aboutir, mais une telle décision aurait mis le Bureau Fédéral dans l’embarras. On a attendu que le CSS perde tout espoir et toute possibilité de figurer parmi les 4 premiers du championnat pour sortir du fond du tiroir un verdict laconique et amusant tout prêt : rejet de l’appel sur le fond et confirmation de la décision de la Ligue. Le second cas est celui de l’appel de l’ESS contre la décision du Bureau de la Ligue de sanctionner le joueur de l’EST Moatez Zaddem pour 4 matches suite à son acte «jugé simple bousculade» envers un officiel étoilé. L’Etoile a qualifié cet acte «d’agression» et demandé l’application de l’article 56 du Code disciplinaire et la perte du match par pénalité par l’Espérance. La Commission nationale d’appel a fait traîner le dossier jusqu’au 26 juin et ne s’est prononcée sur l’affaire qu’après la victoire de l’ESS sur le CA qui lui a assuré le titre de champion. Même verdict laconique et amusant : rejet de l’appel sur le fond et confirmation de la décision de la Ligue.
Le cas le plus polémique
La décision de la Commission nationale d’appel qui a fait couler beaucoup d’encre et surpris plus d’un est celle du 4 juillet qui a « blanchi» la participation frauduleuse à 5 matches du joueur du Sporting Club de Ben Arous, Slim Jdaîed, non rétabli dans ses droits pour ne pas avoir régularisé sa situation disciplinaire après cette participation sous le coup d’une sanction non purgée. Il a joué contre le CSHL le 1er avril, l’ASD le 26 avril, le SCM le 29 avril en situation irrégulière. Les clubs adverses, le CSHL et le SCM, n’ont pas introduit de réserves ou d’évocation de fraude à son sujet (Article 136 des RG, alinéa 2, joueur suspendu participant à un match). Dans ces deux cas d’absence de réclamation, ce joueur ne sera qualifié de nouveau qu’une fois ayant assaini son casier disciplinaire après sa comparution devant la Commission de discipline et de fair-play de la Ligue, suite à une demande écrite de son club. Une Commission qui lui inflige une sanction supplémentaire de trois (3 ) matches (Article 22 du Code disciplinaire) à la sanction initiale. Le SCBA n’a pas entrepris cette démarche obligatoire stipulée par l’article 22, ce qui a engendré le maintien de son joueur sous le coup de la suspension. Résultat : deux autres participations frauduleuses de ce joueur aux deux matches décisifs pour le maintien de son équipe (SCBA /EMM du 20 mai et CS Msaken /SCBA du 27 mai ). Le dernier club adverse, le CSM a introduit une évocation de fraude contre le SCBA. En première instance, le Bureau de ligue s’est dérobé et n’a pas eu le courage d’appliquer les règlements malgré l’infraction très grave qui crève les yeux et a confirmé le résultat acquis sur le terrain (victoire du SCBA). En appel, les membres de la Commission ont également fermé les yeux sur les éléments incriminants du dossier et la non-application des obligations de l’article 22 qui renvoie automatiquement à l’application des sanctions énoncées dans l’article 21 contre un club faisant participer un joueur suspendu un match, entre autres, la perte du match par pénalité. Même porte de sortie et verdict injuste: rejet de l’évocation du CSM sur le fond et confirmation de la décision de la Ligue (résultat acquis sur terrain même de manière frauduleuse). L’AS Djerba a été la victime directe de cette décision aussi louche que bizarre qui l’a condamnée à la rétrogradation, ce qui a faussé complètement la descente des clubs de la Ligue 2 en Ligue 3. Le pire, c’est que l’article 143 des règlements a donné à la Ligue et à la FTF le statut de parquet sportif qui leur autorise «une saisine d’office des cas de fraude qu’elles découvrent» sans que celles-ci usent de ce droit pour faire leur devoir de garant du respect de la régularité, de la transparence et de la crédibilité des compétitions. C’est très normal, en l’absence d’organes juridictionnels compétents, crédibles et indépendants, qu’il y ait chaque saison des affaires soumises au TAS.