La soirée double du samedi soir remet les pendules à l’heure d’un festival qui ne perd pas de vue sa ligne éditoriale. Le Festival international de Hammamet, lieu de culture, de découverte, de prise de risque et d’audace ouvre des sentiers dans le mainstream pour laisser la place aux nouvelles expressions. La musique n’est pas un pur produit du commercial et du banquable, elle est aussi une expression libre qui puise dans la recherche, l’ouverture. Entre Noura Mint Seymali et Nidhal Yahyaoui, le cœur chavire. Nous prenons racines et nous déployons des ailes vers des perspectives nouvelles d’une musique authentique, dont l’ancrage ne l’empêche pas de prendre des envolées aussi loin que possible.
La soirée a démarré avec Noura Mint Seymali avec son «Ardin» (un instrument principalement utilisé par les griottes mauritaniennes), accompagnée d’El Jeich Chighaly à la guitare, Ousmane Touré à la basse et Matthew Tinari à la batterie. D’emblée, elle nous entraîne dans un voyage singulier. Instrument, voix, style de jeu, style vestimentaire, tout était là pour nous garantir une immersion dans un univers chaud, aride, avec ses réalités et ses mirages. Noura griotte de génération en génération, elle sillonne le monde pour raconter une histoire. Une longue et éternelle histoire d’un peuple, d’une culture orale faite de chant, de musique et de contes. Elle puise dans l’héritage culturel du Sahara occidental, des griots de Mauritanie, les composantes d’une musique qui s’écoule, généreuse, abondante, féconde tout comme les grandes étendues de terre qui les abritent. Sa formation musicale est, dit-on, “une véritable tempête de sable” qui joue du rock en intégrant à l’ensemble des instruments de musique traditionnelle mauritanienne. Du rock, du groove et une musique savante ancestrale celle écrite par des aèdes et des poètes dans les joutes oratoires les plus émulatives. Et quand le mélange prend, il est certainement détonant, du genre à ébranler les gradins. La fusion s’intègre comme par enchantement, guitare et basse épousent les formes anciennes, donnent de la teneur et enveloppent une voix venue d’ailleurs. Belle, forte, charismatique et généreuse, elle déborde avec grâce et donne à voir le meilleur de ce qu’elle sait faire.
La suite de la soirée fut avec Nidhal Yahyaoui et son projet «Chemin des Hattaya» (Masreb El Hattaya).
Accompagné de Mustapha Ben Mansour à la machine (son électronique) et clavier, Moez Ben Rhouma, Badr Eddine Bouslimi et Skander Ben Ammou à la percussion, Mohamed Chebbi à la gasba et Mahdi Bahri à la guitare électrique, Nidhal sait comment mener son show. Depuis ses premiers projets, cet artiste explore des sentiers anciens, dépoussière un legs, tel un archéologue à la recherche d’une piste ensevelie, il y va à pas sûrs.
«Sur la route des Hattaya» est un chemin qui existe réellement emprunté par les Hattaya du Sud vers le Nord et vice-versa, mais celui choisi par Nidhal Yahyaoui reste un itinéraire musical. Chaque chanson est une porte vers une autre, articule un passage, prête le pas à celle qui suit, se place en contrepoint à celle qui précède.
Yahiaoui se définit par la musique tel un anthropologue qui cherche dans les entrailles de la terre les sonorités si familières mais à la fois si lointaines. C’est un voyageur, troubadour qui sillonne les routes à la recherche de la pièce qui lui murmure son enfance, son quartier, ses racines, ses plaines et ses montagnes.
D’un patrimoine marginalisé fourragé des profondeurs d’une terre, la forme se dessine. A cette première ossature, les couches se superposent avec habileté.
Une électro, enveloppante, fluide, puissante par moments discrètes par d’autres. La seconde est instrumentale acoustique avec une guitare qui sait s’accommoder avec l’âme de la chanson, se placer dans les endroits les plus retranchés pour apporter au plus haut la force et la fougue. Des interventions il y en avait, peut-être, un peu trop pour les âmes puritaines mais, à notre avis, ce travail minutieusement réfléchi a sorti «Hasreb el Hattaya» de la transcription et la reprise basique d’un patrimoine vers une appropriation consciente et moderne, en donnant sa propose lecture et version d’une mémoire collective. Car Nidhal Yahyaoui et ses collaborateurs savent réécrire sans dénaturer.