Benjamin Franklin a un jour déclaré : “Nul ne connaît la valeur de l’eau jusqu’à ce que les puits tarissent”.
Compte tenu de l’aggravation du phénomène des changements climatiques et de l’état de pénurie qui sévit dans le pays depuis des années, l’eau, en tant que ressource vitale pour la survie de l’être humain, reste un souci majeur important pour la population. Partant de ce constat, le Ftdes (Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux) a consacré, dans son dernier rapport semestriel sur la justice environnementale, quatre articles portant sur cette thématique. Le premier, intitulé «L’eau : quand le moteur de la vie devient le moteur des conflits», rédigé par Achraf Dkhili, met en lumière l’importance de l’eau en tant qu’élément vital et facteur géostratégique pouvant être à l’origine de conflits entre les pays ou de conflits internes entre les secteurs productifs.
L’eau, comme arme géostratégique
L’accès, l’approvisionnement et la distribution de l’eau sont des enjeux majeurs pour la Tunisie, comme pour tous les pays du monde, puisque la sécurité hydrique est indéniablement un pilier de la sécurité nationale et globale. Et à l’heure où de nombreux États, en particulier ceux de la zone Mena, sont ravagés par le stress hydrique, la concurrence étatique s’est accentuée pour l’approvisionnement en eau, entraînant ainsi des conflits hydriques. Ces phénomènes ont de multiples répercussions sur les différents domaines vitaux, notamment en Tunisie, où des divergences existent en matière de répartition inégale de l’eau. En effet, selon la Banque mondiale, l’eau est un élément clé dans l’agriculture, représentant environ 70% de la consommation mondiale de l’eau douce. De plus, la FAO prévoit une augmentation de 50% de ces besoins d’eau pour l’agriculture. “Dans les régions où les précipitations sont insuffisantes, l’irrigation constitue une alternative efficace visant à accroître le rendement, garantir une sécurité alimentaire plus durable et maximiser les gains. Cela est particulièrement important pour les économies qui dépendent principalement des activités agricoles, notamment celles des pays en voie de développement, comme c’est le cas de l’Inde, où l’agriculture représente 16.8% du PIB et de la Tunisie, où elle représente 10.1% du PIB national”, souligne le document. Idem dans le processus industriel de multiples secteurs, étant donné que l’eau joue ici un rôle important. En effet, au sein de l’industrie alimentaire, l’eau est utilisée fréquemment dans la composition de certains produits comme les boissons gazeuses, ainsi que pour l’entretien des équipements. De même, l’industrie minière fait usage de l’eau pour l’extraction et le traitement des minéraux. “En tant que préoccupation majeure des États, l’eau peut donc devenir un outil diplomatique efficace… En effet, les accords et les traités conclus autour de la question hydrique renforcent la coopération tant au niveau bilatéral que multilatéral puisqu’ils permettent d’initier des processus de négociation selon les impératifs et intérêts des différents pays. De ce fait, les enjeux liés à l’eau sont perçus comme des opportunités et des moyens de renforcer les relations diplomatiques. Les États sont en mesure de collaborer ensemble pour développer des projets de coopération dans le domaine des ressources hydrauliques et pour échanger les informations cruciales sur l’état actuel des ressources et les technologies capables de les préserver”, ajoute la même source.
Une denrée précieuse en péril
Dans un monde de plus en plus marqué par la technologie et l’industrialisation, d’énormes quantités d’eau sont nécessaires pour appuyer le rythme effréné de ces avancées. Néanmoins, cela a conduit l’humanité au guet-apens de la surexploitation. L’étude a cité l’exemple de l’industrie du textile, en particulier des jeans, qui est à ce sujet assez éloquent. La production d’un seul jean, en Tunisie, consomme 55 litres d’eau, sans prendre en compte la teinture et le délavage du tissu.
La pollution a également un impact remarquable sur la qualité et la disponibilité des ressources hydriques au fil des dernières années. Les déversements de produits chimiques, des produits agricoles périmés et des eaux usées non traitées ont contaminé les mers. Par ailleurs, la croissance rapide de la population mondiale, qui a atteint 8 milliards d’habitants en novembre 2022, constitue une menace et un enjeu majeur pour la disponibilité future de l’eau. La demande en eau connaîtra une hausse exponentielle, tandis que les ressources hydriques seront de plus en plus incertaines.
“Selon l’ONU, environ un quart des habitants de la Terre vit dans des régions confrontées à une pénurie absolue d’eau et environ 2.3 milliards de personnes vivent dans des conditions de stress hydrique, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La persistance de la hausse démographique doublée des flux migratoires grandissants pourrait aggraver ces chiffres et exercer une pression supplémentaire sur l’approvisionnement en eau et en denrées agricoles”, souligne le document, tout en ajoutant que la pénurie d’eau est étroitement liée au changement climatique et que l’interdépendance des États et leur puisement dans les mêmes cours d’eau ont abouti à des réserves mondiales d’eau sous haute pression, conduisant plusieurs États à déclarer état d’urgence hydrique.
Face à tous ces défis, la sécurité de l’eau est devenue un enjeu tant au niveau national qu’international pour plusieurs gouvernements. Par conséquent, des accords et des programmes de partenariat visant à assurer une bonne gestion de l’eau ont vu le jour, notamment dans les régions les plus exposées à la crise de l’eau. En contr—epartie, des différends ont éclaté autour des ressources hydriques, mettant la sécurité internationale en péril.
Le conflit hydrique sectoriel en Tunisie
Le document ajoute que la soif et l’insécurité alimentaire guettent la région Mena, au moment où le monde fait face actuellement à une crise d’eau inédite et que divers États rencontrent des difficultés grandissantes pour satisfaire les besoins de leurs populations vu la situation critique et la pénurie des ressources hydrauliques. En Tunisie, la rivalité autour de l’eau prend une autre dimension qui est celle de la concurrence sur la ressource entre les différents secteurs économiques pour lesquels l’eau constitue un moteur de développement. “Avec les effets tangibles du réchauffement climatique et l’utilisation croissante des ressources hydriques ces dernières années, l’exploitation de la nappe phréatique est passée de 92% en 2010 à 131% en 2016, sans qu’aucune stratégie de stockage des eaux des précipitations ne soit mise en place par le ministère de l’Agriculture”, souligne l’auteur du document. Par ailleurs, selon les multiples rapports issus du ministère de l’Agriculture, le volume des prélèvements de la part des secteurs économiques a dépassé les 2.785 milliards m3 en 2020. L’agriculture domine environ 84% de l’ensemble de la consommation d’eau, mobilisant seulement 5.1% des eaux traitées. Ces statistiques mettent en évidence le manque flagrant de la réutilisation des eaux usées traitées en Tunisie. Également, le rapport national du secteur de l’eau de 2020, issu du ministère de l’Agriculture, a indiqué que le volume de consommation de l’agriculture est de 2.722 Mm3. “L’exploitation intensive de l’eau exacerbe les tensions entre les besoins des principaux secteurs stratégiques, notamment ceux de l’industrie qui sont devenues de plus en plus importants. La répartition inégale des ressources est l’un des facteurs cruciaux du conflit sectoriel, et cela est largement dû à la mauvaise gouvernance d’eau en Tunisie, relative au manque de vision et de stratégie efficace pour l’allocation des ressources”, ajoute-t-il.