Le ralentissement de la croissance de l’économie tunisienne, sous fond de multiples contraintes liées aux différentes crises qui ont secoué le monde entier et de facteurs endogènes qui entravent toujours la reprise économique, s’inscrit dans la durée depuis le déclenchement de la révolution. Après la récession de 2011, la reprise de l’activité entrevue en 2012 s’est rapidement essoufflée.
En effet, d’une fourchette allant de 4 à 5% avant 2011, la croissance a chuté à 1% en 2016 et s’est établie à 2,5% en 2018. De ce fait, de nombreuses interrogations sur la croissance d’après 2011 se posent: l’affaiblissement de la croissance est-il transitoire ou permanent? Est-ce un problème de demande ou est-il plutôt structurel ? Quels sont les facteurs qui expliquent cet affaiblissement ?
Les indicateurs montrent que la croissance potentielle de l’économie a épousé une tendance baissière à partir de 2008, témoignant de faiblesses structurelles.
Après les événements de 2011 marqués par une croissance négative de-1,9%, la reprise a été perceptible en 2012, avec un taux de croissance du PIB (aux prix du marché) de 3,9 %. Par la suite, la croissance s’est affaiblie et a atteint son minimum en 2016 avec une moyenne annuelle de 1%. En 2017, elle s’est établie à 1,9%. En 2018, la croissance économique s’est légèrement accélérée et a bondi à 2,5%, rythme qui n’a pas été enregistré auparavant.
Facteurs conjoncturels du ralentissement
L’activité économique en Tunisie après 2011 a été affectée par le retournement de la conjoncture internationale marquée par un ralentissement de la croissance mondiale et une hausse des cours des principales matières premières, notamment le pétrole. Sur le plan national, le contexte économique est caractérisé par une instabilité politique et une dégradation de la situation sécuritaire qui ont suscité l’incertitude et l’attentisme des acteurs économiques.
Avant 2011, les moteurs de la croissance ont été essentiellement la consommation et, en second lieu, les investissements. Après 2011, seule la consommation (publique et privée) a été le véhicule de la croissance. L’investissement a, en revanche, fortement ralenti, subissant le contrecoup de l’insécurité et de l’instabilité politique. En 2017, la croissance du PIB aux prix du marché a été de 1,9%. La consommation a été la composante la plus déterminante avec une contribution à la croissance de 2,2 points, tandis que celle de l’investissement s’est chiffrée à 0,4. La contribution du solde extérieur, pour sa part, a été négative et a freiné la croissance de 0,5 point.
Les comptes extérieurs tunisiens se sont dégradés suite à une progression des importations à un rythme dépassant celui des exportations. Ainsi, le déficit commercial s’est creusé, passant de -13,2% du PIB en 2010 à -16,9% en 2014. Ce taux a été ramené à -16% du PIB en 2017. Cette situation traduit un problème de compétitivité de l’économie tunisienne. Pour redresser la croissance, une série de mesures devraient être mises en place, selon l’Itceq. Ces mesures devraient porter sur deux variables clés : l’investissement privé et la productivité globale des facteurs. En premier lieu, «il faudrait adopter des mesures pour promouvoir l’investissement, en créant un climat propice et en adoptant des politiques incitatives pour l’investissement. Il s’agit de lever les contraintes réglementaires, administratives et de financement que rencontrent les entreprises. De meilleures performances logistiques et la facilitation du commerce extérieur devraient permettre d’attirer plus d’investissement étranger et de progresser davantage dans les chaînes de valeur mondiales. Ensuite, les efforts déployés dans le cadre de la stabilisation macroéconomique doivent être poursuivis».
En somme, la croissance économique n’a cessé de se dégrader. Début 2016, les prévisions de la croissance économique étaient optimistes (de l’ordre de 2,5 % selon la Banque mondiale). A la fin de l’année, une révision à la baisse a été enregistrée. La croissance économique en 2016 devrait se limiter à 1,5 % (selon le FMI). Cela est en partie dû à un repli du secteur agricole et une baisse de la valeur ajoutée des industries non manufacturières, notamment celle du secteur des hydrocarbures et de l’extraction minière (de 3 % et de 3,3 % respectivement). La dégradation de l’activité du tourisme peut être aussi comme cause de la croissance modeste en 2016. L’instabilité sécuritaire et la série d’attentats qui ont frappé le pays en 2015 se sont traduites par une baisse des recettes du tourisme de 33 % entre 2014 et 2015 et encore de 4 % en 2016.
Les difficultés persistent
Etant fortement liée au cycle économique européen, l’économie tunisienne devrait souffrir de débouchés atones. Malgré une hausse annuelle de 83% des revenus du tourisme en 2022, les entrées de visiteurs n’atteignaient toutefois que 60% du niveau de 2019. L’industrie (16% du PIB), relativement diversifiée, souffre de la cherté de l’énergie ainsi que d’une demande européenne fébrile depuis la fin 2022. Le secteur du textile semble particulièrement touché, avec 6.000 emplois perdus entre septembre 2021 et 2022. Localisée dans l’intérieur sinistré par le chômage, l’industrie du phosphate fut encore perturbée en 2022 par des blocages récurrents, la faisant passer en quelques années du 5e au 12e rang mondial des producteurs. Le difficile financement des déficits et une dépréciation du dinar tunisien sur les marchés officiel et parallèle devraient toutefois probablement provoquer une limitation des importations, d’où une stabilisation à un niveau élevé des importations nettes. Selon la note de conjoncture sur les évolutions économiques et monétaires publiée début novembre 2023 par la BCT, le taux de croissance du PIB, exprimé aux prix constants de 2015, s’est établi à 1,2 % au premier semestre de l’année 2023 contre 2,4 % le semestre précédent.La production de phosphate sur les neuf premiers mois de 2023 a baissé de 15,8% par rapport à la même période de l’année précédente, pour s’établir à 2,3 millions de tonnes. En ce qui concerne l’énergie, la persistance des problèmes techniques au niveau de quelques puits, conjuguée à la poursuite du déclin naturel et à l’absence de nouvelles prospections ont lourdement pesé sur l’activité d’extraction du pétrole et du gaz naturel. Sur les huit premiers mois de 2023, la production de pétrole brut et celle de gaz naturel ont diminué respectivement de 4,4% et 9,5%, comparativement à la même période de l’année précédente. Egalement, la production totale d’électricité a accusé un repli de 2,9% à fin août 2023. Selon la même source, la production agricole pour l’année 2023 a également été négativement impactée par la régression de la production de la campagne oléicole 2022-2023. Rappelons que la production des olives à huile s’est repliée de 25% par rapport à la récolte de la saison précédente, passant de 1.200 mille tonnes à 900 mille tonnes. Egalement, la récolte de céréales, de la campagne 2022-2023, a affiché une chute de 69,9% pour se situer à 539 mille tonnes, sous l’effet d’une sécheresse inédite durant les trois dernières années. Les indicateurs du secteur touristique et de transport ont affiché une nette amélioration par rapport à l’année précédente, profitant de la reprise de l’activité touristique en 2023. Sur l’ensemble des neuf premiers mois de 2023, le nombre des entrées des non-résidents et celui des nuitées hôtelières ont augmenté respectivement de 74,1% et 29,6%.
Une croissance de 2,5% en 2024
Dans un rapport publié sur les perspectives de l’économie régionale paru récemment, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) prévoit que le taux de croissance en Tunisie atteindra 2,5% en 2024 (contre 1,2% en 2023), grâce à une reprise du secteur du tourisme, des ventes de phosphate et de la conclusion d’un accord avec le Fonds monétaire international. Les conditions extérieures défavorables, la hausse de l’inflation et les troubles sociaux pèsent sur les perspectives économiques, note la Berd, ajoutant que le ralentissement était dû à une contraction de l’agriculture et des mines, malgré une reprise dans le tourisme, les services financiers et le secteur industriel.Le rapport indique que le déficit budgétaire a atteint 7,6% du PIB et que le volume de la dette publique a atteint 80% du PIB en 2022, rappelant que le pays a connu, comme conséquence, des réductions par les agences de notation en 2022 et 2023.